Il courait dans le couloir sombre, essayant tant bien que mal de soutenir Lexi qui hurlait de douleur à lui en déchirer les tympans. La bestiole parla de ne pas oublier La Flic, et il s'attendit à une nouvelle attaque bizarroïde. Au lieu de ça, il ne se passa rien. Rien de visible ou de palpable, en tous cas. Rien pour lui. Peut-être pour la blonde, qui devait se détruire la gorge à forcer de crier.

Black-out. Puis ils se retrouvèrent dans un bar. Comme ça, narmol. Novembre lâcha la Flic, tituba sur quelques pas, toujours haletant, jeta un rapide regard dans la pièce avant de s'appuyer contre le comptoir pour reprendre sa respiration. Personne en vue, mais il y avait bien signe de vie, cette fois. Une bouteille et deux verres étaient posés sur une table, non loin. Ok... Quelqu'un est passé par là avant nous... Putain... On est sortis... Il avait du mal à y croire. Si facilement ? Il s'empara de la bouteille d'alcool et la tendit à la blonde.

« Tiens. Passe-moi un t-shirt, ça servira de compresse. »

Piètre compensation pour une vie sauve. Enfin, pour ce que la sienne valait... Il posa son sac sur une table et commença à fouiller dedans, à la recherche de la bande velpeau survivante du lot. La dernière. Il rangea le croc du traqueur et se saisit de son couteau suisse à la place. Pour éponger le sang, ils pouvaient toujours utiliser un bout de tissu quelconque, et imbibé d'alcool ça devrait tuer les bactéries, non ? Il se rappelait que Lexi en avait gardé dans son sac.

Et puis il y avait cette douleur lancinante qui commençait à se réveiller. Comme une blessure que l'adrénaline avait refusé de lui laisser endurer devant le prédateur. Il souleva doucement son t-shirt qui commençait à se teinter de rouge, juste en-dessous du sternum. Ce qu'il vit ne l'enchanta pas plus que ça, bizarrement. Des traces de lacération, et le sang qui avait commencé à couler. Merde. 'Fallait pas t'débattre sous la patte du croco, Nov'. Sale enfoiré... Mais il pouvait s'estimer heureux de ne pas avoir perdu un œil dans la bataille. La Flic n'avait pas eu cette chance, elle...

La douleur, encore la douleur. Ce qu’il me donne est encore pire. C’est tout mon être qui donne l’impression d’imploser. Et lorsque Novembre s’écarte, je m’écroule, tremblante. Cependant sous mes mains je sens le bois d’un parquet et non de pierre froide et vieillit. J’ouvre mon œil, pour découvrir un bar. Téléporté ? Encore ? Enfin sortit de cette putain de jungle. Loin du caïman schizophrène. Fatiguée, j’entends à peine Novembre parler. Cependant un regain d’énergie me relève. Et prenant un T-shirt, j’en déchire une bande, que je plie et pose sur le bar. L’alcool, le désinfectant que j’ai pris dans mon sac et non la bouteille que me tend le dealer, imbibe rapidement le tissu lorsque je verse la bouteille dessus. Et sans me soucier d’agacer le brun, je lui prends des mains la bande et le couteau, tranchant une bande suffisante. Puis, serrant les dents, j’appuie le tissu imbibé d’alcool sur mon œil manquant. M’empêchant de crier lorsque la brulure se répand, ravivant la douleur. Rapidement je passe la bande sur le tissu, l’appuyant ainsi contre mon orbite vide, puis à l’arrière de la tête, je refais un tour et confectionne un nœud à l’improviste. Et étant trop fatiguée pour parler je m’assoie sur un des tabourets, posant mon menton sur ma main et tentant d’ignorer la douleur lancinante.

Umpf. Dis pas merci, surtout. Mais effectivement, ce n'était pas à la blonde de dire merci. C'était plutôt à lui. Avait-il seulement appris à dire merci ? Haha, la bonne blague. Ça devait pas être le genre de chose qu'il disait souvent, en tous cas. Il passa derrière le bar, attrapa une bouteille qui n'avait pas l'air trop louche et retourna du côté "salle." Avant de s'effondrer plus que de s'asseoir sur un tabouret pas trop loin de Lexi. Pas celui juste à côté, non plus. Ils n'étaient pas potes. Ils étaient alliés. Et les alliés, ça vous étrangle dans votre sommeil.

Ou pas. Elle était Flic. Elle suivait d'autres codes que les gangs de mafieux. Mais un peu de prudence n'avait jamais tué personne, hein ? Il but une longue gorgée à la bouteille - pas le temps ni l'envie d'aller chercher un verre, et de toutes façons y'avait personne pour l'engueuler - et resta un moment sans rien dire, fixant le bois du comptoir devant lui.

« Merci. Pour tout à l'heure. C'est ma faute si... Enfin, ça sert à rien. »

Non, décidément, les excuses, c'était pas son fort. Et effectivement, ça servait à rien. À enfoncer le couteau dans la plaie. Et à bien remuer dedans. Et il était trop mort pour réfléchir. Ça l'exaspérait, tout ça.

« T'as besoin de quoi ? » Finit-il par demander après un soupire de j'en-peux-plus-tisme.

Si au moins il pouvait avoir l'impression de servir à quelque chose, peut-être que son humeur serait un peu moins merdique. Peut-être. Sans doute pas.

Le temps passe et mon regard est toujours fixé devant moi. Faut-il continuer ? Même lorsque l'on n’a plus rien à quoi se raccrocher ? Même lorsque l’on voit enfin qu’on est impuissant ? Impuissant face au destin. Et y a-t-il encore de l’espoir lorsque l’on remarque qu’on se débat contre quelque chose qui nous dépasse ? Quand plus rien ne nous étonne, quand plus rien ne nous attire, quand tout n’est qu’ombre et angoisse. Alors que faire ? Quand la vie perd son sens, faut-il rester debout ? Quand nos objectifs sont écrasés, quand on ne ressent même plus l’envie de se venger, alors à ce moment, la vie vaut-elle vraiment la peine d’être vécue ?
Épuisée, c’est à peine si j’entends les remerciements de Novembre. Qu’est-ce que des remerciements face à ce que j’ai perdu ? Ce n’est pas seulement mon œil qui est resté dans ce temple, c’est tout mon espoir qui s’est envolé avec. A sa question, j’ai encore la force de répondre ironiquement :

- De mon œil droit ?

C’est cynique, c’est morbide, mais peut-on faire autrement dans cette Ville ? J’esquisse un faible sourire pour qu’il comprenne que c’est de l’humour. Ce n’est pas de sa faute si je l’ai perdu, c’est à la Ville qu'il faut se plaindre. Contre la Ville qu'il faut se battre. Mais ça, je n’en ai plus la force, plus la force d’en avoir envie.

Un sourire ironique se dessina difficilement sur le visage du brun. Ouais. Mais ça j'peux pas t'le rendre.

« Pas sûr que le mien t'aille, lança-t-il sur le même ton. Ou alors tu veux y retourner ? »

L'ironie. À croire qu'ils n'avaient plus que ça.

« Au fait, il s'est passé quoi juste avant qu'on atterrisse ici ? »

Et la discussion redevenait sérieuse cinq minutes. Il l'avait entendu crier, hurler à s'en détruire les cordes vocales. Alors quoi, c'était encore pour son œil ? Ou bien il y avait eu autre chose ?

- Je ne sais pas.

Non clairement je ne sais pas ce qu'il m'est arrivé. Ce que le caïman m'a donné était encore de la souffrance. Perdre un œil en échange d'une nouvelle souffrance, c'est un échange inéquitable. Et puis cette douleur c'est...

- Comme si mes os étaient en fusion, d'un coup.

C'est ça, comme s'ils avaient brûlés. Et pourtant... J'agite mes doigts devant moi. Non il n'y a rien de spécial, je les sens encore. Alors que s'est-il passé? Je n'en sais rien. Mais s'est passé maintenant, douce accalmie.

À ce point là ? C'était une attaque du caïman ? Le brun n'arrivait pas vraiment à imaginer ce que ça devait être de subir une telle frappe, mais ça devait faire mal. Très mal. De quoi briser un être humain en quelques secondes... L'air abattu de Lexi n'était pas pour l'aider. S'ils avaient survécu à tout ça, à quoi bon abandonner maintenant ? Il fallait bien redonner un sens à toutes ces souffrances.

Il sortit le sablier de sous son t-shirt, pour s'assurer qu'il était toujours intact. Et le sable filait, inexorablement. Ça avait quelque chose de fascinant. D'hypnotisant. Sauf qu'il se vidait. Ça devenait angoissant. La bonne surprise, c'était l'image que lui renvoyait le verre bleuté. Il avait rajeuni. Se donnerait entre trente et quarante ans. C'était toujours ça. Fallait pas que ça s'arrête maintenant.

Puis il rangea le compteur.

« Ça va mieux ? On peut pas rester là toute notre vie. »

Bouger c'est survivre, s'attarder c'est crever.

Et toi, Novembre ? Tu tiens encore à ta vie ?

Non rien ne va mieux. C'est bien pire. Comment peux-tu ne pas t'en apercevoir? On a aucune chance de survivre dans cette Ville. Aucune chance d'en sortir. Tout est fait pour que l'on y meurt. Et on échappera pas aux règles. L'étape du caïman ne t'as pas montrer notre évidente faiblesse? Je lui lance un regard septique avant de lâcher:

- On restera dans cette Ville, quoi qu'on fasse.

Mais il est vrai que rester sur un tabouret à contempler un bar n'a rien d'utile. Même si s'enfoncer dans des explorations qui ne mèneront à rien de concret est aussi inutile. Enfin de toute façon, j'ai plus rien à perdre. Quoique. Je me relève et me dirige vers une des porte menant à un couloir. C'est partie.

Novembre soupira. Lexi n'était pas naïve, mais un malheureux petit milligramme d'optimiste aurait été le bienvenu. Quoique. Vu comment il traitait généralement l'optimisme...

Pas trop le choix, en même temps. Où tu vois une sortie, toi ? C'était ça, le but de la manœuvre. Les piéger, hein ? La blonde se leva et prit une porte donnant sur un couloir. Il fit de même et attrapa une plus petite bouteille sous le comptoir, avant de suivre La Flic. Une fois l'objet rangé dans son sac, il s'attarda un peu sur la décoration de l'endroit.

« Alors... Hôtel ? Immeuble ? À ton avis, c'était quoi ? »

Juste pour arrêter le silence. Et les pensées noires qui allaient avec.