06h-08h

Tranche horaire  06h - 08h

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Sa tête lui faisait mal, si mal. C’était comme si un marteau frappait longuement sur ses tempes. Boom. Boom. Boom. Il avait l’impression d’avoir pris une sacré cuite ou d’avoir été salement drogué. Pour l’instant, il ne voulait pas ouvrir les yeux. Il ne voulais pas voir ce qu’il y avait autour de lui, simplement que ce ramdam cesse sous son crâne. Il essaya de lever une main pour la porter à son front, hésita, la laissa retomber sur son ventre. Il avait une affreuse migraine. Et comme pour lui rappeler que, même en mauvais état, il continuait de vivre, son ventre commença à protester violemment en émettant des gargouillis peu discrets. Visiblement, ça commençait très mal. La musique hurlait à ses oreilles. Musique ? Mais oui, il devait toujours être au Parc d’Attraction. Ce parc délabré dans lequel il avait atterri d’une façon tout à fait étonnante en sautant dans une trappe en salle des machines. Quelles pérégrinations dignes d’un aventurier...

Le son lui vrillait les tympans. Il gronda, la bouche pâteuse, entrouvrit les yeux, replia un genoux. Il était affalé, non, allongé sur le sol. Visiblement, il avait été déplacé. En effet, il ne se rappelait plus grand chose de ses derniers instants avant de s’écrouler, mais il savait s’être avachi sur la Bugatti, et il sentit dans la tension des muscles de ses épaules qu’il était resté quelques temps dans une position inconfortable dont son corps, drogué, n’avait pu se départir. Le grand blond inspira longuement, une fois, deux fois, trois fois. Les brumes dans son cerveau commençaient à s’évanouir doucement. Mais il commençait à avoir mal au dos, le gravier lui rentrant dans les omoplates : il posa ses coudes au sol et se releva doucement, repliant légèrement ses jambes, avant de s’accroupir, et mettre sa tête entre ses genoux. Il commença quelques exercices de respiration, calmant son esprit peu à peu. De nouveau, son ventre protesta. Il avait vraiment faim, et absolument rien à manger. Il releva doucement la tête, ouvrit les yeux, les referma. La lumière tamisée était déjà trop agressive pour son esprit embrumé. Et la musique, cette musique immonde...

Il plissa les yeux. Il était dans un bâtiment, justement. Un bâtiment où il n’y avait qu’une grande console parcourue de fils électriquement, qui visiblement donnaient le feu vert à un quelconque manège. Il se releva en se tenant à une chaise qui crissa doucement, et il eut quelques secondes très peur qu’elle cède sous son poids. Vu son état de décomposition avancé, il y avait longtemps que personne ne s’était assis dessus. Le grand blond soupira, et commença à s’étirer doucement. Chacun de ses muscles lui faisait mal. La ville, ou celui qui la contrôlait, avait eu ici une idée abominable. C’était de ces matins qu’il haïssait, de ceux qu’il ne voulait pas sortir de son lit, par exemple...

Quand il avait un lit. Si toutefois il avait eu un lit. Mais il savait ce qu’était un lit, et à ce moment ça n’était qu’un doux souvenir que lui rappelait son dos noué. Il se pencha en avant, toucha le bout de ses orteils, alors qu’il sentait les muscles de ses cuisses se pincer doucement. C’était horrible, ça tirait affreusement, mais après quelques secondes dans cette position, il relâcha le tout et ce fut la délivrance. Il sentait toutes ses capacités moteur lui revenir peu à peu. Il se sentait presque bien. Si seulement il n’y avait pas ces vertiges qui persistaient à vouloir l’attirer au sol... Il attrapa la console d’une main pour se stabiliser véritablement. Sa vision commençait à être parfaitement claire. Il essaya d’appuyer sur un bouton au hasard, puis un autre... Rien. Il regarda autour de lui, se pencha légèrement en avant, manqua tomber de nouveau mais réussit d’un bon réflexe à se rattraper. Bien. D’ici quelques minutes, il serait au top - et affamé. Il s’accroupit et branche une énorme multi-prise au mur, ayant peu d’espoir que quelque chose se passe, et pourtant la table de fer commença à clignoter de partout. Intéressant. De nouveau, il appuya sur quelques boutons, et soudain un énorme bruit de chaînes et de mécanique se fit entendre, alors que la cabine tremblait. Donc, c’était un train qui se trouvait à côté, et visiblement il... Marchait. Le blond fronça les sourcils et se dirigea vers la sortie. Il n’y avait rien, rien d’autre que de la poussière et de l’électronique.

Un peu plus loin, il pouvait apercevoir une silhouette... Et une seconde qui se dirigeait vers la première. Des gens. La première silhouette était plus proche, et visiblement la personne était en train de... Manger. Mauvaise idée, très mauvaise idée devant l’affamé. Le grand blond s’approcha à pas de loups, tout doucement, comme un ninja cherchant à s’approcher de sa proie. Il arriva à quelques mètres, encore à peine visible dans la pénombre, lorsque les deux inconnus se rencontrèrent. En fait, la jeune femme aux cheveux d’un bleu plus qu’inhabituel venait presque de rentrer dans le mec châtain, avant de se reprendre, et... Trébucher. Elle parla de LSD, sans qu’il comprenne bien pourquoi, mais tout ce que voyait le grand blond à cette heure c’était qu’elle lui offrait une diversion parfaite. Il parcourut en quelques pas inaudibles la distance qui les parcourait, et d’un mouvement vif saisit le paquet de gâteau dont le jeune homme se désintéressa pour rattraper la jeune maladroite. Jackpot.

Tout de suite, il attrapa un gâteau sec et le fourra dans sa bouche, comme s’il risquait de disparaître à tout moment. Il avait bien trop faim pour se soucier des convenances à cette heure-ci. Surtout que le paquet ne semblait pas très bien fourni. Vous imaginez, s’il avait à partager ? Ca serait catastrophique. On lui demanderait peut être même de se priver pour que la demoiselle puisse manger, c’était catastrophique. Il fit un petit sourire de chat, plein de dents, alors que ses yeux, habitués maintenant à la luminosité, brillaient. Trouvé, volé, c’était à lui maintenant, et il faudrait y aller pour lui reprendre.

Les deux jeunes gens ne semblaient pas se connaître, et la maladresse de la jeune fille lui mit la puce à l’oreille : eux aussi visiblement s’étaient fait catapulter ici sans vraiment le vouloir. C’était vraiment pas de bol, enfin surtout s’ils avaient trouvé d’autres personnes avant, parce que lui il s’en fichait après tout. Que la Ville l’envoie tout droit en enfer... Il n’en avait cure.

Le Blond était frais. Le Blond était reposé. Le Blond était calme, le Blond était blond, et il commençait à en avoir sérieusement marre que tous les jeunes cons qu’il croisaient n’aient pas une seule once de respect pour les autres qu’eux même. Depuis quand étaient-ils tombés aussi bas ? Un gamin d’à peine, quoi, vingt ans ? bon, allez, un peu plus peut être. Mais, au vu de sa tronche renfrognée et de ses mouvements brusques, toujours un gamin. Perdu dans ses pensées à propos d’un certain gamin mal élevé qui tout de même venait de lui fournir involontairement un paquet de gâteaux, le blond montra grand intérêt à la petite boule de lumière qui se plaça tout à coup face à lui, semblant sortir de nulle part. Cette petite sphère ne pouvait pas servir de lanterne, tellement elle brillait faiblement, mais c’était sympathique et joli. Aurait-il eu un habitacle de verre qu’il aurait sûrement essayé de l’attraper. En attendant, c’était là et ça bougeait pas, comme si ça attendait quelque chose.

Le curieux bonhomme commença à baragouiner à propos d’il ne savait quel vol - non non ça n’était pas lui sûrement pas il ne se permettrait jamais - avant de lui jeter un regard noir. Oh, monsieur est en colère ? Monsieur a mal dormi, peut être ? Ou peut être monsieur est tout simplement en colère de se retrouver tout seul dans cette ville maudite, ou plutôt avec ces inconnus ce qui était peut être encore pire dans cet endroit de malades. Mieux vaut être seul que mal accompagné, et croyez moi dans un lieu où chaque ronce veut que vous jouiez une pièce pour elle, ça n’est pas un luxe que de ne pas avoir à surveiller ses arrières sans arrêt pour vérifier qu’un camarade n’est pas en train de vous backstaber.

Il semblait soucieux. Le fait que son regard chasse pour regarder à droite, à gauche, pour enfin revenir sur son interlocuteur le prouvait. S’il n’avait pas eu d’autres choses à penser, il n’aurait pas perdu sa concentration ainsi, surtout pas devant un inconnu. Mais il sembla retrouver son appui, à défaut de son calme : malgré ses maintes tentatives pour garder son calme, son corps tout entier voulait pallier à une agitation extrême, se traduisant par des mouvements vifs, pressés, agressifs, comme pour ne pas renforcer son attitude exécrable. Un deal, qu’il voulait ?

Le grand blond eut un petit sourire avant de piocher dans le paquet de gâteau pour en fourrer un entier dans sa bouche qu’il mâcha longuement, consciemment, avant de faire claquer sa langue contre son palais et de répondre :

« Un deal, avec toi, contre de la nourriture ? Pourquoi acheter ce que je peux voler ? Serais tu aussi stupide que tu me crois débile ? »

Ceci d’une voix tout à fait égale et normale, comme s’ils n’étaient qu’en train de parler de la pluie, du beau temps, de ce genre de trucs quoi. Et bim. Des trucs utiles, il en avait oui, si on exceptait le jeu de tarot, les bonbons et le briquet vide. L’Opinel, par exemple, c’est sacrément pratique ces trucs là ! Mais contre un paquet de gâteaux, non merci, surtout s’il ne cherchait pas à récupérer son bien. Qu’il ne récupèrerait sûrement sous aucun prétexte d’ailleurs, soyons francs. Hé, c’était des gâteaux quand même ! Il en piocha un second, qu’il avala aussi vite que le précédent, comme s’il n’avait pas mangé depuis des lustres. Ce qui était peut être vrai. Cependant il songea à s’arrêter là et referma le paquet d’un mouvement vif. Il ne pouvait pas se permettre de gâcher ce qui, peut être, lui permettrait tout juste de survivre. En plus, c’était une monnaie d’échange. Et enfin, il finirait par avoir soif s’il continuait. Et ça, ça n’était pas bon du tout.

La petite sphère flottait toujours devant lui, commençait très, très lentement à s’effacer, comme s’il devait se dépêcher de faire quelque chose. Ici, il avait vite compris que rien n’était jamais laissé au hasard. Tout avait un but. Si un objet était placé sur votre chemin, vous deviez le prendre, quoi qu’il vous en coûte. Sinon, la ville vous punissait. Le blond était vraiment très curieux de savoir jusqu’où la ville était prête à aller pour punir ses jouets. Enfin, la ville, ou plutôt la personne ou plus sûrement le groupe de personnes qui la dominait. La contrôlait. Les contrôlait tous. Car ceci n’était qu’un jeu, un jeu à grande échelle dont ils étaient les mignons petits pions. Et dans ce jeu d’échec, le blond était un Fou. Se déplaçant en diagonal, emmerdait tout le monde mais protégeant efficacement la Reine et se sacrifiant pour elle si le besoin s’en fait sentir. Si vous connaissiez cet homme, vous sauriez que cette définition n’est pas tout à fait exacte. Il ne protège pas la reine, il la menace. Menace pour les ennemis, menace pour son propre camp, comme une pièce mal jouée. Handicap.

Mais lui, qu’est-ce qu’il s’amuse.

La jeune fille aux cheveux bleus, elle, se remettait rapidement de sa chute. Elle est mignonne, la petite, elle est gentille. Très, trop peut être, elle ne comprend pas que des vies sont en jeu ici. Ou peut être le comprend-elle trop bien et cherche-t-elle à s’en préserver, par tout moyen possible ? Non, elle est trop jeune. Trop jeune, trop innocente. A moins que ce ne soit qu’une apparence qu’elle se donne pour tromper son monde ? Cependant elle le défend, sort du chocolat de ses poches et partage. Un mot clé, partage. Cependant, le Blond décida de décliner l’offre d’un mouvement de la main. Déjà, le chocolat donne énormément soif, et l’eau tue plus sûrement que la faim. Ensuite, il ne sait pas où a trainé le chocolat, alors que les gâteaux étaient en train d’être consommé lorsqu’il les a saisi. Et puis, elle en a sûrement plus besoin que lui avec son corps frêle en pleine croissance... Si croissance ils subissent toujours.

Soudain elle se met à fixer l’autre gugusse comme s’il venait de lui pousser un pied au milieu du visage. Un gros pied poilu et gigotant, vu qu’elle se met à trembler à la façon d’une feuille morte ballotée par un vent violent mais maintenue sur sa branche. Malgré sa jeunesse et sa visible infériorité sur l’individu en face d’elle, elle l’attrape par le col et tente de le secouer, en vain, tout en parlant de... Souvenirs, de ruelle crade et sombre, bref, de choses pas très joyeuses. En fait, ils se connaissent ? Pourquoi l’ignorait-il jusque là ? Pourquoi ne semblait-elle que le reconnaître ? Il y avait beaucoup trop d’interrogations dans la tête du grand blond. Ce dernier s’approcha des deux jeunes gens et emmêla gentiment les cheveux de la fille en desserrant doucement mais fermement sa poigne sur le tee-shirt de l’autre. Déjà, cet abruti risquait de la frapper, et ça n’était jamais bon. Et puis, c’est toujours plein d’emmerdes, des gens qui se battent. Mais, en faisant ce mouvement, il sentit son téléphone tomber de sa poche. Alors qu’il était jusque là très calme, il se pencha sur le côté d’un mouvement vif pour essayer de le rattraper.

Le rata.

D’un même mouvement, vit l’écran se fendre, et la bille de lumière, qui avait presque disparu et dont il avait oublié l’existence, frôler sa main tendue.

Spoiler: