Elle l'arrêta. Le stoppa dans sa vaine marche automatique. Elle voulait qu'il parle. Mais lui, il ne voulait pas. Parce qu'il savait que quoi qu'il dirait, ça plomberait encore plus le moral de la brune. Et ça, il ne voulait pas. Il n'y avait rien à faire, rien à dire, juste partir. Partir, et espérer oublier. Mais l'espoir était mort. Mort avec son répondant. Il lui aurait bien dit de partir maintenant, de quitter ce parking, ce noir, ce sang, de filer sans l'attendre, parce qu'il n'en pouvait plus. Mais Novembre était égoïste, dans sa faiblesse. Alors il se tut pour qu'elle reste. Pour qu'elle ne le laisse pas. Et s'en voulut aussitôt.

Dans un geste sans doute attentionné, Hécate leva la main vers lui. Et toucha un souvenir fourbe, venu se glisser entre eux. Son exclamation acheva de le réveiller totalement. Qu'avait-il encore provoqué ? La sphère disparut dans la main d'Hécate. Et vu les circonstances, il se douta qu'elle n'allait pas aimer. Elle n'avait pas besoin de ça. "Dans quelle merde" l'avait-il "encore fourrée", cette-fois ?

« Désolé... »

Il savait qu'elle n'entendait pas. Mais peu lui importait. Peut-être qu'elle comprendrait quand même ? Qu'à son retour, tout irait mieux ? Doute. Lancinant, implacable. Certitude d'être déçu. La réalité était autrement plus cruelle, plus complexe. Incontrôlable. Elle échappait constamment à l'idée qu'il s'en faisait.

Le bout du chemin. Voilà, où il était. Devant lui, le vide. Plutôt mourir que de faire demi-tour. Alors il sauta. La métaphore était assez parlante. "Il se jeta dans les bras d'Hécate" aurait peut-être convenu à son action, si la brune avait été en état de conscience pour le réceptionner. Seulement ce n'était pas le cas. Mais il enfouit tout de même son visage dans le pull de la brune, pris d'un soudain élan de faiblesse. Pire qu'avant. Comme si tout ce qu'il avait accumulé depuis son arrivée à Nulle-Part avait besoin de s'exprimer, de sortir, de se déverser hors de lui par ce simple contact.

« Désolé... Pour tout. Désolé... »

Oui, "désolé". Désolé d'avoir été con, désolé de t'avoir laissé voir ça, désolé d'être faible, désolé de même pas être foutu de te ramener aux autres. Désolé. Sursaut nerveux. Reniflement. Et il savait pertinemment ce qui allait suivre. Il savait mais en même temps il ne voulait pas. Il ne voulait pas mais il ne pouvait pas contrôler. Larme. Larme. Larme. Autre larme. Larmes. Silencieuses. Incapable de les retenir, Novembre. Elles auraient pu être de peine, de joie, de colère ou d'amertume, il n'aurait jamais pu faire la différence. Pour lui c'était des larmes, juste des larmes, et c'était faible. Parce qu'il était nul, et que dans cette Ville, rien n'allait comme il le voulait. Tout lui échappait, glissait, se retournait contre lui. Et contre elle. Et ça, c'était impardonnable.

Non, Novembre. Redevenir fort. Penser à autre chose. Tout, rien, ça n'avait pas d'importance. Alors il se souvint de la baffe d'Hécate. C'était bête, mais c'était toujours mieux que les disputes blessantes, le sang encore omniprésent dans son esprit et les mots acérés. La gifle, c'était la secousse, le détonateur, l'électrochoc. Se ressaisir. Réguler sa respiration, lentement. Avant qu'elle ne reprenne conscience. Avant qu'elle ne voie plus en lui que le minable qu'il était.

Fini les reniflements. Fini les larmes nouvelles.

Et pas le temps d'essuyer les traces de sa faiblesse dans la manche de son sweat.

Cruelle mémoire, douce Mémoire. Elle, Elle savait tout. Elle aurait pensé le rire, si Elle n'avait pas été exténué. Malgré ses règles, malgré ses lois. Elle aurait ri.

Hécate:

Et merde. Oui, voilà. Il n'y avait rien d'autre à penser. Il aurait du être celui qui la prendrait dans ses bras. Ç'aurait du être lui qui la consolait quand ça n'irait pas bien, lui qui s'inquiétait pour elle quand elle pleurait, lui qui lui posait les questions douces avec les regards insistants. Pas l'inverse. Il n'avait qu'une envie : disparaître six pieds sous terre pour échapper à cet ultimatum que lui lançait Hécate. Et en même temps, il aurait voulu que cet instant dure toujours. Il essaya de sourire. Essaya. En vrai, ça devait plus ressembler à une grimace à cheval entre le sourire forcé et la moue tristounette. Mais bon, il avait fait un effort.

« Nan c'est rien, c'est... La poussière. »

Haha. Très malin, Nov'. Crédibilité : moins quatre-mille cinq-cents. Bravo. Bien joué. Reprendre contenance. Rapidement, il essuya ses joues d'un geste du bras - dans la manche de son sweat, quelle classe. Techniquement, ça n'allait pas mieux, mais il fallait dire que pleurer, ça faisait du bien, quand même. Et Hécate n'avait pas assisté au massacre, donc tout allait bien.

Tant qu'il ne repensait pas à tout ça. Les idées étaient toujours là, mais plus abstraites. Son cerveau les avait rendues abstraites pour son propre bien. Trêve de plaisanteries douteuses, foireuses, nécessaires. Sa mine redevint sombre. Il coula un regard gêné vers le fond du parking.

« On sort ? J'tiens pas à savoir ce qui... Enfin... »

Quoi, "ce qui a tué Hawkeye" ? Oui, c'était à peu près ça, sa phrase. Mais pas devant Hécate. Pas devant lui-même, non plus. Pas encore. Plus tard. Quand il aurait accepté. Repousser l'idée, pour le moment. L'enfouir au plus profond de lui-même, ou bien l'expulser en même temps que les larmes. Oublier. Hécate commençait à partir. Il avait peur de l'avoir encore vexée. Cette fille avait vraiment tout ce qu'elle voulait de lui, au final, c'était effrayant. Et surtout, surtout, il voulait se débarrasser de ce fardeau. Ce n'était pas celui de la brune, mais il tenait à laisser derrière lui l'épisode du parking. Y compris ce qui concernait L'Hidalgo. Il la rattrapa par le bras. Ce qui avait découlé du parking, ce qui avait trait à l'horreur de Nulle-Part, il voulait l'enterrer ici. Le dire une fois, et se taire à jamais sur la question. Oublier, c'était lâche. Mais il refusait d'accepter.

Finalement, après cet épisode du parking... Il faisait de nouveau confiance à Hécate. Peut-être bien plus qu'aux autres, même.

« Attends. C'est... Je le connaissais. »

Il avait envie de fermer les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. Ou les rouvrir loin du parking, au choix. À la place, il rendit à Hécate son regard sérieux, presque défiant. Elle n'avait pas besoin d'en savoir plus. Et lui, il n'avait pas besoin de l'entendre raconter son souvenir si elle ne voulait pas le lui dire. Voilà, c'était comme ça, c'était tout. Chacun sa vie, chacun ses secrets. Même s'il aurait aimer partager d'autres moment avec elle qu'un coup de stress intense enfermé dans un placard alors que le danger guettait. Et Nulle-Part, n'était-ce pas l'occasion de tout recommencer ? C'était son défis à la Ville. Tant qu'elle ne lui avait pas pris Hécate, elle ne lui avait pas tout pris.

Des excuses. Hécate s'excusait. Il ne rêvait pas, là ? Il n'était pas reparti dans le monde décalé et irréel du choc ? Elle avait l'air gênée, mais sincère. La scène avait quelque chose de comique, de son point de vue. Ou alors c'étaient juste ses nerfs qui lâchaient totalement et tout lui donnait envie de se taper une barre solo pour rien. Mais non, bien sûr que non. Ses nerfs, ils avaient déjà lâché. C'était fini, maintenant. Et même si la fragilité de sa condition actuelle ne lui permettait pas vraiment d'être certain de ne plus craquer de si tôt, il espérait que ça n'arrive plus.

Mais déjà, il avait oublié le craquage. Au profit des grands yeux verts. Ils étaient proches, si proches... Et de nouveau, elle l'embrassa. Nouveau tourbillon d'émotions, tandis que son cœur faisait un nouveau bond dans sa poitrine. Et nouvelle sensation, aussi. Une impression de douceur, sur ses lèvres. Déjà, elle l'entraînait vers la sortie. Ô joies de se faire trimbaler partout par une fille et de suivre comme un gentil petit caniche. Ce n'était pas n'importe quelle fille, non plus. Mais sérieusement, il n'était pas habitué à ce genre de situation. En tous cas le croyait-il.

Mais si c'était à refaire, il la laisserait de nouveau mener la danse. Il aurait la prochaine. Bientôt, peut-être ? Il se surprit à en vouloir encore. À vouloir goûter une nouvelle fois aux lèvres d'Hécate. Ils passaient la maudite porte du fond du super-marché. Libération. Sorti du parking. Enfin. Les rayonnages poussiéreux lui avaient presque manqué. Ils s'étaient arrêtés, ou avaient ralenti, il ne savait plus bien.

Il était grand temps de redevenir le Novembre d'avant le parking. Ou un mixe de celui d'avant et celui d'après. Enfin bref, de rassembler ce qui lui restait d'assurance et de sortir d'ici. Dans sa main droite, Hécate, dans l'autre la valise. Le chemin du retour, il le connaissait. Sciemment, il l'évita. Enfin, le prolongea, plutôt. Ils passèrent donc devant le magasin de vêtements, mais il ne daigna pas s'arrêter, malgré un long regard hésitant à l'enseigne de la boutique. Il n'avait pas entendu Décembre râler, donc elle et Calvetti ne devaient pas encore y être. Ils avaient le temps, non ?

Combien de minutes avaient-ils perdu, là-bas ? Et combien ne regrettait-il pas ? La proportion était faible, mais la valeur non négligeable. Couloirs, allées, le centre commercial était assez vaste, finalement. L'allée principale était juste là, ils n'auraient plus qu'à aller tout droit pour emprunter les grandes portes principales... Mais non. Il bifurqua juste avant pour se retrouver dans un long corridor bien plus étroit que la grande allée, n'ayant pas lâché Hécate du trajet. C'était presque... Amusant, cette exploration faite un peu au pifomètre. Ça avait quelque chose d'exaltant, malgré la gravité de la situation.

Devant eux, une issue de secours. Avec la pancarte verte et le bonhomme dessiné dessus, presque effacés par le temps.

« C'est notre sortie », fit-il, presque victorieux à l'idée d'enfreindre les règles sans que personne ne vienne l'enquiquiner pour ça.

Presque parce qu'il appréhendait légèrement la suite des évènements. Qu'allaient-ils trouver, derrière ?

Il poussa la porte, ne pensant plus qu'à la brune, et à lui faire oublier ce parking malsain.

Ils quittaient peut être un lieu malsain pour en retrouver un autre...?

Ils étaient face à un escalier qui montait. Ils gravirent les marches sans doute longtemps avant de se retrouver face à un croisement qui séparait l'escalier en deux. La voie qu'ils prirent les amena face à d'autres marches qui montaient toujours. Elles finirent par déboucher sur une porte coupe-feu.

En l'ouvrant, ils furent peut être surpris par le changement de lumière. La pièce était éclairée par des néons bleus. Et elle sentait le chlore. Hécate et Novembre étaient dans les gradins d'une piscine. Une porte au loin donnait sur des vestiaires. Le grand bassin leur faisait face. En s'approchant, ils pourraient remarquer que l'eau était rougeâtre. Et des traces de pas colorées semblaient s'éloigner du bassin pour se diriger vers la sortie...

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