Spoiler:

C'était le soleil qui l'avait réveillée. Étrangement. Parce que vu comme la vitre était crade, c'était étonnant que les rayons aient réussi à se faufiler un chemin à travers la crasse pour venir lui taper dans les yeux. Elle savait pas quelle heure il était, mais ça devait cogner dehors. En parlant d'heure, elle regarda son poignet. Une montre. En argent, affichage digital. Elle affichait un compte à rebours, 72h, qui venait de commencer. Ca avait du se lancer quand elle s'était réveillée, elle avait du appuyer dessus sans s'en rendre compte. Elle essaya de revenir à l'heure, mais rien à faire. Tant pis, on verrait ça plus tard.
La montre était pas mal, un peu grosse, ça ne devait pas être  la sienne. Et puis elle ne se souvenait pas de l'avoir achetée : un cadeau peut-être ..? Mouais. Elle ne se souvenait pas non plus de l'avoir reçue. En même temps, ce qu'elle foutait dans ce train, c'était également mystère ; et pourquoi elle dormait encore alors qu'on était sûrement en plein milieu de la journée vu la puissance du soleil, c'était cadeau aussi.
Elle regarda un peu autour d'elle : rien, pas de bagages, pas le bordel habituel laissé par les passagers après un trajet. Mouais. Bizarre. Elle essaya de se rappeler si elle devait aller quelque part, si elle avait un voyage de prévu. Mais c'était silence radio dans sa tête. 'Tain, mais elle avait fait quoi la veille pour être dans cet état ? Elle ne devait peut-être pas voyager, mais sa mémoire, elle, s'était barrée en vacances visiblement ! Elle fronça les sourcils, contrariée.

La seule chose dont elle se rappelait, et encore vaguement, c'était un coup de fil. La famille... l'honneur... la vengeance. Vengeance. Rien qu'à cette pensée, elle sentait son cœur s'accélérer, sa volonté se rassembler. Elle sentait une chaleur diffuser en elle. Elle se sentait un peu plus vivante. Mais c'était tout ce dont elle se rappeler. C'était étrange, se dit-elle, de ne se souvenir que de ça, de ressentir tout ça, sans même se rappeler pourquoi.
Enfin bref. On philosopherait plus tard. Pourquoi rester dans un train vide ? Pour rien, on est d'accord. Elle aussi. Et donc, elle descendit sur le quai.

Vide. Lui aussi. D'habitude, une gare, ça grouille de monde. Surtout une gare de cette taille. Surtout à cette heure-ci. Non, elle n'avait toujours pas l'heure mais le soleil était quasiment au plus haut dans le ciel. C'était le début de l'après-midi. Pas un chat ; pas un bruit, rien. C'était légèrement angoissant, fallait bien l'admettre. Elle avait jeté un dernier regard sur le train et s'était dirigé vers la gare.

Et là voilà maintenant, devant une grande horloge. 8h. Du matin, du soir, peu importe. 8H, c'est juste pas possible. L'horloge est morte. Comme la gare. Comme tout autour d'elle. Comme elle ?
Non ; en tous cas, elle se sent bien vivante. Délestée des souvenirs de sa vie entière, mais vivante.
Elle reste là, plantée à regarder l'horloge cassée. Elle réfléchit.
Ce train, là, elle n'est pas venue ici dedans. Il n'est pas arrivé en gare après un voyage. Il est vieux, il n'y avait personne dedans. Il est là, à quai depuis un bout de temps, et il n'y a pas bougé. D'ailleurs dans cette gare, rien n'a bougé depuis un bout de temps. Il y a de la poussière partout, des herbes au sol, des fenêtres pétées, d'autres intactes mais aussi crade que la vitre du train, l'horloge est en congé et il n'y a pas un quidam.
Et comme elle voit pas pourquoi elle serait venue faire une sieste dans cet endroit, c'est qu'on l'a posée inconsciente dans ce train. On lui a fait prendre un truc amnésiant et on l'a laissée seule dans ce lieu désert. Mais putain ! heureusement pour eux qu'elle se rappelle plus leurs tronches !
Mouais, enfin pour l'instant. Parce qu'elle va pas rester comme ça à chouiner dans son coin. La mémoire, elle la retrouvera bien un jour ; et de ce jour-là, eux aussi ils risquent de se réveiller comme Bambi dans un coin pommé. Connards !

Ok mais en attendant, faut sortir de là. En ville, il doit avoir moyen de passer un coup de fil. Ouais, mais à qui ? Pas de répertoire dans les poches ? Alors les poches...
Bon non, pas de répertoire. Du rouge à lèvres. Quelle couleur ? alors là, on verra ça après. Des gants noirs, en velours. Ca a l'air d'être sa taille ; mais on jouera les essayages ultérieurement. Un flingue. Oh un flingue ! Ah, ça c'est utile. Sans se poser de questions sur le comment, elle vide le puits du chargeur puis le ré-enfonce. Culasse en arrière pour chambrer la première cartouche. Sécurité verrouillée. Excellent.
Et c'est tout. Les autres poches sont vides. Elle range l'arme à l'intérieur de son boléro. Tiens !
Y'a un truc là dedans. Elle plonge les doigts et ressort une carte de visite. Si elle avait la bonne idée de se balader avec SA carte de visite, ça serait pas mal. Elle la regarde, un côté, puis l'autre.

« Détective privé ». Avec un numéro. Elle est détective? Elle a embauché un détective ? Quand elle trouvera un téléphone, ça vaudra le coup de passer un coup de fil. Pour voir sur qui on tombe. Sa propre voix sur répondeur ? Quelqu'un qui pourrait la renseigner ? Ca pourrait être vachement instructif comme appel. Et puis, c'est le seul numéro qu'elle a. Enfin, sans téléphone de toute façon, inutile de rêver. Elle remet la carte dans la poche.

En plus, elle se sent comme espionnée. Elle regarde autour d'elle mais non rien, pas âme qui vive. Allez, on bouge.
Mais si ! Là à droite, ça a bougé ! Y'a un truc qui a bougé. Certain. La blonde scrute l'horizon de la gare, le plafond, puis la gare, le sol...

C'est juste devant elle, à quelques mètres. Un lapin. Un lapin ? Mais d'où il sort lui ? Les oreilles dressés, il l'observe. Faut bien avouer qu'il est mignon, le genre de petite chose que les enfants réclament à cor et à cris. C'est surtout la seule présence vivante qu'elle voit depuis son réveil.

« Ben dis donc, t'as pas peur toi. »

Elle fait un pas dans sa direction. Puis deux, puis trois. Doucement, pour ne pas l'effrayer.

Tu parles d'un lapin sauvage. Ca remue les oreilles, ça fait des petits bruits. Voilà que ça saute maintenant. Loin de fuir, la bestiole s'était rapprochée d'elle. Et quoi ? Elle allait remuer la queue aussi ? On aurait dit qu'elle l'attendait, qu'elle était contente de la voir.
La blonde s'approcha un peu plus près.

« Ben alors ? T'es perdu toi aussi ? Comment t'es arrivé là ?»

Elle était toute proche de lui et se pencha un peu. Il était mignon ce lapin. Dommage que ce ne soit pas un chien, il aurait pu la ramener vers un peu de civilisation.

« Tu vas te faire bouffer tout seul ici. Un petit lapin comme toi, c'est pas un... Aïïeee. »

Nen mais il l'avait mordu ! Lui là, le petit lapin tout mignon qui avait l'air de sortir tout droit de sa cage ; lui là avec ses grandes oreilles ; lui... ah ben... pas là. L'avez déguerpi la saloperie. Remarque tant mieux pour lui. Parce que même si il était bien mignon, il le serait plus encore en manchon pour l'hiver ou en mini descente de lit. Ou en matelas pour un VRAI lapin mignon.

Enfin. Inutile de rester à la gare. Elle aurait bien passer ça sous l'eau – c'est qu'il l'avait pas raté tiens-, mais peu de chance que le réseau hydraulique du bâtiment soit en état. Et quand bien même, elle y mettrait pas sa main en dessous : pas la peine de surinfecter la plaie.
Fallait plutôt sortir et aller en ville. Y'aurait bien une pharmacie quelque part.

Dehors, juste sur le parvis de la gare, elle s'arrête. C'est su-per calme ici. Il y a strictement personne. Pas un mouvement, pas une voiture. Pas un bruit. Même au loin. C'est-quoi-ce-bordel ?
Y'a une rue, juste devant elle qui part tout droit. Elle en vaut bien une autre alors elle s'y engage. Prudemment, en regardant autour d'elle, en haut, derrière. Elle s'est dite que marcher en plein milieu d'une rue désertique, c'était pas une super idée. Du coup elle a serré à gauche. Pour pouvoir tirer plus facilement si nécessaire.

Il ne se passe strictement rien et ça commence à créer un franc malaise. Une atmosphère lourde, inquiétante. Ouais ça fait flipper ouais. D'ailleurs, elle ressort le flingue. Au cas où. Ce putain de lapin, dans sa fourberie, ne lui a quand même pas gnaqué le côté droit. Elle aurait eu du mal à tenir l'arme si elle avait été gauchère. Parce que mine de rien, ça fait mal, elle le bouge pas mais ça fait mal.

En y repensant, au lapin, bizarrement elle sourit. La prochaine fois qu'elle croise un petit machin tout frêle en milieu hostile, elle laisse tomber. Tant pis pour lui. Elle, les lapins, plus jamais. D'ailleurs, elle se souvient pas de grand chose mais elle s'est trouvée un nouveau hobby. Va se mettre à la chasse tiens...

Spoiler:

:violet:14h-16h
Précédemment

Le costume que porte ce type était franchement classe. Était, oui, à l'imparfait. Il y a un temps où il avait du être vraiment très chic. Ce temps est révolu. Visiblement. Et de le voir là, comme ça devant elle, ça lui pose de vraies questions.
Non, pas sur la provenance du costard non.
Sur la provenance de ce qu'il y a dans le costard. Y'a pas une minute de ça, elle était toute seule, absolument personne, rien, quedal. Et là d'un coup, il y a cet homme, dans un état aussi... étrange que dégoûtant, avec un bras qui doit pisser un quart de litre à la minute.
Deux choses contradictoires dans son esprit : soulagement : il y a quelqu'un d'autre dans ce désert ; et inquiétude : ce quelqu'un est tombé sur une mauvaise, très mauvaise rencontre.

Elle s'approcherait bien, mais non. Elle est méfiante maintenant. Elle reste là, l'arme à demi-levée, sécurité déverrouillée. Il avait pas l'air bien dangereux mais bon. Ne serait-ce qu'au cas où la cause de ça reviendrait. Et puis, même salement blessé, ce type ne respirait pas la bonhomie et la jovialité. Un quelque chose de complètement subjectif lui disait que la température devait baisser de quelques degrés en sa présence.

« Non, j'ai pas de trousse, j'ai rien désolée. Mais vous sortez d'où, surgi de nulle part comme ça ? Qu'est-ce qui vous est arrivé ? »

Peut-être qu'après quelques explications, on pourra penser à faire un truc pour éviter qu'il se vide. Mais après, pas avant.

…
Mouais
…

C'était vague comme explications.
Il avait fait une mauvaise rencontre : nen sans déconner ?! Un truc dangereux... oui à priori, oui. Savait pas ce que c'était. Attend quoi, ce que c'était ? Je sais pas qui c'était, ok... mais ce que c'était... Parce que c'était si bizarre, si pas humain que ça ?

Bon, même si elle a un peu l'impression qu'il se fout d'elle -parce que monsieur a été en quelque sorte téléporté voyez-vous-, c'est le seul être humain à des kilomètres à la ronde capable, peut-être de lui dire ce qu'il se passe dans cette foutue ville. En plus, il a fait l'effort de dire s'il vous plaît – et ça a l'air de lui arracher la langue de prononcer ses mots. D'ailleurs, la voix reprend bien vite ce ton de commandement sans appel.

Lui, il était pas serveur ou guichetier hein. Faire un bout de route ensemble, ok, mais se méfier et le garder à l'oeil. Ca a pas l'air d'être le genre de type reconnaissant, à t'inviter prendre un verre. Non lui, une fois que son bras irait mieux, il serait plus du genre à lui ferait les poches dans son sommeil. Au minimum.

« Ouais ouais je vais vous aider. Enfin, on va s'aider. On va chercher c'qu'il vous  faut et pendant ce temps, vous allez me raconter ce qu'il vous est arrivé avant votre mauvaise rencontre. Et d'où vous sortez, parce que oui vous avez raison, ça me semble assez fou. »

Elle lui passerait bien son boléro autour du bras, mais finalement non. Elle compte pas se balader dans cette ville bizarre avec un flingue à la ceinture. Elle est contente d'en avoir un, mais c'est pas pour l'exhiber. Si c'est si dangereux que ça ici, ça serait une incitation au vol. D'ailleurs, elle remet la sécurité et le range dans la poche intérieure. A portée.

« Vous devriez enlevez votre veste et l'appuyez sur votre bras le temps qu'on trouve. »

Histoire qu'on les suive pas à la trace. Assez d'emmerdes comme ça.

Elle se place à côté, pas trop proche non plus, un pas en retrait. D'un signe de tête, elle propose une direction.

« Je connais pas la ville. Si vous avez une idée de la direction à prendre... »

Ben vas-y coco, je te suis.

« Alors, c'est quoi c'te histoire ? »

Et le blond avait commencé son histoire. Délirante. Elle aurait été tentée de mettre ça sur le compte de la blessure. Trop dingue, une ville qui transporte des gens comme ça, des bestioles étranges, des voix venues de nulle part.
Mais voilà. Il était là, dans un état pitoyable, recouvert de truc douteux. Il était apparu comme ça, par magie. Elle avait croisé le chemin d'une putain de bestiole sortie d'un mauvais dessin animé.

Alors bon. Voilà. C'était dingue. Mais ça serait bien d'y penser en chemin.

Bye bye la gare. Bonjour la ville !