Joke essaie de se la jouer warrior insensible à la douleur en se relevant toute seule, serrant son fouet dans son poing, certainement pour ne pas montrer qu’elle souffre. Pas très cohérent lorsqu’on voit la grimace qui étire ses lèvres et les quelques larmes qui brillent au coin de ses yeux.

" Je vais me débrouiller, je peux marcher. C'est qu'une ptite entaille, une cicatrice que je montrerai à mes petits enfants en leur racontant comment j'ai vaillamment combattu un rat géant ! "

Non mais vraiment, qu’est-ce que j’ai à tomber sur des gens à la fierté mal placée ? D’abord Août qui se prend pour le plus fort simplement parce qu’il en a une paire et puis maintenant Joke qui refuse de se laisser porter, histoire de bien prouver au roux qu’elle n’est pas une gamine pleurnicharde qui se raccroche aux autres. C’est assez admirable mais tout à fait stupide dans une situation pareille. Il faut rester pragmatique, enfin !

-Il vaut mieux que je t’aid…

Août s’approche de Joke et la jette sur son épaule sans aucune délicatesse, coupant ma réplique. Apparemment, monsieur le macho de service ne sait pas ce que veut dire le mot blessure, et il sait encore moins ce que signifie porter une fille correctement. Mais bon sang, ce n’est pas bien difficile même moi qui en suis une je porterai un mec avec un peu plus de ménagement. Saufs que les garçons sont trop orgueilleux pour être aider par des filles… Je soupire doucement, admettons que le roux a des circonstances atténuantes, étant donné les morsures à son bras. Il m’a fait signe de le suivre à l’intérieur du centre commercial. Bien évidemment, comme ma chance a décidé de se faire la malle en même temps que ma mémoire depuis mon arrivée ici, tout y est aussi désert et abandonné que le parking ou le zoo. Août a à première vue repéré en même temps que moi le caducée de l’enseigne de la pharmacie, parce qu’il s’y dirige, Joke transporté tel un vulgaire sac sur son épaule.

Il la dépose sur une chaise, prenant tout en main pour ce qui est de la soigner. Quant à moi, n’ayant rien d’autre à faire, je me suis mise à explorer un peu cet endroit poussiéreux. Quitte à laisser faire Août, autant que je serve à quelque chose aussi… Les étagères sont pleines de médocs et il y a un ordi portable à l’écran brisé sur le comptoir ; rien de bien utile. J’entends le roux s’adresser à Joke, lui disant que ça risque de lui faire mal. Contournant le comptoir, je baisse la poignée de la porte qu’il y a derrière. Fermée. Je pourrai peut-être essayer de… non, Xéna ! Résolument pas une bonne idée. Je délaisse la porte pour me tourner vers mes deux compagnons ; Août est en train de désinfecter sa propre plaie avec une grimace de douleur. Je pose une main sur l’épaule de Joke :

-Tu penses pouvoir suivre si on va explorer un peu ce supermarché, ou alors tu préfères que l’on reste ici quelques temps ?

Trop de pensées, d'idées et de réflexions se bousculent dans ma tête, il n'y a pas que ce supermarché que je voudrais explorer... Je me redresse pour m’adresser aux deux, leur montrant la porte close du doigt :

-Je ne sais pas vous, mais ce qu’il y a derrière cette porte m’intrigue. Pourquoi est-elle fermée alors que tout cet endroit est à l’abandon ?

Oui, je me pose parfois des questions qui ont l’air sans queue ni tête mais qui pourtant suivent rigoureusement ma logique à la lettre. Et comme je suis parfaitement incapable d’agir sans peser le pour et le contre jusqu’à la fin des temps, avec de sempiternels contre-arguments contre mes propres idées, autant que ce soit ces deux-là qui décident de quoi faire. C’est ce qu’on appelle fuir ses responsabilités, tu es la seule personne vraiment valide de ce trio… Merci, chère petite conscience, mais j’estime pouvoir agir sans tes remarques vaseuses…. Après tout, puisque Joke et Août sont coincés ici au même titre que moi, autant que je ne sois pas la seule à décider. Mais, une chose qui reste certaine, et que je ressens comme une douloureuse certitude : Je. Ne. Dois. Pas. M’attacher. A. Eux. C'est déjà fait.

Elle n'entend pas Xéna. Le soupir d'Août laisse trop bien deviner ses intentions. Elle esquisse un hypothétique pas vers l'arrière mais il est bien plus rapide qu'elle et la voilà déjà en mode sac à patate sur le dos du rouquin. Non mais je rêve là ! Oh lâche moi spèce de brute épaisse, chui pas une poupée de chiffon ! Le souffle coupé, elle peste intérieurement et s'apprête à bombarder le dos du garçon de coups de poings rageurs quand ses yeux tombent sur ses mains... Pleines de sang. Le sang du cadavre.

Elle reste immobile, comme dépourvue de toute volonté tandis qu'il la ballade sans ménagement à la recherche d'une pharmacie. Les pas de Xéna résonnent tout près d'elle mais elle ne lève pas la tête pour se plonger dans ses yeux bleus. Elle réalise tout ce que son cerveau n'a pas voulu assimiler jusque là, laissant l'instinct et l'adrénaline maîtres le temps du combat. Le cadavre... Le sang... La mort... Le danger...

Quand Août la pose sur la chaise, elle reste prostrée là, sans dire un mot. Xéna s'éloigne et elle a envie de l'appeler mais ses lèvres refusent de s'entrouvrir pour laisser filtrer un brin de voix. Elle a la sensation que quelqu'un a fini par trouver le bouton OFF. Peut-être que finalement elle n'est qu'une poupée de chiffon ? Son fouet tombe de sa main sans qu'elle ne s'en préoccupe.

" Ça va sans doute te faire un peu mal, mais tu auras sans doute moins mal là que si ça s'infecte. "

Une fois de plus il agit avant qu'elle ne réalise et elle serre les dents, se cramponne à la chaise au moment où le désinfectant entre en contact avec sa blessure. Et encore une fois, il a trouvé le moyen de la réveiller. Exaspérant... Le sourire timide qui revient sur son visage contredit sa pensée et ses yeux se posent sur les mains du garçon qui protège sa blessure avec un bandage.

" Si tu as trop mal en marchant, il doit y avoir des béquilles dans le coin. "

Par contre s'il commence à me prendre pour une handicapée j'vais devoir lui remettre les idées en place en mode "recalibration cognitive". Déjà il s'éloigne et elle l'observe qui soigne une blessure au bras qu'elle ne lui connaissait pas. D'où elle vient ? Et puis tu peux pas demander un peu d'aide des fois bad boy ? Faut assumer quand on s'entoure de filles...

" Tu penses pouvoir suivre si on va explorer un peu ce supermarché, ou alors tu préfères que l’on reste ici quelques temps ? "

La main de Xéna sur son épaule c'est... Bizarre. En fait leurs marques de gentillesse à tous les deux sont étranges. Après ses premières rencontres elle pensait que personne l'accepterait comme elle était. En mode réflexion sur OFF et folie légère sur ON. Reste à savoir combien de temps ils la garderont avant de la jeter. Cette pensée lui tire un sourire triste.

" Je ne sais pas vous, mais ce qu’il y a derrière cette porte m’intrigue. Pourquoi est-elle fermée alors que tout cet endroit est à l’abandon ? "

Une porte fermée dans une pharmacie grande ouverte ? Joke met de côté le sang qui macule toujours ses mains, ses pensées macabres, sa peur pour l'avenir et se lève. Elle n'a toujours pas retrouvé son grand sourire mais elle attrape son fouet et l'écharpe de Xéna qu'Août a abandonnée au sol pour la soigner. Elle la dépose autour du cou de sa propriétaire avec un clin d'oeil et s'approche d'Août :

" Dis t'as entendu prince charmant ? Tu viens montrer ta force légendaire en défonçant cette porte avec nous ? J'suis sûre que j'y arrive avant vous ! "

Pas de merci. Pas de bisou sur la joue pour lui montrer sa gratitude. Juste une main qui ébouriffe sa chevelure avec un petit sourire avant de s'éloigner en claudiquant, attrapant au passage une paire de béquilles avant de s'arrêter devant la porte.

" Bon, j'crois que quand on veut ouvrir une porte, faut frapper avant d'entrer... "

Alors elle donne grand coup de béquille sur la poignée de la porte. Vous avez cru quoi là ? Oh c'est moi Joke !