12h-14h

HJ:

Des clopes. Donnez-moi mes clopes. Ombrageuse, Opium traînait des pieds dans le sillage de Lou, considérant d'un air maussade les magasins désaffectés qui les entouraient. Elle était contrariée par beaucoup de choses : d'abord il y avait la monstrueuse frustration provoquée par l'amnésie, qui était sa principale préoccupation. Mais il y avait aussi ces petits détails sans grande importance, qui auraient dû se contenter de l'agacer mais l'irritaient profondément. Comme ces satanées cigarettes qui refusaient d'atterrir docilement entre ses mains, et ce manque qui lui foutait mal au crâne – ou alors était-ce la fatigue. Elle avait mal à l'orteil. Son ventre criait famine. Et aussi...

« On va faire le plein ici. Déjà, il te faut des cigarettes, à toi ! Ensuite des vêtements. Pour toi, toi et moi. On va pas crapahuter dans la ville en robe, ni en clocharde -sans offense- et à ce sujet, oui, ton maquillage à 'un peu' coulé, faudra le retirer. On t'en piquera du nouveau, si t'y tiens. Après... »

Voilà, il y avait Lou. La rousse était trop... Trop enthousiaste au sein d'une ville hostile, trop directrice alors qu'Opium aimait être celle qui décidait. Voilà, elle n'aimait pas qu'on lui dicte sa conduite, encore moins que les "ordres" donnés sur la marche à suivre soient parfaitement justes et donc incontestables. Qu'on lui glisse entre deux phrases que son maquillage avait coulé, c'était le summum. Un miroir, il lui fallait un miroir ! Elle jeta un coup d’œil discret dans une vitrine crasseuse, qui lui renvoya le reflet faiblard de son visage. Elle passa son doigt sur le bord de l’œil, et le retrouva noir. Elle n'osait pas imaginer à quoi elle ressemblait. Son index humide de salive s'activa pour arranger un peu les choses.

« Après, on prend des sacs à dos, et on les charge de tout ce qui pourrait nous être utile. Il nous faut de la bouffe, de l'eau, des sacs de couchages, des outils -corde, marteau, tournevis!-, des piles et surtout... »

Mon dieu, elle ne pouvait pas la contredire ! Elle n'avait même pas pensé au sac à dos, encore moins aux piles (pourquoi des piles, d'ailleurs ?). Vexée d'avoir été devancée et de se retrouver avec le statut de suiveuse, Opium n'hésita pas une seconde quand elle eut enfin l'occasion de ramener sa fraise.

« Des armes. » Son visage s'illumina, une lueur de fierté brilla dans son regard, elle ouvrit la bouche avec satisfaction et... « Y'a quelque chose qui s'amuse ici, à nos dépends. On est des pions sur un gros échiquier, sauf... »

... La referma. Bon sang, elle n'arrivait même pas à en caser une ! Lou était un vrai moulin à parole, et elle ne put qu'admirer avec réticence l'éloquence de la rousse, et son talent de monopoliser la parole.

« Voilàààà ! »
« Si on retrouve mon sac, on aura une arme. J'avais un pistolet chargé dedans. Mais contre les ronces, y a rien de plus inutile. »

Sauf que dit maintenant, ça sonnait mal. C'était nul, comme réplique, à cet instant précis, après ce « Voilàààà ! » de malheur. En plus l'arme ne fonctionnait plus - ça, elle se garderait bien de le dire. Lou résuma le programme, et lui demanda si celui-ci lui convenait. Bien sûr que ça lui allait, mais elle aurait préféré le choisir elle-même. N'ayant rien à y redire, elle exécuta un fabuleux hochement de tête qui ne signifiait rien.

« Pourquoi Opium, au fait ? »

Comme tu peux être simple, parfois. Oui, Opium était simple, et elle ne s'en rendait même pas compte. Il suffisait qu'on la mette en avant pour qu'elle s'adoucisse.

« C'est un gamin avec qui je suis arrivée qui m'a trouvé ce nom. »

Un micro-sourire moqueur étira ses lèvres en se rappelant la maladresse du garçon. Qu'il était pataud ! Qu'est-ce qu'il était devenu ? Sans défense, le petit ! Des équations à la place de la tête ! Il avait dû se faire tuer deux minutes après leur séparation. Opium s'inquiéta malgré elle. Agitée, elle secoua la tête pour se débarrasser de son imagination parasite et poursuivit son récit.

« J'avais des sachets d'héroïne dans mon sac, donc il a lancé ça comme ça. Enfin, je me souviens pas du tout comment ils sont arrivés là. Et je suis sûre de ne pas être consommatrice – en tout cas je ne suis pas en manque. Je suis pas une tox, hein. »

Dire de but en blanc qu'elle avait trempé dans des affaires illicites n'était pas forcément une bonne idée. Oh pitié Lou, ne prends pas peur, ne t'en va pas pour un connerie comme ça. Opium paniqua un peu intérieurement – ne pas se retrouver seule, jamais ! –, dissimula le tout sous un masque d'indifférence, s'empressa de changer de sujet.

« Et toi "Lou" ça vient d'o... ooùùù ? »

Exaltation. C'est l'odeur de cigarette qui lui fit tourner la tête. Quelqu'un. Quelqu'un fumait !

« On va pouvoir sauter l'étape "librairie" », glissa-t-elle à l'oreille de la rousse, prise d'une soudaine émotion à la vue de son Graal.

Elle pivota sur ses talons et s'approcha résolument d'un homme d'une quarantaine d'années à l'air blasé, accompagné d'une blonde que la brune remarqua à peine. Bon, elle avait l'air un peu moins classe en tanguant un peu sur ses chaussures cassées, mais le déhanché déterminé et impressionnant était à peu près là. Par pudeur, nous dirons que sa tenue en lambeaux lui donnait un air de guerrière plutôt qu'une apparence de pouilleuse. Tout ce qui comptait, c'était cette merveilleuse cigarette qui se consumait entre les doigts de l'inconnu, cette cigarette qui appelait à être entre ses mains, ses mains à elle.

« Tu as une clope ? Donne m'en une. »

Hop, main tendue, paume à plat. C'est au bord de la crise de nerfs qu'elle attendit qu'on accède à sa demande royale. Son regard plein d'orgueil, qui ne cillait pas, disait clairement qu'elle ne supporterait un refus pour rien au monde.

HJ:

Citation :

Au feu !
Vous êtes face à un incendie. L'air commence à se faire rare, la chaleur toute proche. Vous devriez paniquer et sortir d'ici au plus vite.

Spoiler:

Opium fixait l'inconnu d'un œil ardent. Son air blasé ne lui inspirait rien du tout. Il n'avait pas l'air pressé de lui prêter attention, ce qui l'exaspéra. C'est si dur que ça, de dire oui ou non ? L'objet de ses convoitises était si proche, à portée de main ! Ça lui faisait mal au cœur de la voir se consumer lentement entre les doigts de l'homme, sans qu'il daigne la porter à sa bouche. Celui-ci lui semblait de plus en plus antipathique, à mesure que son silence se prolongeait. Il alla jusqu'à l'ignorer ouvertement, préférant répondre aux badinages de Lou. Au moins, la rousse lui avait tiré quelques mots de la bouche, c'était déjà ça.

Alors qu'Opium poireautait la main tendue, la petite se mit à pleurer. Exaspérée, elle leva les yeux au ciel. Ses impressions sur Rose se confirmaient : cette gamine ne supportait pas d'être reléguée au second plan. Elle devait être habituée à ce qu'on soit à ses petits soins en permanence. Lou ayant l'air disposée à faire cesser la crise de larmes par la douceur, la brune ravala ses remarques désagréables par peur de faire redoubler les sanglots de l'enfant. Pourquoi celle-ci s'excusait-elle, d'ailleurs ? Sûrement par besoin de se faire remarquer. C'était comme ça, les gosses : chiants. Inutiles. Elle eut une nouvelle pensée pour H2O. Lui, il l'était, mais dans un autre genre. Un mini génie des sciences pouvait servir à quelque chose, mine de rien. C'était loin d'être le cas de cette geignarde qui lui traînait dans les pattes ! Dire qu'elle fondait en larmes sans raison ; qu'allait-il se passer quand elle serait confrontée aux ronces vivantes ? Elle n'allait jamais survivre dans un tel climat d'hostilité.

Lou la prit dans ses bras. Opium s'adoucit un peu malgré sa migraine. Elle tapota le dos de la fillette avec un soupir résigné.

« Allez, ressaisis-toi un peu », grommela-t-elle.

Fumée grise. Son attention se reporta sur l'inconnu.

« Déjà tu me parles pas comme ça. Et j't'en file une si tu me dis c'que tu sais de la Ville. Et de la tour. »

La jeune femme arqua un sourcil, posa la main sur sa hanche. Attitude de défi, position de battante. Sa nature affirmée la poussa à s'imposer. Merde, jusqu'à présent elle avait à peu près contrôlé la situation ; ce gars-là n'allait pas inverser les rôles d'un coup !

« Déjà je te parle comme je veux, d'accord ? Ensuite je sais, euh... » Humiliation. Bon sang, elle ne savait pas grand chose. Sa gorge soudain irritée la fit toussoter, et elle se reprit. « Les souvenirs par lumière, les ronces qui ont taillé ma tenue en pièces et ont dû tuer les personnes avec qui j'étais avant d'être téléportée... » Et même si elle évoqua cette hypothèse avec indifférence, elle n'imaginait pas la mort de ses ex-compagnons. Impossible. « Sinon, la Tour, ben je suis allée à l'intérieur et il y avait... Ça sent le brûlé depuis tout à l'heure, non ? »

Tout à son énumération, elle ne s'interrompit que tardivement en fronçant le nez. Elle remarqua alors qu'elle ne frissonnait plus sous l'effet du froid, et fut prise d'une nouvelle quinte de toux.

« Mais... Bordel, il y a un feu ou quoi ? » Ses doutes se virent confirmés par la fumée de plus en plus dense qui se formait autour du petit groupe. « Rose, t'as un souvenir, mais c'est pas le moment ! Toi, donne-moi cette putain de clope ! Et prenez tout ce que vous pouvez avant de partir ! »

Opium crut prendre les choses en main de manière autoritaire, efficace et impressionnante. En réalité, elle fit quelques tours affolés sur elle-même en hurlant des instructions, avant de se ruer dans un magasin de vêtements pour y prendre ce qu'elle pouvait. Malgré sa toux qui s'intensifiait, elle s'empara fébrilement de tout ce qui lui tombait sous la main. Feu ou pas, il n'était pas question qu'elle se retrouve à grelotter sans défense là-dehors, encore moins sans rien à manger.

Spoiler:

HJ:

Ô chère colère, te revoilà parmi nous. Entre la gamine qui faisait exactement le contraire de ce qu'on lui demandait et la rousse qui répétait les ordres qu'Opium venait de donner, la situation était loin de s'améliorer. Grommelant des insultes à l'encontre des « foutues handicapées qu'on lui avait refourguées », la métisse arrachait rageusement de leurs cintres tous les vêtements qui se présentaient. Persuadée qu'elle, au moins, se rendait utile, contrairement aux deux autres nunuches.

Opium aurait dû sortir de ce merdier plus tôt. Il y avait tout un tas de raisons qui l'incitaient à partir en courant sans se poser de questions. Elle plissait les yeux pour essayer de distinguer les formes de ses achats à travers la fumée qui se faisait de plus en plus épaisse ; ses quintes de toux se faisaient plus rapprochées, gagnaient en violence ; elle avait chaud, transpirait à grosses gouttes. En bref, tout indiquait que l'incendie se rapprochait, poursuivant son avancée inexorable. Son bras droit était totalement recouvert de ce qui lui semblait être des pantalons, manteaux et sous-vêtements : elle avait raflé suffisamment d'habits. Et pourtant il fallut un signal plus pressant pour qu'elle se décide enfin à s'extirper des rayons du magasin. Un grand écriteau « SOLDES : -50% », après quelques rougeoiements inquiétants, prit feu et s'écrasa à ses pieds. C'est en hurlant qu'elle fonça tête baissée hors de la boutique, se cognant contre les vitres et trébuchant sur les cintres jonchant le sol.

Ses yeux humides n'y voyaient plus rien, et son corps était plié en deux par les quintes de toux. Elle prenait conscience de l'existence de sa trachée, tant elle avait l'impression qu'on lui arrachait la gorge. Malgré l'urgence de la situation, il restait une priorité : la bouffe. Opium avait faim, horriblement faim. Aveugle, elle se rua droit devant comme une chauve-souris paniquée, là où, d'après ses suppositions, le supermarché se trouvait.

- Ne m'appelle plus jamais Calvetti. Jamais.

Un point de repère ! Une blonde, avec le vieux. Et un flingue, quelque part dans l'histoire. A travers les larmes, il lui sembla que la fumée était moins dense dans cet endroit... Qui n'était pas le supermarché. Vu la largeur, ce devait être l'allée principale. Sa voix étranglée parvint à articuler quelques mots :

« On s'en fout de ton - rhhaaa - nom, abru-rrhaaa-t-keuf keuf, abrutie ! »

Bel effort. Sa gorge était ravagée, après un séjour prolongé au contact d'une fumée trop dense. Qu'on lui donne de l'oxygène ! Et à manger ! Elle s'essuya rageusement les yeux, crut voir le supermarché à sa droite. Elle se précipita dans cette direction, entendit un « POMPE MA TEUB SALOPE » auquel elle ne prêta qu'une très vague attention – ce qui comptait, c'était la nourriture, la nourriture...

« OH PUTA-aarhh-keuf keuf-aaarhh... »

Opium regretta aussitôt l'injure lancée par réflexe tandis qu'elle se jetait sur le côté, évitant ainsi de se faire écraser par Biscuit. Même sa trachée en feu ne l'empêchait pas de jurer, encore moins de se taire. La Twingo roulait à vive allure. Lou ! Lou avait trouvé leur porte de sortie. La brune en oublia sa faim et se précipita à la suite de la voiture, haletant déjà après trois pas trop rapides. Sa gorge la brûlait, sa tête tournait, déjà qu'elle avait cette putain de migraine, son doigt de pied endolori continuait à l'emmerder, sans compter son estomac qui grognait et son cœur qui tapait à grands coups – c'était une révolution, tout son corps incandescent qui se révoltait contre ce putain de cerveau qui, pas foutu de trouver de quoi subvenir aux besoins des différents organes, préférait mettre ses muscles au supplice en imposant un sprint.

« BISCUIT ! BISCUIT ! »

Elle braillait derrière le tas de vêtements qu'elle portait tant bien que mal. Gueuler lui faisait un mal de chien, mais c'était sa dernière chance – du moins le croyait-elle dans son délire désespéré. Elle accéléra l'allure ; dans la bataille, elle perdit ses chaussures.

« C'EST MOI, C'EST LOU ! JE SUIS LA ! »

Oh que c'est vilain de mentir. Sa voix éraillée n'avait rien de l'intonation mélodieuse de la rousse, mais la voiture ne ferait pas la différence, si ?

Spoiler:

HJ:

Ploc, ploc, ploc fait le bruit de la pluie qui tombe sur le toit du supermarché. D'abord une petite pluie fine qui s'intensifie de plus en plus avant de devenir une vraie drache. Il pleut des cordes dehors et bien que le supermarché soit déjà bien bousillé, cela semble arrêter peu à peu le feu. Elle a lancé les jets pour stopper l'incendie.

« BIS... BISCUIT ! »

La voix de Lou ! Opium poussa un grognement à peine perceptible derrière la pile de vêtements instable qu'elle maintenait tant bien que mal dans ses bras. Et merde. A coup sûr la Twingo allait accourir vers sa propriétaire. Ses doutes se confirmèrent : la voiture l'ignora superbement et s'engouffra dans ce qui lui sembla être le supermarché, bousculant les rayonnages sur son passage. La jeune femme voulut courir pour la rattraper, mais ses poumons refusèrent toute coopération. Face à la mutinerie de ses bronches, elle poussa un long râle de protestation et s'effondra au sol. Haletante, elle tenta de reprendre son souffle, mais chaque inspiration lui arrachait une grimace de douleur.

« Opium, c'est ça ? Si tu veux toujours ta clope c'est par ici ! »

Clope. Clope clope clope. Et porte de sortie, en plus. Pourtant, vu l'état de sa gorge, elle n'avait pas spécialement envie d'une cigarette dans l'instant, mais les pouvoirs de l'addiction la firent se relever. Ni une ni deux, elle rassembla toute sa volonté et se jeta à corps perdu dans un sprint mi-rampant à quatre pattes, traînant comme elle pouvait les articles qui lui restaient.

Son effort se poursuivit, interminable, douloureux. Qu'est-ce que je transpire ! Une énorme goutte perle le long de sa joue. Puis une deuxième. Puis une multitude d'autres, qui la rafraîchirent. Elle leva les yeux. Ah. De la pluie. Constat : elle était donc parvenue dehors.

SA MERE ATTENDEZ-MOI. J’AI QUELQUES P’TITES…

Et l'autre qui vociférait. Ah, s'il pouvait s'arrêter de gueuler !