Non, Ennio était à peu près sûr qu’il ne pensait pas ça du tout. Il ne connaissait pas l’homme blond depuis longtemps, mais il était à peu près certain qu’il n’était pas assez naïf pour penser réellement que les gamins étaient en sécurité. Il ne put s’empêcher de lui décocher un regard noir.

Ennio était de nouveau furieux et peinait à contrôler les traits de son visage, sa bouche menaçant de découper son menton. Il ne savait pas s’il fallait vraiment croire qu’il y avait des loups ici. Mais il n’avait aucune idée de la région du monde dans laquelle il se trouvait et la ville semblait abandonnée depuis un bon bout de temps... La présence de loups ou de créatures similaires tout aussi dangereuses n’était pas à exclure.

Et Ennio n’avait pas l’intention de laisser des mômes en potentiel danger sous prétexte de rassurer la gamine. C’était pas son boulot, à lui. Plutôt celui de l’homme aux cheveux blancs semblait-il. De même, il pouvait difficilement reprocher à l’homme blond de ne pas vouloir agir (même s’il le lui reprochait un peu, quand même). Après tout, il était infirme.

Mais pas Ennio. Ennio ferait ce qu’il y avait à faire.

Il ouvrit la bouche pour parler, mais la referma aussitôt en voyant une nouvelle luciole se présenter devant lui. Devant chacun d’entre eux, en fait. Il vit les deux hommes toucher leurs lucioles. Il soupira et se résigna à faire de même. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’on jouait avec lui, que rien ne prouvait que ces choses leur redonnait vraiment la mémoire, mais la curiosité était plus forte.

Au dernier moment, il songea que la gamine n’avait probablement aucune idée de ce que représentait ces petites lumières. Il aurait voulu l’informer, mais il était trop tard car il se plongeait pour la deuxième fois dans un fragment de son passé...

Dragibus commençait à se sentir de plus en plus à l'aise avec l'homme aux cheveux gris. Les deux autres lui semblaient toujours un peu louches, mais elle faisait de plus en plus confiance au jugement de Tilleul.

Alors qu'ils étaient en pleine conversation, le petite groupe fut interrompu par l'arrivée impromptue de trois espèces de lucioles qui vinrent se poster devant les trois hommes. Avant d'avoir pu dire quoique ce soit, Dragibus les vit, les uns après les autres, toucher ces mêmes lucioles qui disparurent instantanément, les plongeant dans une sorte de légère transe.

Affolée, elle s'écria : "Qu'est-ce qui se passe ? C'est quoi ça ?!"

En temps normal, elle aurait trouvé ces petites lumières jolies et intrigantes, mais après tout ce qui lui était arrivé depuis son réveil, elle commençait à se méfier de tout.

Mais Tilleul avait touché sa luciole. Et les deux autres aussi, de façon tout à fait consciente. Ca ne devait pas être si dangereux, alors, non ?

A ce moment là, une quatrième luciole fit son apparition pour venir se poster juste sous le nez de Dragibus.

"Hoooo..." laissa-t-elle échapper en tendant un main légèrement tremblante vers la petite lumière.

Et la mémoire revient peu à peu à ses petits jouets... Doucement, cruellement. Comme un morceau manquant qui s'emboîte avec hargne à son emplacement attitré.

Dragibus:

Monsieur:

Ennio:

Tilleul:

Tilleul eu un mouvement de recul. Il n'arrivait pas à savoir si ce qui le surprenait le plus, le fait qu'il connaissait enfin son prénom, qu'il était proche de Damian, ou qu'il vivait encore chez ses parents ?...

Il avait vraiment l'air d'avoir une vie de blaireau, mais il fut heureux. Il souriait de toute ses dents. Dragibus aussi avait touché sa sphère, cela le rassura.

Le monde s'éclairera donc un peu pour tout le monde. Ça faisait du bien, de sentir que ça avançait. Ils ne erraient plus vraiment sans but, ils récupéraient des fragments de leur vie, égaré par ci par là.
Vu de l'extérieur ça avait un petit côté jeu vidéo.

Il couru vers Damian, bras tendu,

« Damiaaaaaaaan ! »

Puis se stoppa net.
Ah oui, si ça se trouve il n'a pas vu le fait que l'on se connaissait...
Il essaya de rattraper son erreur en faisant comme si il voulait lui serrer la main.

« Damian, je m'appelle Finn ! Et on se connait ! … Et je vis chez mes parents ! »

Pourquoi je lui ai aussi dis ça moi ?... Tu peux pas réfléchir avant de parler ? Rien qu'une fois ? Pour voir ?

Il ria nerveusement en se grattant la tête.

L'inconscience est un luxe qu'il ne peut, dès lors, plus s'offrir.
Il revient pâle comme la mort, les yeux exorbités, le souffle absent et la gorge sèche. C'était un souvenir. Comme la douleur. Comme le sang. Pourquoi alors ce malaise ? Il tente de s'accrocher à sa fierté, à son identité. Se présenter, mais Tilleul le devance.

« Finn... Et moi, je m'appelle Damian. » répond-t-il bêtement. Nan, franchement, avoir l'impression qu'on vous arrache une jambe, là, maintenant, ça fait perdre toute prestance. Il secoue la tête, tente de sourire, le cœur au bord des lèvres. « Bon. Et si on en revenait à nos Tig... nos loups... » Non, ça ne va vraiment pas. « Pardonnez-moi, je reviens. »

Il tourne le dos, lâche ses coûteuses et précieuses affaires. Damian entre dans une maison, trottinant presque, à la recherche urgente de toilette. Dur à trouver quand on connaît pas la maison, hein ? Il trouve la cuisine, s'en contentera et trébuche à moitié, se retient tout juste à l'évier et vomit. Une fois, deux fois. La troisième, c'est de la bile, ça l’écœure, le fait crachoter. Il ouvre le robinet qui donne... rien. Merde. Un vieux torchon fera l'affaire pour essuyer ses lèvres, un paquet de biscuit que révèle un tiroir lui fera bien passer le goût. Et il s'assoit par terre, mâchonnant son spéculos avec un air absent. Regarde sa jambe étendue devant lui. Il accepte ce passé. Il acceptera tout, il veut redevenir celui qu'il était, qu'importe du reste. Mais pour le moment, il faut qu'il se calme. Que le présent reprenne ces droits.

Il n'y a plus de sang, plus de douleur. Juste du plastique.

Spoiler:

Spoiler:

Il garda ses yeux fermés un moment après les dernières secondes du souvenir, essayant de s’y accrocher, de se rappeler plus que ce qu’on lui avait offert. Car à présent il était certain qu’il s’agissait bel et bien de son passé. Pourquoi ? Lou. Il la connaissait. Il le savait. Et ce souvenir le confirmait. Il ne savait pas comment c’était possible, mais ces petites boules lumineuses leur rendait  effectivement la mémoire. Il devait y avoir une explication scientifique à tout cela, seulement il n’était pas en mesure de la trouver. Il n’était pas scientifique. Non, il était voleur. Ça aussi il s’en était un peu douté. Il en avait les outils et les compétences.

Il revenait à lui avec des sentiments contradictoires. Il était heureux d’avoir la confirmation de ses doutes, de savoir quel était son véritable prénom et à quel point il s’entendait bien avec Lou. Son attirance pour elle n’était pas fortuite, elle datait probablement d’avant sa perte de mémoire et son arrivée dans cette ville. Mais alors qu’il quittait la douce nuit italienne pour se retrouver sous la chaleur écrasante du soleil de midi, l’amertume l’envahit. Il avait besoin de retrouver Lou, de savoir qu’elle allait bien... De sentir encore une fois sa petite main dans la sienne.

Giuseppe (puisque c’était son nom — et c’était un beau nom puisque c’était comme cela que Lou l’appelait dans son souvenir) ouvrit les yeux lorsque l’homme aux cheveux blanc s’exclama s’appeler Finn, connaître son compagnon blond et... habiter chez ses parents.

Ces dernières paroles finirent d’extirper Giuseppe de son souvenir. Il dut faire un effort considérable pour ne pas dévisager l’homme aux cheveux blancs — Finn — et ne pas le juger. Mais sérieusement, n’était-il pas un peu vieux pour vivre chez ses parents ? Peut-être que c’était la couleur de sa chevelure qui induisait en erreur.
Giuseppe choisit de faire comme s’il n’avait rien entendu.

Il posa son regard sur le blond — Damian, semblait-il — pour le voir aussi pâle que la mort, des gouttelettes de sueur perlant sur son front. Giuseppe fronça le sourcil. D’eux tous, c’était celui qui semblait avoir eu le souvenir le plus désagréable. L’italien le regarda partir vers la maison devant laquelle ils se trouvaient, probablement pour se remettre de ses émotions. Giuseppe choisit de ne pas le suivre, préférant lui laisser sa dignité.

Il se tourna donc vers Finn et l’adolescente.

« Je pense qu’on devrait quand même aller vérifier à la gare que ces enfants vont bien, dit-il, le ton déterminé, choisissant délibérément de ne pas parler de son souvenir. »

Et quoique les autres décident, c’était ce que lui allait faire.

Son sourire s'évanouit lentement, au même rythme que les façades des maisons qui l'entouraient réapparaissaient autour d'elle. Ce n'était... Qu'un rêve. Un doux rêve dans lequel elle n'était plus seule. Elle avait des amies... Deux amies dont les prénoms résonnaient encore à ses oreilles : Geneviève et Sofia.

Ses amies, qui n'étaient plus à ses côtés.

Elle cligna des yeux. Elle était tombée sur les fesses quand elle avait touché l'espèce de luciole. Elle avait perdu conscience et fait ce rêve.

Apparemment les autres aussi avaient rêvé. Tilleul bondit comme une furie vers le blond qui faisait moins peur, maintenant qu'il avait l'air un peu malade. Et qui s'appelait apparemment Damian.

Restée seule avec le brun taciturne, Dragibus se releva malgré ses jambes tremblantes.

Tilleul s'appelait Finn, le blond Damian, et Dragibus...

"... Amanda." murmura-t-elle pour elle-même, comme pour rendre cette nouvelle information plus tangible.

"Je pense qu’on devrait quand même aller vérifier à la gare que ces enfants vont bien" annonça l'homme sombre.

"On n'attend pas le retour de Monsieur, euh, Damian ?" demanda Dragibus.

Elle était soulagée que l'homme sombre prenne les choses en main et souhaite partir à la recherche de ses anciens comparses, mais elle ne comptait pas abandonner une personne de plus.

Apparemment, elle s'y connaissait déjà pas mal en abandon et en solitude. Elle ne voulait pas que ça continue.

Le comportement de Damian étonna Finn. Il ne l'avait jamais vu aussi vulnérable. Même quand il était tombé dans le train il n'était pas devenu aussi pâle que ça. Il avait lâché ses affaires. Finn fit quelques pas pour le suivre puis fit finalement demi-tour. Il se baissa et ramassa les petites richesses de son Monsieur.

« Je pense qu’on devrait quand même aller vérifier à la gare que ces enfants vont bien »

Et l’hôpital alors ?... On va plus à l’hôpital ?...

"On n'attend pas le retour de Monsieur, euh, Damian ?"

Finn s’avança vers la maison

"Ne bougez pas hein, je vais le chercher, et on arrive tout de suite !"

Il fit un sourire à Dragibus

"Promis on ne se sépare pas !"



Une fois à l'intérieur il allégea son pas. Sans doute que Damian préférait être seul. Mais il avait le sentiment qu'il ne fallait pas rester longtemps ici...

« Damiaan ? C'est Finn ! On devrait pas tarder à bouger... »

Il fit le pas de trop et découvrit le blondinet avachis parterre en train de mâchonner un speculos. Il ne savait pas quoi dire, il avait conscience de violer un moment intime. Il bredouilla.

« Ah oui, vous faites bien de manger, vous êtes tout pâle ! »


Il se sentait très maladroit..

Arrête de te comporter comme une grosse dinde, arrête de te comporter comme une grosse dinde tu n'es pas sa mère...

Finalement, il lui tendit la main.

« Les autres nous attendent, on ferait mieux de se dépêcher ! »

Dans le silence, les bruits de pas dérangent sa tranquillité. Il a envie d'être seul, merde. Et soudain, il n'a surtout pas envie que quelqu'un le voit comme ça, avachi, encore pâle, encore mal. Il veut de se lever, de s'éloigner, fuir, ou éloigner l'opportun, tiens, puisque c'est lui qui n'a rien à faire ici ! Une foule de sentiment qui se trouvent balayés par la voix de Finn.

Oh.

Lui ça va. Vraiment ? Ouaip.

Damian ne sait pas pourquoi, mais lui, il le tolère. Preuve en est qu'en voyant sa tête, il a juste envie de lui lancer un truc à la tronche, mais ne le fait pas. Il le regarde de ses yeux clairs, sans expression, se demande s'il va le questionner. Il espère que oui, il pourra le questionner en retour et savoir c'est quoi cet histoire de connaissances et de parents. Il espère que non. Pas envie de répondre lui même. Mais non, ce sont des paroles attendrissantes qu'il dit, qui lui arrachent un soupir rieur. Et quelque part, il se dit que c'est juste bien comme ça. Il prend la main qui lui est tendue, tolère qu'on... non, que Finn l'aide à se remettre debout, son paquet de spéculos toujours à la main.

« Spéculos ? Sa voix est encore un peu enrouée, faiblarde. Il doit se reprendre. Rassis juste ce qu'il faut pour être tout juste mou. »

Pas le choix, il lui met dans les bras. Pas besoin de s'encombrer. Sautillant jusqu'à sa canne, il l'attrape, se remet à marcher, constatant avec désagrément que son boitillement est accentué, l'impression de douleur toujours là. Chier. Il lance un regard à Finn, lui intimant le silence et se contredit en parlant.

« Allons y alors. Alors... On se connaît... » ça expliquerait pourquoi il n'a pas envie de lui sauter à la gorge, malgré tout. Puis il se rend compte qu'il a presque honte de dire la suite. « J'm'en souviens pas. » Pourtant, c'est normal qu'il ne s'en souvienne pas ! Enfin, non, pas du tout normal. Mais ici, si. Flexible, la raison, flexible.

Il attrape un sac qu'il croise, le juge digne de ses affaires, fourre ce qu'avait Tilleul dans les mains dedans, continue à avancer. Sort. Pas un mot, pas une explication. Et encore moins un mot d'excuse. Pas son genre. Juste un regard pour Finn, un regard un peu moins dur. Et aux autres, rien. Il se renferme sur lui-même.

« Bon, on y va ? »

C'est lui qu'on attendait ? Oui, et ? Monsieur énervant n'est pas Monsieur pour rien...

Giuseppe hocha la tête en entendant le prénom de la jeune fille pour signifier qu’il l’avait bien enregistré. Il semblait que chacun d’entre eux venait d’obtenir son prénom. Il était d’ailleurs le seul à ne pas l’avoir donné aux autres et il était encore trop sur la réserve pour le faire.

Il allait signaler que non, il n’avait pas l’intention de partir sans Damian quand Finn décida d’aller le chercher. Giuseppe ne savait pas si c’était une bonne idée. L’homme avait sans doute besoin d’être seul, mais il ne l’empêcha pas non plus de le rejoindre. Après tout, aller vérifier qu’il allait bien n’était pas une mauvaise idée non plus.

Giuseppe se retrouva seul avec Amanda pendant quelques instants. il n’avait pas pensé à ça. Merde. La gamine semblait craindre de se retrouver seule. Elle avait sans doute besoin de réconfort. Pas d’un silence embarrassant comme celui qui s’installait. Il se gratta l’arrière de la tête d’un air un peu gêné.

« Euh... »

Il parlait tellement peu que sa voix était devenue rauque. Il s’éclaircit la gorge avant de continuer :

« Je m’appelle Giuseppe, au fait. »

Que seule l’adolescente le sache pour l’instant lui convenait bien. Il était à peu près sûr qu’elle ne lui poserait pas plus de questions.
Il songea à ajouter autre chose, lui demander comment elle allait, mais Finn et Damian revinrent pour son plus grand soulagement. Il ne s’offusqua pas quand le blond montra des signes d’impatience. Tout ce qui importait à Giuseppe pour l’instant, c’était de retourner à la gare le plus rapidement possible et essayer de retrouver les autres enfants perdus.

« On y va, confirma-t-il. »