Silencieuse, assise au bord du lit, les pieds dans le vide, elle observe James qui fait sa valise. Elle a comme une grosse boule dans la gorge, de celles qui donnent envie de pleurer. Mais elle vient tout juste de lui promettre qu'elle sera forte, et qu'elle ne pleurera plus. Même si c'est difficile, de le voir ainsi s'en aller. De le voir plier avec tellement d'application ses vêtements, pour les ranger. Elle songe qu'elle ne le reverra sans doute pas avant longtemps. Peut-être plus jamais.
Non, je ne pleure pas, je suis forte. Le garçon semble avoir remarqué son trouble, le voilà qui relève la tête pour la fixer.
« Joy. Un jour, je reviendrai te chercher, d'accord ? ». Elle lui adresse un pauvre sourire.
« Non. Profite de ta vie. Profite de la chance que t'offre le monsieur. Tu vas être adopté, c'est génial, non ? ». Oui, il faut se convaincre que c'est génial, il faut que... James l'étreint soudain comme jamais, de ses bras d'enfant, de ces bras qui deviendront ceux d'un homme. Elle fond en larmes. Elle n'arrive pas à imaginer Sainte-Thérèse sans lui. Pas alors qu'il a toujours été là pour elle, à ses côtés, à la défendre des brimades, à la faire rire. James avait été le sourire de ces lieux depuis des années.
« Eh... ça ira, Joy. Tu n'es pas seule ici, tu le sais... »Quelques minutes plus tard, ils descendent les escaliers, main dans la main, lui devant, le visage fièrement levé, elle derrière, essayant de cacher ses yeux rouges. Leurs pas résonnent sur le sol de pierre du grand hall, l'écho se cogne aux murs, et monte au plafond, donnant l'impression qu'ils sont ainsi une multitude, une armée. Il a toujours adoré ça, et elle finit par l'aimer aussi. Là-bas, debout devant les grandes portes de bois, un homme se tient, droit comme un I. Un homme qu'elle a déjà vu. Celui qui a décidé, lors de la dernière ouverture au «
public », d'adopter James. Elle détaille, une fois de plus, les longs cheveux gris, et la cicatrice qui barre le visage grave. Retient un frisson. Elle n'arrive pas à savoir pourquoi, mais ce type lui fait froid dans le dos. Et dire qu'elle va lui abandonner son meilleur ami... Inconsciemment, elle serre plus fort la main qui tient la sienne.
Pourquoi les adieux sont-ils si cruels ?
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Son cœur est serré par l'émotion. Il y a toute sa vie dans ce bâtiment. Tous ses souvenirs, les heures passées à jouer, à rêvasser, à travailler, aussi. Il y a des nuits de sommeil agitées, des cauchemars. Des amitiés. Elle tressaille en songeant à tous ceux qui ont fait leurs valises, ici, ceux qui sont partis pour ne jamais revenir. Des enfants heureux, hein ? Elle n'a jamais pu s'y résoudre. Elle est certes partie quelques temps, mais c'était pour mieux revenir aujourd'hui, n'est-ce pas ? Après tout, il faut bien quelqu'un pour faire vivre ces vieilles pierres, quelqu'un pour prendre soin de tous les enfants qui viendront passer du temps ici. Quelqu'un pour leur donner un peu d'amour. Elle serait cette personne, elle qui se sent tellement prête pour ça, elle qui doit tant à cet orphelinat.
Des pas sur le gravier derrière elle. Elle se tourne avec un grand sourire vers le vieux propriétaire de la bâtisse.
« Mademoiselle Roberts. Je suis réellement ravi que ça soit vous qui récupériez la pension Sainte Thérèse, vraiment ». Elle adresse un regard pétillant au vieil homme. Sainte Thérèse. Ce nom tellement redouté dans les premiers temps, et aujourd'hui aimé.
« Merci, monsieur Dawson. Je suis moi-même tellement heureuse de prendre la direction de ces lieux. Si vous saviez tout ce que j'ai pu y vivre ! ». Il lui tend un gros trousseau de clés, dont elle se saisit avec précaution. Tout est là. Les clés du paradis, en somme... si elle arrive à faire de ce lieu un paradis.
« Seigneur, j'espère tellement pouvoir laisser aux enfants un souvenir comme celui que je garde. Tout n'était pas rose, bien sûr, mais... ». Mais la vie était plus que convenable. Le vieillard l'observe, attendri, avant de s'exclamer :
« Mais ! C'est une bien belle bague que vous portez là ! Dites moi, ce n'est plus mademoiselle que je dois vous appeler, mais madame ! ». Elle ne peut s'empêcher de rougir.
« En... en effet... ». « Racontez moi, ma chère, est-ce que je le connais ? ».
Elle entraîne le vieux monsieur avec elle, le soutenant par le bras, et lui promettant de tout lui raconter autour d'une tasse de thé bien chaude. L'été commençait à peine, et tout semblait déjà parfait.