Ses paupières tentèrent de se décoller. Hm, non, pas encore... Le soleil prit les prunelles d'assaut, les faisant fugitivement passer au bleu. Attends. Non, personne ne t'attendra. C'est maintenant que ça se passe, vieux. Déjà si tard ? Comment a-t-il seulement pu... Il tente de se relever, sa respiration se retrouve coupée. Par réflexe, sa main vient chercher sur le côté. Détache sa ceinture. Il inspire. Identifie l'intérieur d'un avion. Et.

Là, devant ses yeux. Un décompte. Énorme. Reste un peu moins de 72 heures. Et ensuite ? Et ensuite, BOUM, mon petit, hehe. Libéré dans ses mouvements, il relève la tête, balaie le tout du regard. Putain. Qu'est-ce que je fous ici. Comment tu es arrivé ? Bonne nouvelle, j'en sais pas plus que toi ! Mais ce décompte, ça pue, il doit sortir au plus vite. C'est trop énorme pour n'être qu'une blague.

Et puis il tourne la tête, vers le siège jouxtant le sien. Des cheveux sombres, balayant des paupières encore closes. T'attends quoi, eh, passe au-dessus d'elle, je sais pas, fais quelque chose ! Mais non. Il reste planté là, sûrement l'air un peu con. Puis sa main finit par s'avancer, pour heurter du dos du doigt la joue de la silhouette endormie. Tu m'expliques pourquoi, soudain, elle, tu peux pas t'en foutre et passer ton chemin ?

Il n'en sait rien.

Elle n'a pas le temps de penser. De toute manière elle ne pense pas devoir penser. Son regard vide s'ouvre sur une valse de points lumineux qu'elle ne prend pas en considération. Le soleil perce dans son champ, ses yeux se plissent, elle tourne la tête par instinct, découvre un tout autre dédale d'images, des choses, des éléments, elle n'arrive à rien. Se reporte à sa joue y retrouve le souvenir d'un contact incertain. Tente de trouver une question. Inspire. Détourne les choses. Quoi. Rien. Suffoque, peut être.

Trouve. Ouvre de réelles opinions sur le rien. Un homme. Quelqu'un. Quelqu'un. Elle a du mal à savoir le quelqu'un. Elle remarque quelques détails néanmoins. Des couleurs, un souffle, un autre regard, une attention. Puis se débat, tremble malgré tout. Comprend ce qui la retient, perd ses mains devant cette difficile facilité. Elle n'arrive à reprendre un peu d'assurance qu'à cet étrange autre, cet inconnu. Se sent faible.

Il surprit les cils à trembler, semblant d'effort pour les yeux de s'ouvrir. ... Certes. Et maintenant. Je te l'ai déjà dit, démerde-toi. T'es un grand garçon, moi, je suis juste une voix inutile là pour la narration. Puis finalement elle le fixe - te fixe -, l'air légèrement abasourdi.

L'air de celui qui, lui non plus, ne sait pas réellement où il est. Ce qu'il fait ici. Comment, pourquoi, pour quoi, quelle date ?, quelle heure. Un semblant de sourire amer terni son visage. La vérité se fait ; il est exactement dans le même cas. C'est quoi ce bordel ? Oh, c'est toi qui va aller chercher des réponses, mon coco.

Il tourne la tête, avise le reste de l'avion. Ils ne sont pas seuls. Alors il se baisse, se penche à son oreille, murmure dans un souffle.

▬ Tu ne te souviens pas non plus de la situation, je me trompe ?

Pourquoi à voix basse ? Les autres, il ne fait pas confiance. Les autres, il ne connait pas.

▬ Mais j'ai l'impression que tu ne m'es pas étrangère.

Très fugitive. Une impression, quoi. Mais c'était là, bien présent.
Il désigna le décompte du pouce, tandis qu'il se redressait, sans bruit. Puis la sortie, du menton. Vérifia derrière lui ; aucune affaire. Rien. Il se sentit étrangement seul, ou vide, ou gêné, il ne savait pas exactement. Toujours est-il qu'ils devaient sortir. Il passa devant elle, passa dans l'allée centrale. Ça faisait du bruit devant, derrière. Ça semblait se débrouiller seul. Bien. Regard en arrière. Vérifier si elle le suivait. C'pas ton chien.

Une douleur étrangère remonta le long de sa cuisse alors que son attention était fixée à l'inconnu, mais elle préféra la liberté à l'engourdissement de ses muscles et ses doigts vinrent finalement défaire la ceinture de sécurité qui la tenait plantée au fond de son siège. Vint la vicieuse réalité qui la fit se raccrocher à son regard de secours, il avait le semblant d'assurance qui lui manquait au bord des yeux. Ses mots venaient se coincer au fond de son gosier. C'était tout.

Pas qu'elle manquait de débouchés, mais elle continua de l'observer comme s'il allait résoudre cet immense puzzle. Parce que dans sa tête c'était le chaos complet, un bordel insoutenable qui coinçait les mots au bout des lèvres.

Elle le laisse se pencher, faire ce qu'il a besoin de faire persuadée qu'elle ne va pas tomber plus bas. Ses yeux tournent comme sur un manège, sa main remonte sur son genou dans un spasme alors qu'il traduit exactement ses idées. Hochement de tête imaginaire.
Elle relève deux doigts et vient les poser sur sa nuque. Sentiment de manque, elle cherche. Elle a déjà trouvé une question. Remarque la sacoche au dessus de son siège puis s'y rattache dans le doute. Mais elle y porte un certain intérêt.

Trépigne à la solitude, appel encore imaginaire quand elle le voit plus loin dans l'allée qui se retourne aussi bien qu'elle le fait. Ses pas sont inégaux, mais elle tangue, elle tangue à buter contre les sièges pour retrouver Assurance.

▬ Tu as raison.

Faiblesse.

Alors ? Tu veux ou tu veux pas ?, comme l'avaient dit plusieurs, se copiant, se reprenant, créant un joyeux bordels de notes et autres. Était-il seulement censé savoir, d'ailleurs ? Bah. Il avait d'autres préoccupations dans l'instant présent ; pas le temps de se triturer les neurones pour une histoire de culture G. Il fronça légèrement les sourcils en la voyant mettre son temps. Elle a pas l'air bien ancrée dans la réalité, dis.

Et quelle réalité.

Ses pas hésitent à le suivre. Normal. Comme elle vient de l'admettre, avec cette facilité un peu éraillée, ils ne se souviennent de rien. Et s'il a cette sensation étrange, comme s'il la connaissait, c'était pas forcément réciproque. Deux étrangers. Et qui se réveillent dans un avion, comme ça, pam. Normal. Tandis qu'il entreprend, d'un pas lent, de descendre l'allée, attendant qu'elle le rejoigne, il passe les possibilités en revue. Ce qui ne va pas bien loin. Crash ? Ils sortent ; pas moyen. L'avion n'est pas éclaté, trop intact. Ils y ont été placés ; comme les pièces d'un jeu de stratégie. Ça, plus les décomptes. C'est de trop. Sa démarche mesurée cesse soudain, il s'arrête, plante ses pieds dans le sol. L'attend. Que ses pas au rythme du roulis le rejoignent.

C'est de trop. Elle n'est pas en sécurité ici. Une ville s'étend devant eux. Nulle part elle ne sera à l'abri, il le le sent. Soupir. Rien ne doit lui arriver. Rien ne va lui arriver. Promesse ? Mouais, fais gaffe à tes présomptions, jeune homme. Ses yeux cherchent un contact dans leurs vis-à-vis fuyants, un rien un tant soit peu tangible. S'assombrissent. Il s'étire, dégourdit ses muscles trop longtemps figés.

▬ Et maintenant ?

Drrrrrr:

Deux billes noires et luisantes se teintèrent de doute alors qu'elles roulaient en direction du décompte. A présent elle distinguait des nombres et un temps qui filait assez vite pour la faire reprendre une démarche normale. A sa posture elle se raidit. Elle comprenait le soudain malaise, l'allée unique qui les menaient à l'inconnu. Comme un mauvais jeu dont on avait bousculé les dés sans rien prévoir des règles. Ça venait de se figer. Elle devait avancer. Rien n'est à attendre, tout à obtenir ?

Un peu flippant n'est-ce-pas.

Les derniers mètres passent comme une chute alors qu'il atteint le portique d'embarcation. Elle est venue braquer la sacoche contre son petit corps alors qu'il s'éloigne un peu trop. Elle l'ouvre, extirpe une écharpe de là, la détaille, intriguée, pose une main contre sa gorge, comprend l'idée de manque. Elle s'y cache avant de recouvrir la moitié de son visage. Un peu bizarre. Le parfum étranger. L'étranger de devant. Les pas qui s'égalisent enfin un minimum. Et ce papier innocent qui vient tomber au sol.

▬ Apo... Calypse Now...

Des yeux qui se croisent. On est avancés pense-t-elle.

Tsssk:

Impression de chute.
Ses yeux noirs s’ouvrent. Il les referme presque aussitôt, agressé par la lumière trop forte. Des points lumineux dansent sous ses paupières, closes un instant mais qui ne tardent pas à se rouvrir. Ce qu’il a aperçu l’intrigue. Un avion, qu’est-ce je fais dans un d’avion ? L’homme cherche dans sa mémoire le pourquoi du comment. Remarque en fronçant les sourcils qu’il n’a pas de mémoire. Son esprit est une étendue glacée vide de tous souvenirs. Etrange, vraiment Cette situation l’intrigue.

Il remarque le décompte dans l’avion. 72 heures. Mais 72 heures avant quoi ? Que cette plaisanterie stupide s’arrête ? Qu’il se réveille dans un lit avec des souvenirs ? Ça n’a pas d’importance. L’homme détache sa ceinture de sécurité, et amorce un mouvement fluide dans le but de se lever. Et de sortir de l’avion. Deux choses, ou plutôt deux personnes l’interrompent. Un garçon d’abord, une fille ensuite. Ils passent devant lui sans même le voir, lui qui, par automatisme, a ralenti sa respiration, la réduisant à un souffle presque inaudible. Il est invisible.

Et maintenant ? Il ne sait pas vraiment quoi faire. Le mieux est sûrement de les suivre, qui qu’ils soient. Il y a d’autres personnes dans l’avion, c’est ce qu’il constate en posant les pieds dans l’allée centrale. L’homme ne les regarde même pas. Lees mains résolument enfoncées dans les poches de son sweat à capuche blanc, il s’avance à pas de loups jusqu’à la porte d’embarcation. S’arrête à nouveau, juste derrière la fille qui vient de faire tomber un billet sur le sol.

▬ Apo... Calypse Now...

L’homme à la capuche l’entend marmonner, ce qui est naturel, après tout, il est si près qu’il n’aurait eu qu’à tendre le bras pour la toucher. Apocalypse Now, c’est un film, non ? Un vieux film dont il a entendu parler mais qu’il n’a jamais vu. Le jeune homme devant la fille va sûrement finir par le voir. Au milieu d’une foule, se cacher est une chose facile mais pas dans un endroit où ils ne sont que trois. Alors il s’éclaircit doucement la gorge et murmure :

- Est-ce que je peux passer ?  

Bouh :

Lui est toujours dehors, à examiner la carcasse de l'appareil, sans trop savoir ce qu'il cherchait, gardant toujours la fille en bordure de son champ de vision. Sans même savoir pourquoi, c'était tout simplement hors de question de la laisser seule. Ça pulsait dans son crâne. C'était le seul fait auquel il pouvait se raccrocher pour l'instant.

Il est concentré ailleurs, pourtant le murmure lui parvient comme si soufflé à son oreille.
Il ne sait même pas si ces deux mots lui rappellent quelque chose. Il ne détourne pas le regard, ne tourne pas la tête vers elle, cette fois. Reste fixé sur l'avion, tout mais autre chose. Ses mains viennent alors fouiller ses poches, en tirent quelques menus objets. Son intérêt est porté sur ce qui apparaît comme un ticket de cinéma quand...

Quand une voix de basse résonne doucement en direction de la jeune fille. Le brun fait soudain volte-face, bout de papier entre les mains, toujours, et dévisage l'arrivant. Il a beau porter un genre de sweater informe, sa carrure se laisse deviner. À la limite, ce n'est pas ses gros bras qui le font tiquer. Mais ce type dégage un truc. L'atmosphère lui semble tendue soudain. Ses muscles aussi.

Et elle, elle est juste devant lui.

Ses sourcils se froncent, sa voix ne flanche ni ne vacille sur son « Bien sûr ». Il se jugule, et tente de ne rien trop laisser paraître de cette étrange impression lorsqu'il braque ses pupilles changeantes sur le grand baraqué.

▬ Je suppose que vous n'en savez pas plus que nous ?

Spoiler:

La brise est écrasante. Ses gestes sont imprécis, son souffle est court. Elle tente de détailler chacune de ses actions comme si il ne s'agissait pas des siennes. Elle se sent programmée, enchaînée, balayée  par un vent trop violent, s'attarde sur ce ridicule bout de papier. Pourtant il pourrait tout dire. Tout. Mais elle ne parvient pas à placer de mots sur ça. Rien. C'est un néant un peu trop familier depuis qu'elle a ouvert les yeux. Celui qui la devance est son juste milieu. Si seulement il y en avait un.

Finalement elle se redresse, des mots font leur chemin jusque ses oreilles, la gardant immobile. Elle attrape son masque le plaquant pour venir recouvrir la moitié de son visage. Il ne sont que trois. Le troisième est encore une ombre. A la réponse de son Assurance elle détourne le regard, le braque sur ce troisième. Imposant, sombre carrure, la voix rauque, un regard acier mais des pas aussi peu surs que les siens ou ceux de l'Assurance.

Le monde vient tourner comme un grand manège devant ses yeux sans fond. Rien. On ne sait rien. Elle arrive au niveau du garçon dont les mots parviennent à s'échapper et s'attarde encore sur le ticket.

- Rester ici... ne vas pas aider.

Spoiler:

Le brun le remarque en premier et lance un « Bien sûr », parfaitement contrôlé. Celui-là ne se laissera pas impressionner. Ce n’est pas de toi que j’attendais une réponse, mec. Le type reprend, supposant très justement qu’il n’en sait pas plus qu’eux. L’homme aux yeux noirs hausse les épaules et relève la tête. Il a du mal à l’admettre, mais cette histoire le dépasse. Sa tête est tellement vide qu’il ne sait même pas son nom. Comment pourrait-il savoir quoi que ce soit dans ces conditions. La fille s’approche du garçon au regard changeant, tantôt bleu, tantôt ambré. Elle n’a pas l’air de se souvenir de grand-chose non plus, cependant quelque chose dans leur attitude fait penser à l’homme que ces deux-là se connaissaient.

- Rester ici... ne vas pas aider.

Il s’avance vers eux à pas lents, sans intentions particulières. Il observe, regarde les alentours. L’avion écrasé, la piste et le délabrement du hangar juste en face. Stocke les informations dans sa tête et attend quelques secondes avant de dire.

- Il faut trouver quelqu’un pour nous dire ce qu’il se passe ici.

Chaque mot pesé et pensé avec soin. Rien d’inutile, rien de superflu, juste ce qu’il pense. L’homme fait quelque pas. Analyse encore la situation. Se retourne pour jauger ceux avec qui il partage le sort. Ils n’ont pas l’air tellement inutiles, même si la fille a vraiment l’air… non, pas perdue, plutôt très inquiète. L’autre est d’un calme olympien. L’homme au sweat enlève sa capuche, et se passe la main dans les cheveux. Assez longs pour lui recouvrir une partie des oreilles, apparemment. C’est ce qu’on appelle une amnésie totale… voilà que je ne sais même pas quelle tête j’ai Futile et inutile remarque.

- Venez.

Ou ne venez pas. C’est comme ils veulent, il n’est pas baby-sitter. Pas avec une dague accrochée à sa ceinture. Suivre son propre chemin est une forme de liberté.

Spoiler:

La brune était à nouveau perdue sur une scène où elle était seule à jouer, à se pâmer, à se tourmenter.
Lui pendant ce temps ? Oh rien de bien nouveau, il dévisageai toujours le type à capuche. Dans le plus pur style rottweiler défendant son territoire, sans le regard meurtrier (et on vous épargne même le filet de bave), les crocs et avec une bonne dose de calme en plus.
Quand la jeune fille le rejoint, regard rivé sur un morceau de papier, il se détend tout de même un peu.

Et puis quelle que soit l'impression que cet homme renvoie - tu sais, l'aura de tueur là -, de toute manière, ils ne semblent pas en danger immédiat. C'est pas comme s'ils s'étaient retrouvés avec un sociopathe qui allait les démonter au couteau à cran rouillé à la sortie de l'avion. Il prenait les choses en mains, autorité tranquille.

Le brun acquiesça d'un geste vif.