On n'est pas des branquignols !

14h-16h

Wesh ma gueule, que s’est-il passé ? Ses oreilles se sont d’un coup débouchées, le laissant pantois quelques instants, quelques minutes, quelques heures ? Impossible de savoir. Il matte sur son MP3 le décompte infernal et pige très vite qu’y’a eu décalage horaire. Sa mère la pute, il aura pas l’temps d’cligner les yeuz qu’il s’ra déjà ieuv dans ce bled de merde.
Y’a plus personne autour de lui. Ses yeux se plissent. Il tend avec un plaisir certain une oreille, mais aucun son ne lui parvient. Calme lugubre. Il s’insurge dans sa barbe, pailletant le silence de quelques injures fleuries. Bon. Qu’est-ce qui reste à faire quand on est dans c’genre de galère ?
Il avise un bloc de béton, s’en approche et y pose son cul. Rien à faire, sinon réfléchir. Pas de précipitation. Il sort son paquet de cigarettes qui s’vide à vitesse grand V, ronchonne encore un coup à l’idée qu’en plus d’être dans cette demer, il pourrait ne plus avoir de clopes, s’en grille quand même une parce qu’il faut bien s’remonter le moral comme on peut.

Ses pensées se bousculent mais à la première taffe, il les remet dans l’ordre. Sert à rien d’se zéref, de bader dans l’vide, t’façon, il a bien pigé qu’il n’a aucune prise réelle sur ce monde ouf. Mais c’est mort, c’est pas un soumis. Elle la lui mettra pas à l’envers sans qu’il s’bouge. Puis, c’qui est cool, c’est qu’lui, c’est un rageux. Et les rageux, ils ont pas peur d’s’en prendre plein la gueule pour arriver à leurs fins. Une fin. C’est c’qui lui faut s’il veut pas crever rekdi. Quand on est dans une société fléau, où la loi du plus fort encule tes libertés, il existe toujours, dans les ombres, les p’tits malins qui tordent les mécanismes de la dictature, qui s’immiscent dans la moindre de ses failles pour claquer des chicots et rotka leur dignité. Nique le système !

Il doit être un p’tit malin.

Elle a beau être la reine d’la jungle, Elle a forcément un envers du décor qu’avec un peu d’chnek, il va trouver. Ses sourcils se froncent alors qu’un sourire vient jouer sur ses lèvres. Il vient d’se trouver un objectif qui colle parfaitement à ses émotions du moment : tout faire pour La niquer.

Un tourbillon d’incompréhension. Une incapacité à comprendre ce qui arrivait et pourquoi. Puis, un regard sur ce qui l’entourait pour comprendre qu’il n’était plus du tout là où il aurait dû se trouver. Un souvenir fugace de ce qu’il s’était passé, des égouts, un homme étrange, rejoint par un autre, lui restant loin et ne prêtant qu’une oreille inattentive à ce qui semblait être des retrouvailles, et puis… Plus rien, le néant. Qu’avait-il bien pût se passer ? Sentant ses jambes flageoler, le jeune garçon pris appui contre un mur. Un bref regard à ses pieds lui fit se rendre compte qu’il n’est pas encore complètement dépaysé, en effet, de l’eau encore et toujours. De plus, ses algues lui donnait l’impression de se balader dans de la vase. Mais restait une question : Comment était-il arrivé là ? Il réalisa soudainement l’ampleur de ce qui venait de se passer et, à la recherche d’informations, il jeta un regard à sa montre digitale. Quatre heures ! Il venait de perdre quatre heures ! Les scénarios se dessinaient déjà dans sa tête. Il était possible de bouger un corps en quatre heures, c’était même très facile, mais comment faire pour que le concerné n’en ait pas mémoire. Il tâta rapidement sa tête qui ne croisa aucune blessure pouvant témoigner d’un quelconque coup ayant pu l’assommer. Il ne sentait également aucune trace de strangulation. Somnifère ? Peu probable, faire ingérer une substance n’était pas si aisé, et il se souviendrait nécessairement de quelque chose… Hypnose peut-être ? Plus probable mais cela impliquerai de croire en la magie même si celle-ci avait des fondements scientifiques. Peut-être qu’il n’aurait pas dû tant s’éloigner de l’autre type.

Rien ne servait de rester planter à se poser des questions qu’il ne pouvait éclaircir. Il opta donc pour de l’exploration. Son jean déjà mouillé commençait à le coller et une sensation désagréable accompagnait chacun de ses pas. Il n’aimait pas les contraintes humaines pour ça. Ce genre de sentiments les pénalisaient plus qu’ils ne les aidaient. Son regard à la recherche du moindre indice pouvant témoigner de sa position, il réfléchissait à pourquoi l’avoir conduit ici. Qu’est-ce que cela pouvait apporter à ses bourreaux ? Voulait-on qu’il voit quelque chose de particulier ?

Soudain, il se stoppa. Il venait de voir de la fumée un peu plus loin. En petite quantité, cela ne pouvait signifier qu’une chose : une cigarette, et donc, quelqu’un qui prenait le temps de la fumer. Caruso s’accroupit pour se faire plus discret. Ami ou ennemi ? Tant qu’il ne serait pas fixé, il devrait rester à distance. Dans cette histoire, n’importe qui pouvait tirer les ficelles. Il observa un instant ce qui semblait être un jeune homme vu la carrure. Mais aucun moyen de connaitre ses intentions, mais vu les airs, ce n’était pas quelqu’un de la haute société, mais qu’importait à vrai dire. S’il voulait comprendre quelque chose, il fallait bien se lancer. Il se redressa et s’approcha du jeune homme assis. À voir le larron, il était typiquement le genre de type à sortir de ses gonds facilement alors autant peser les mots.

-Je suppose que toi non plus tu ne sais pas ce que tu fais là, et que tu ne sais pas plus qui tu es.

Voilà qui était subtile ! Mais les mots lui étaient venus ainsi. Il ne parvenait pas à s’incommoder de ces formules de politesse et de ces petites tournures qui étaient là pour faire plaisir à l’interlocuteur. Seules les informations avaient du poids.

-Tu peux me dire où on est exactement ? Et tant qu’à faire, j’ai quelque chose à craindre de toi ou non ?

Il devinait qu'il avait du jeter un regard un peu sombre à ce type, rien contre lui mais question d'habitude. Avec un peu de chance, il parviendrait à glaner quelques renseignements. Mais sans doute qu’il ne se ferait pas une place dans le cœur de ce type… Comme sans doute beaucoup de gens à l’avenir.

Putain, c’est ouf comment ça peut se consumer trop vite une clope. L’seul point positif qui le rassure, c’est que, comme il n’se remet rien d’son passé, y’a pas le regret de moments plus heureux. Il ricane. P’tetre que c’putain de cauchemar n’est qu’le reflet d’une vie merdique qu’il a quittée en sombrant dans la chnouf.
Il n’a pas l’temps d’pousser la réflexion plus loin qu’ton arrivée attire son attention. Imperturbable, il se redresse même pas. Il a décidé de plus s’fier à ses nerfs. Mauvais plan qu’de laisser son sale caractère prendre le dessus. C’pas pour autant qu’il t’accueille cordialement. Visage fermé, mais pas agressif.
Il t’observe, sans en avoir l’air. T’es pas c’qu’on pourrait appeler la représentation d’une menace. C’pas pour ça qu’Wesh s’fie à ces apparences. Tout doit être trompeur. Imperceptiblement, ses muscles se tendent. Au cas où.

Je suppose que toi non plus tu ne sais pas ce que tu fais là, et que tu ne sais pas plus qui tu es.

Depuis qu’il est arrivé, il n’a pas eu l’temps de faire un brin d’causette à qui qu’ce soit. Trop d'trucs de ouf pour qu'il garde son sang-froid.
Il ne le montre pas, mais rien qu’cette intro lui plaît. Ca résume bien l’blempro.

Tu peux me dire où on est exactement ? Et tant qu’à faire, j’ai quelque chose à craindre de toi ou non ?

Il prend le temps de souffler une taffe, lentement, sans te quitter des yeux. C’est dérangeant. Presque méprisant. C’pas d’sa faute, il aime jouer au caïd. Mais surtout, ça lui laisse le temps d’te guètguèt encore un peu, essayer d’déduire c’que tu vaux. C’que tu veux. Si lui a quelque chose à craindre de toi.

Wesh mec, si j’te dis j’suis réglo, t’s’rais assez con pour m’croire ?

T'es pas si con. Il le sait. Il glisse l’embout d’sa clope entre ses lèvres, tire dessus de nouveau, pépère, avant de reprendre de sa voix grave, aux intonations hachées.

A c’que j’en sais, on est dans une putain d’tour, entourée d’un putain d’fleuve, avec un putain d’pont invisible.

Demon chtarbé quoi. Le formuler ainsi fait fuir les vestiges de sa rage ancienne, violente, refroidissant totalement sa colère, la teintant de résolutions menaçantes. Il va La niquer.
Ses lèvres s’étirent en un sourire goguenard alors qu’il se redresse lentement, trainassant des épaules, dissimulant inconsciemment la nervosité de ses membres, la vivacité de son corps sous une attitude flegmatique. Wesh, il t'pèse. S’approche de toi, t'rodave toujours d’un oeil pénétrant. Provocateur, parce qu’il n'sait matter autrement un inconnu.

Ca t’avance ?

Et marchant lentement, il décrit un demi-cercle, face à toi, t’observant franchement de la tête aux ieps, sans réelle animosité.

Et oit ? T’m’apportes quoi ?

Le mec était resté stoïque du début à la fin. Cela signifiait beaucoup. Première chose, aucune surprise à sa première phrase, c’était un peu comme une validation de son hypothèse. Quelqu’un ne comprenant pas soit poserait la question, soit montrerait une surprise quelconque sur son visage, pouvant même s’illustrer par un haussement de cils. De plus, le garçon garda un calme apparent indéniable. Cela témoignait de deux choses. La première, qu’il ne se laissait que peu déborder par les évènements, il devait être quelqu’un qui savait ne pas paniquer en cas d’urgence. La seconde : il n’était pas en position de faiblesse, loin de là, il était en position de force et il le savait sans doute.

Wesh mec, si j’te dis j’suis réglo, t’s’rais assez con pour m’croire ?

Dans un premier temps surpris par le langage du type, Caruso se rendit compte qu’il devait avoir des yeux gros comme des soucoupes, puis secoua la tête pour se ressaisir. Il allait devoir s’y faire et traduire les propos dans sa tête à chaque fois… Pourvu qu’il ne parle pas trop vite… Il se remit à prendre une bouffée de nicotine avant de reprendre.

A c’que j’en sais, on est dans une putain d’tour, entourée d’un putain d’fleuve, avec un putain d’pont invisible.

Une tour ? Un fleuve ? Et surtout… Un pont invisible ? Qu’est-ce que c’était que ces foutaises ? Passons l’histoire de la tour au milieu du fleuve qui expliquait peut-être l’eau sous leurs pieds, mais pour le reste… Il fallait arrêter de le prendre pour un gamin, un pont invisible… Peut-être un pont en verre ou un trompe l’œil, mais pas de l’invisible à proprement parler. En supposant que le pont ait existé, il avait dû rejoindre la tour en passant dessus… À moins qu’il ne se soit fait téléporter lui-aussi…

Le garçon se leva enfin et se rapprocha lentement… Caruso soutint son regard, hors de question de baisser les yeux pour trahir un quelconque signe de nervosité, même s’il était loin d’être serein dans son esprit.

Ça t’avance ?

Cette fois c’est à lui de sourire. Le genre de sourire un rien supérieur qu’il garde uniquement pour les moments où on le sous-estime, le prenant pour un gamin, alors même que des conjectures se sont déjà tissées dans sa tête. Ce moment où il commence à faire peur à son interlocuteur, à la condition évidente de ne pas se tromper.

Et oit ? T’m’apportes quoi ?

Son sourire s’étendit un peu. Ce garçon-là comprenait la situation dans laquelle ils se trouvaient. Il fallait que chacun ait sa petite utilité pour pouvoir ébranler ce système dans lequel ils étaient tous tombés.

-Pour répondre à ta première question, oui, ça m’avance. Je sais pour commencer que tu es dans la même situation que moi, sinon tu aurais bronché à ma première question. Je sais ensuite que tu n’as aucune intention hostile à mon égard, sinon tu ne m’aurais pas posé cette question pour me tester, et encore moins sous cette forme-là. Pour la suite, il y a deux possibilités. Soit tu es partis en exploration venant d’un lieu différent de la tour et passant par ce fameux « pont » que tu m’as cité tout à l’heure, soit quelqu’un t’en a parlé et donc cela voudrait dire que tu étais avec un groupe duquel tu as été séparé. Bien évidemment, il est possible que ces deux explications soient vrais c’est-à-dire que tu sois venus avec un groupe en passant par ce fameux pont, et cela expliquerait bien mieux comment tu as pût trouver un pont « invisible ». Car tu avais quelqu’un pour couvrir tes arrières. Je peux également affirmer que quel que soit le cas, je ne suis pas ton premier contact humain dans cette ville, toujours à cette réaction dont tu as fait preuve lorsque je me suis présenté à toi. Veux-tu retrouver quelqu’un ? Où t’es-tu séparé d’eux volontairement ? Ou veux-tu continuer à explorer cette tour ? Ce sont celle-là les vraies questions.

Il mit enfin une pause à son long discours, fermant une paupière et levant un cil vers son interlocuteur afin de jauger sa réaction, son regard vert pétillant de malice.

-Cela répond à ta deuxième question ? Ou préfèrerais-tu savoir ce que j’ai vécu pour en arriver là ? Si c’est des informations que tu veux je te conseille de poser les bonnes questions.

En général il ne se donnait pas la peine de répondre aux questions qu’on lui posait, mais la situation était différente. Il sentait en quelque sorte que ce gars-là lui ressemblait. Et cela n’allait que pour lui plaire.

Wesh, moins d’gaz la pipelette. C’pas pour te vexer, mais ça s’voit sur ta gueule qu’t’en as dans l’ciboulot. Pas la peine d’lui en faire une démo par une logorrhée d’trois piges.
Wesh s’contente d’acquiescer, sans commentaires. Ton attitude aurait l’don d’lui taper sur l’système, mais allez savoir, pour le coup, ça l’amuserait presque ta volonté d’lui étaler tes raisonnements comme d’la confiture. Ta cascade de questions aussi. Au moins, il n'a plus l’impression d’faire un putain d’sur-place. Pis, l’univers d’la frime n’est pas méconnu chez lui. C’est l’apanage des jeunes qu’de chercher la considération des plus ieuv.

Il a stoppé son p’tit manège et s’est immobilisé près de toi, terminant sa clope, avant d’lancer le mégot, d’une chiquenaude, plus loin. Toujours à tenir ce regard fixe sur toi. Il cherche pas à t’foutre mal à l’aise, mais la confiance règne pas ici. L’est ptetre supérieur à toi physiquement, mais loin d’être suffisamment abruti pour s’fier qu’à ses poings et croire qu’le corps prévaut sur la tête. Et toi, t’as l’air d’en être une de tête. Il calcule vite qu’vous allez p’tetre pouvoir vous être utiles l’un à l’autre. Et y’a qu’comme as qu’on peut faire du bizbiz ensemble dans c’te monde.

J’ai que dalle à t’fournir en info. A part qu’t’as l’impression d’être sous LSD tout l’temps ici. T’sembles pas être al d’puis bien longtemps. Comme oam. Mais j’ai croisé des types qui avaient l’air d’savoir où ils allaient.

Même phrasé rythmé qui n’laisse que peu de doute sur les origines sociales de Wesh. Il s’gratte le front sous sa casquette, réfléchissant à c’qu’il peut lâcher encore. Jusqu’où ça vaut l’coup d’taper la discute.

J’sais pas si t’as capté, mais ici, les keumé ont tendance à disparaître vite aif. J’ai vu du demon, mais pas l’temps d’piger grand-chose. T’sais quoi oat sur c’te putain d’ville ?

Il s’demande si c’était vraiment malin d’balancer qu’finalement, il sait rien, sert à rien ? Faut pas croire. Il doute pas qu’deux mecs dans la même direction valent mieux qu’un. Surtout quand ils ont autant rien à voir et qu’ils ont l’air aussi dusper l’un qu’l’autre.

Wesh, ça fait un moment qu'j'stagne al, vaut mieux s’arracher avant d’s’faire ruiner par je n’sais quoi.

Pas la peine de d’mander ton opinion. Il est convaincu qu’on peut qu’être d’accord avec lui. Convaincu également qu’pour l’moment, faut faire route ensemble. Si tu suis pas, c’est ptetre juste qu’t’étais pas si malin qu’ça. C’est pour ça qu’il s’barre le long du couloir, t’surveillant toujours du coin d’l’œil, au cas où t'serais pas si tranquille que ça.
Il a pas fait cinq mètres qu’il reprend tout en sortant son mp3 sur lequel clignote le décompte.

Wesh, avec ta dégaine, t’as plutôt l’air d’être un geek qu’le roi d’la salle de sport, t’sais pas à quoi ça sert cette demer ? C'pas mon kiff ça.

T’vexes toujours pas. Il t’insulte pas. Décrit juste une réalité apparente, sans intention d’blesser. Pas assez con pour mépriser.

Pas sûr que le jeune homme est aimé le discours de Caruso, pourtant, cela fit sourire celui qui venait de sortir sa théorie. Être agréable ou non, là n’était pas la question. Il valait bien mieux donner l’impression que l’on tirait des ficelles invisible car il ne pouvait pas vraiment se défendre autrement. Lorsque son interlocuteur se stoppa tout en continuant de l’observer, Caruso retint un peu son souffle. Il était en train de passer un test, nul doute là-dessus, restait maintenant à savoir s’il était accepté ou non. Pour se détendre un peu l’esprit, il se fit intérieurement la réflexion que se jeter de mégot était impressionnant, et donc que son vis-à-vis n’en était pas à sa première cigarette.

J’ai que dalle à t’fournir en info. A part qu’t’as l’impression d’être sous LSD tout l’temps ici. T’sembles pas être al d’puis bien longtemps. Comme oam. Mais j’ai croisé des types qui avaient l’air d’savoir où ils allaient.

Là ça devenait intéressant. Peut-être avait-il réussit son fameux test, trop tôt pour en être sûr encore. Mais surtout, savoir que certaines personnes savaient ce qu’elles faisaient. Il fallait trouver ces gens-là et s’armer en conséquence. La personne qui possédait le plus d’informations était aussi l’une des plus suspectes dans cette affaire. Tout était bénéfique.

Des personnes disparaissaient, n’est-ce pas ? Rien de surprenant, surtout par rapport à ce fameux compteur qu’ils arboraient en permanence… Et puis ce lieu ne semblait pas être totalement dénué de danger. Vint ensuite le fameux échanges d’information, mais cela le frustrait. Non pas parce qu’il ne voulait pas en donner, mais parce qu’il se sentait pauvre. Il manquait trop d’élément à tout ça pour déterminer la moindre chose.

-Je ne pense pas savoir grand-chose que tu ignores. Je suis arrivé ici par un train, lorsque je me suis réveillé, ma montre digitale me montrait un compte à rebours. Mais j’ignore ce qui se passe lorsque celui-ci tombe à zéro. Un souvenir c’est infiltré en moi en touchant une « boule » lumineuse, mais… Qui me dit seulement qu’il m’appartient ? Si on est les pions d’un échiquier alors…

On pouvait leur faire croire ce qu’on voulait pour mieux les manipuler. Oui… Et cela ne l’aurait pas surpris. L’homme lui balança alors l’option : sortir des ruines. À dire vrai, peu importait à Caruso, il ne voulait pas jouer le jeu qu’on lui dictait, et lorsque la situation changeait, il fallait laisser jouer le hasard, ce que les joueurs expérimenté ne pouvait pas contrer. Il suivit l’homme sans un mot. Plongé dans ces pensées.

Wesh, avec ta dégaine, t’as plutôt l’air d’être un geek qu’le roi d’la salle de sport, t’sais pas à quoi ça sert cette demer ? C'pas mon kiff ça.

Un petit rire. La description qu’on venait de faire de lui ne pouvait pas être plus exacte, il le savait, et il l’assumait entièrement. Il ne se sentait pas de taille à faire un bras de fer avec qui que ce soit, sauf peut-être avec un enfant, là il aurait peut-être une chance. En voyant le mp3, que lui tendait l’homme, sur lequel on voyait défiler le compte à rebours, ses sourcils se froncèrent. Ainsi tous les comptes à rebours ne se situaient pas sur des montres ? Étrange… Leur programme devait être très performant quel qu’il soit. Et puis une pensé vint à son esprit, soudainement. En repensant à la totalité du contenu de ses poches il se rappela… Et si… ? Si un décompte fonctionnait sur le mp3, cela signifiait qu’il fonctionnait encore, et donc qu’il était bien fournit en électricité, et par conséquent... Le petit blond fouilla frénétiquement dans ses poches. Il en tira une paire d’écouteurs qu’il brandi pour les tendre au garçon.

-Ton appareil est encore en état de marche. Je ne sais pas du tout ce que ça peut faire, mais branche-les et écoutons s’il y a la moindre chose à écouter, chacun une oreille. En toute logique, il ne devrait rien se passer. Mais…

Qui ne tentait rien n’avait rien, n’est-ce pas ? Et lui avait envie de tenter, il espérait que son nouveau partenaire le voulait lui aussi.

... Alors, faut les mettre à l'amende ces sales fils de pute qui nous prennent pour des ionp.

La voix se fait presque joviale. Wesh est calme. Wesh est presque pas vulgaire. Mais faut pas compter sur. Suffit d’le voir avancer d’son allure nerveuse pour comprendre qu’dans ses veines, c’est pas un fleuve tranquille qui coule. Rien qu’à l’regarder marcher dans le couloir de pierres, on pourrait croire entendre gronder l’animal.
C’est qu’la pause est terminée, et qu’là, il repart en croisade contre la tepu qui lui a causé toutes ses misères. Rien qu’d’se sentir sur son territoire attise son irritation. Savoir qu’ils sont dépendants d’sa volonté lui donne envie d’gerber.
Wesh est libre, mec. Faut pas déconner.

Tout en étant aux aguets, le regard vrillé au noir, il intègre c’que tu lui racontes, notamment cette histoire de boule lumineuse. Sa race, c’quoi l’délire ? Sont dans un demon parallèle ou quoi ? L’garçon aime pas douter d’sa propre existence.

T’sais, refré, ché pas c’qu’on fout al, mais c’qui contrôlent ont l’air d’bien s’marrer. Et moi, j’kiffe aps qu’on s’foute d’ma gueule…

Tu veux bien l’croire n’est-ce pas ? Vu son visage qui perd de plus en plus l’peu d’aménité qui s’y égarait. Y’a du sang qui s’remet à bouillir. Alors qu’on l’manipule, qu’il existe ou qu’il existe même pas réellement, il s’en cogne. Niquer tout, c’est c’qui compte. Et tant qu’à faire, autant l’faire proprement, d’la manière la plus intelligente pour faire l’plus mal possible. Analyser l’adversaire et ses coups. Versqui quand c’est possible, mais encaisser quand il l’faut. Pour enfin pouvoir s’ruer dans les ouvertures. Passer d’la défensive à l’offensive et tout déchirer. La vie, c’comme être sur le ring.

Une fois sorti son MP3, il a ralenti le pas, s’est presque arrêté. Il stoppe vraiment quand tu lui agites les écouteurs sous le zen. Un simple haussement d’épaules. Il y croit pas trop, ayant déjà trifouillé le baladeur. L’écran est québlo sur l’compteur, impossible d’afficher les ziks. Puis, d’puis qu’il s’est pris sa dérouillée auditive, il s’méfie d’c’qu’on veut lui approcher des oreilles. Enfin, si tu veux tenter oat, t’es libre.
Il récupère donc tes écouteurs, relie le cordon à son mp3 et te fout rekdi une oreillette dans l'oreille. Un rictus lui retrousse le coin d’une lèvre. Il grommelle.

Nique sa mère.

Wesh, il peut pas t’laisser ça tout seul. Comme tu l’as si bien sous-entendu, faut s’attendre à tout ici et il doit passer près d’aucune info. Enculé d'sa race. Son front s’est encore rembruni alors qu’il étouffe d’une colère froide la légère appréhension naissante. Wesh a reups de rien et c’est pas la salope omniprésente qui va l’faire pisser dans son froc. C’est pour ça qu’même si t’es attentif à sa réaction, tu pourras pas caler la moindre hésitation dans son geste lorsqu’il insère l’autre oreillette dans l’creux d’son oreille. Il la lâche pas d’manière à la retirer en deuspi si y’a une couille.

Mine désabusée, mais l’attention au taquet.

Silence.

Un chuchotement, des grésillements. Un semblant de discussion qui semble venir de loin. Ou d’un autre temps peut-être. Une voix claire résonne alors dans l’oreillette que tient Caruso. Une voix de femme qui demande « Vous l’avez enfermé alors ? » d’une voix inquiète. Wesh lui, entend la réponse à cette question, la voix d’un homme, pas très assuré non plus « Oui… Tango l’a attiré et l’a enfermé sous la trappe. » De nouveau le silence dans l’écouteur de Wesh tandis que la voix féminine revient dans celui que tient Caruso, une voix presque tremblante « Il l’a attiré ? Mais comment ? C’est trop dangereux ! ». La voix d’homme reprend, baissant d’un ton, devenant presque un murmure dans l’oreille de Wesh « Il l’a attiré, grâce à Optimus, il l’a attach.. » « Neptune ? De quoi tu parles ? » La voix d’un autre homme vient interrompre la discussion, une voix presque en colère. Et tout coupe, le silence revient.

En tendant ses écouteurs, le sourire de Caruso s’étendit. Ce type là… Il n’avait pas eu tort de se fier à lui. Il n’avait pas non plus l’intention de se laisser manipuler, et tout dans ses dires semblait signifier qu’il était prêt à tout pour donner les pires difficultés à ces gens qui se servaient d’eux. Tout était de très bon augure. De tous ceux qu’il avait rencontrés, ce type était de loin le plus fiable. Si l’un comme l’autre avait la même détermination pour ébranler la fondation de ce plan gigantesque qui se tramait et dont ils étaient le centre, alors… Oui, ils allaient leur donner du fil à retordre ! Ils voulaient des pions ? Ils allaient tomber sur des adversaires ! Et quoi de mieux et de plus satisfaisant que de retourner un plan contre son utilisateur. Il fallait maintenant obtenir les informations qu’il manquait et frapper un grand coup. On ne gagnait pas une guerre par le hasard, et même si ils étaient en position de faiblesse, cela n’allait pas durer.

-Je n’aime pas qu’on se foute de moi non plus. Je te suis, quelques soit la personne qui se sert de nous, je te jure que ce sera sa première et dernière erreur. On ne tombe pas toujours sur des gens coopératif. Je trouverai la faille du système, aucun n’est à l’abri d’un bug dans lequel un virus peut se faufiler. Et cela causera leur perte.

Cela marchait de la même manière que lorsque l’on installait les logiciels « alliés ». Lorsque l’on n’y prêtait pas attention, ce genre de logiciel installait par la même occasion les malware, des petits programmes que l’on ne désirait pourtant pas de base.
Le garçon qui lui faisait face finit par lui mettre directement l’oreillette dans l’oreille tandis que Caruso laissa échapper un petit cri de surprise. Décidément, ce type était totalement imprévisible, et il était loin de s’attendre à ça. Après une vague hésitation, et un léger juron que toutes les génitrices trouveraient flatteur, il finit lui-même par placer son propre écouteur.

Tout d’abord rien. Vaguement déçu, Caruso s’attendait au moins à un son qui pourrait lui permettre d’analyser le programme, le petit blond s’apprêta à ôter l’écouteur mais c’est à ce moment précis qu’il entendit la voix d’une femme… La voix d’une femme ? Pourquoi ? Comment se faisait-il qu’il entendait ça dans un mp3 portant un décompte ? Puis plus rien. À nouveau la voix de cette femme, plus rien, puis enfin un râle humain, avant le vide.

Caruso ôta l’oreillette, décrocha les écouteurs avant de les fourrer dans sa poche. Enfermé… Attirer quelque chose de dangereux… Neptune… Tout ça n’avait aucun sens, il passait à côté d’une chose essentiel il le savait. De plus…

-Tu as entendu un dialogue incomplet n’est-ce pas ? Moi une femme, à la voix, demandait si il « l »’avait enfermé en affirmant que c’était dangereux de l’attirer. Puis un certain Neptune… Mais tout ça n’a aucun sens… Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une de tes bandes sons pas vrai ?

Question rhétorique, il n’en doutait pas une seconde. Mais comment ? En réalité, on pouvait répondre à cette question… Un brouilleur muni d’une antenne pour transmettre la piste sonore sur l’appareil portable, c’était tout à fait possible. La nouvelle question était pourquoi ? Pourquoi décider de leur révéler ses choses… Pour éviter de découvrir leur programme ? Ainsi cela n’aurait été qu’une diversion ? Non… C’était quelque chose de plus psychotique encore… Caruso se tendit regardant autour de lui. On le faisait jouer à un jeu et il n’aimait pas ça.

-Je ne comprends pas… Mais avançons, rester statique ne nous apportera rien. Nous réfléchirons à ce dialogue en marchand.

Sur ces mots, il attendit que le garçon lui montre la voie.

T’as vraiment pas l’air d’un bouffon. Et ton plan de geek provoque chez Wesh un grommellement d’appréciation. Il s’méfie toujours, parce que, quoiqu’il arrive, l’a du mal à lâcher sa confiance avec un keum. T’aurais été une meuf, avouons qu’l’histoire n’aurait pas été la même. Mais y’a pas à dire, Wesh sent pas l’vice en toi. Et Wesh a assez confiance en ses jugements. T’as pas la gueule d’un guerrier, mais faut toujours avoir dans son équipe des talents divers. Et ta détermination, il la kiffe. Nan, vraiment, y’a pas à dire, t’es pas un bouffon. Et parce qu’il est pas ingrat, parce que t’as l’air plus jeune et qu’faut toujours encourager les mectons quand ils empruntent la bonne voie, il t’adresse un hochement de tête approbateur. Sa gueule de con, par contre, se déride pas. Les circonstances le permettent aps.

Il réagit pas à ton cri d’fillette, trop préoccupé par c’t’histoire d’oreillette. Dès qu’la voix du type résonne dans son oreille, sa main a un mouvement de repli, très vite interrompu alors qu’il visse mieux l’écouteur afin de bien tout capter. Les sourcils se froncent. Il pige que dalle à c’qu’il raconte l’autre connard. Tango. Optimus. Neptune. C’quoi ces blazes pouraves, sa race. Des noms d’code de merde ? Ca lui f’rait davantage penser à des robots, mais la voix avait pourtant des sonorités bien humaines. Le silence se fait. Il gronde.

Zyva, c’quoi ces conneries ?

Son regard noir se porte sur toi. A ta question, il t’agresse direct, en arrachant l’écouteur de son oreille et en t’le tendant brusquement, attendant pas qu’tu l’récupères pour le lâcher.

Sisi. Crari j’écoute une telle daube. Sa mère la pute. J’me bute rekdi.

L’est guère agréable, mais ça se voit qu’c’est pas contre toi. Flippe pas. Il pète pas un plomb. En guise d’assentiment à ta proposition d’avancer, il reprend sa marche, électrique.

T’vrais garder l’oreillette, nan, si ça s’r’met à tchatcher. J’garde l’mp3. Chemar à coté d’oam.

Traîne pas trop, parce qu’il a l’air pressé d’sortir d’cet infâme couloir. Y’a plus de Wesh flegmatique. L’accalmie aura duré l’temps d’une clope. Ses pas se font nerveux. Il a retrouvé toute la tension qui l'maintient en vie.

Wesh, Neptune, c’est l’mec qui parlait chez oam apparemment. Il a répondu à ta meuf qu’Tango « l’ »avait attiré et « l’ » a enfermé sous une trappe. L’a attiré grâce à Optimus qu’il a attaché. L’autre fils de pute a interrompu. Putain, ça m’fout la haine d’être pris pour un con, c’était quoi wesh.

Son cerveau s’active mais à vrai dire, il a à peine envie d’réfléchir sur ça. D'la branlette intellectuelle, voilà c'que c'est. On lui lâche des morceaux d'info pour mieux l'niquer. C'coup-ci, il f'ra pas l'erreur de foncer tête baissée. Il maugrée de nouveau, rasant les murs.

Wesh, ils nous prennent vraiment pour des cons. ...
... Tu connais ces noms oat ? Si c’est pas l’cas, c’sert à keud d’se branler là-d’sus. On verra plus tard. Faut qu'on s'casse.

Wesh, mais où ?

Ce garçon était impulsif, nul besoin de le connaitre pour s’en rendre compte. Caruso le regarda attentivement. Il espérait qu’en cas de pépin, il ne se jetterait pas tête la première sans prendre le temps de réfléchir. Quoi que, si cela devait arriver, ce serait son rôle que de le calmer et de réfléchir tactique. Il en ressentait la responsabilité, encore plus et étrangement depuis qu’il avait vu cette chose lui être présenté comme un souvenir. Peut-être qu’il s’agissait vraiment de son passé après tout… Mais, quoi qu’il en soit, rien ne servait de s’appesantir sur le passé. Mieux valait se tourner vers l’avenir.

Lorsque le garçon reprit la marche, il dut faire de grandes enjambés pour parvenir à le suivre. Il tenait un rythme endiablé… Avait-il peur ? Était-il en colère ? Une chose était certaine, quelque chose pesait sur sa conscience. Mais qui ne réagirait pas de même dans une telle situation ? Non, vraiment il comprenait, mais espérait qu’il ne réagirait pas toujours de cette manière.

Lorsqu’il reprit avec attention les propos qu’il manquait à Caruso, sa voix vibrait de ce qui semblait être de la colère finalement. Une colère de ne pas comprendre, une colère de ne pas savoir quoi faire, une colère qui avait besoin d’être évacuée…

Wesh, ils nous prennent vraiment pour des cons. ...
... Tu connais ces noms oat ? Si c’est pas l’cas, c’sert à keud d’se branler là-d’sus. On verra plus tard. Faut qu'on s'casse.

S’il connaissait ces noms ? Bien sûr que non… Qui pourrait connaître des noms par… Minute… Il n’avait pas pensé aux noms, préférant se concentrer sur l’identité du « il », mais il était vrai que ces noms sortaient de l’ordinaire. Des noms de codes… Il pouvait s’agir d’agents secret ou alors…

-Peux-tu me donner ton nom s’il te plait ? Ou alors me donner un pseudonyme par lequel je puisse t’appeler en cas de danger ? « Hé toi ! » risque de ne pas suffire… Appelle-moi Caruso.

Cette question simple en apparence était loin d’être anodine. En effet, il cherchait bel et bien comment appeler ce garçon mais surtout, il avait bien insisté sur le mot « pseudonyme ». Il voulait lui faire comprendre son raisonnement, même s’il n’était pas sûr de lui à cent pourcents. Juste quatre-vingt-dix pourcents pas plus. De ce qu’il avait vu jusqu’à présent, la totalité des personnes qu’il avait croisé étaient des personnes dites « perdues » : elles étaient laissés là sans le moindre souvenir. Or, comment pouvaient-ils faire pour communiquer les uns avec les autres ? La réponse semblait évidente. Bien sûr cela ne répondait pas à toutes les questions. Ils ignoraient encore qui était ce « l’ », qui étaient ces gens, si cela venait de se produire ou si c’était antérieur à leur situation. Mais cela permettait de savoir une chose : on leur avait communiqué des évènements qui se déroulaient ici même. Bien entendu il en faudrait plus pour valider son raisonnement mais en l’absence d’hypothèse plus fiable, il considérerait celle-là comme acquise.

-Je suppose que tu as compris où je voulais en venir. Mais il reste un problème. Si cette chose n’a pas été supprimée du système, et que ces gens en font bien parti, cela veut dire que cette… « Chose » peut provoquer d’énormes dégâts aux alentours… Et si l’appât était bien un homme, alors…

Caruso ne voulait pas évoquer cette possibilité. On ne cherchait pas seulement à se servir d’eux ici… Ils faisaient partie d’un jeu. Un jeu ou l’on ne semblait pas pouvoir gagner, mais en revanche où l’on pouvait perdre. Et la conséquence d’une défaite était terrible… Continuant de longer ce couloir sans fin, Caruso se permit un soupir avant de se raffermir à l’extrême. Ne jamais lâcher l’objectif de vue… Trouver la faille, l’exploiter, et se sauver lui, mais aussi tous ceux qui faisait partie de ce projet. Là, seule, était la vraie victoire, celle auquel ces gens s’attendaient le moins, et sans doute celle qui les répugnait le plus. Elle était la victoire que voulait le blond. Pas nécessairement pour sauver tous ces gens, il n’était pas bon à ce point, mais bel et bien pour anéantir les manipulateur. Ébranler leur programme, faire comprendre qu’il leur était supérieur en tout point.

T’as tout faux, mec. Et ouais, Wesh n’est pas un impulsif, même s’il en a tout l’air. Si toi, tu t’bananes sur son compte, l’Autre f’ra p’tetre la même erreur. C’est tout bon. Ca n’peut que vous servir. Wesh, il a l’œil de Rocky. Pas b’soin d’réfléchir trois piges pour cogner dès qu’ça ouvre. Wesh, il a l’alerte du bon boxeur. Pas possible d’réfléchir quinze piges pour obliger l’autre à ouvrir. C’est tout. C’est ça qui fait mal.

Wesh.

C’pas la réponse à ta question, juste la ponctuation à ta présentation. Mais t’as qu’à l’prendre tout comme. Y’a tellement d’échanges qui s’construisent sur un malentendu. Caruso. Bienv’nue dans la galère, frère.

J’ai pas d’blaze wesh. ‘Fin, pas d’connu en tout cas. Comme oat, okay.. J’pige mieux. Les keumé s’raient donc dusper aussi..

Le temps d’une respiration, d’repenser à la discut et il poursuit.

Et y’a un d’ces connards qui donne l’ambiance rekdi.

Il l’avait déjà senti. Déjà senti qu’ici, c’ta iev qu’tu joues. Qu’tous les autres sont des prédateurs potentiels. Qu’faut être sur ses gardes. Il zieute pas vers toi. C’sert à quoi d’plus ? Essayer d’t’percer à jour ? Première impression : t’as pas d’vice. Hormis l’orgueil ptetre ienb, mais ça fait avancer, autant qu’la rage. Wesh, y’a rien à faire d’plus. Seul, il est keud ici. Y’a pas à douter qu’y’aura l’occasion d’s’prouver qu’on peut s’faire vraiment confiance. Il finit ta phrase.

Alors... C’est la jungle, mec. Et dans la jungle, t’inquiète, c’pas l’plus fort qui survit. C’le plus malin.

Le plus fort, c’est le plus malin. Il a chuchoté. Dans sa voix, y’a comme un sourire mauvais pour c’que vous Lui réservez. Il sait c’qui s’passe dans ta tête. Les conclusions qu’t’es en train d’tirer.

T’vas d’voir aller au-delà d’tes limites, refré, s’tu veux pas crever.

Ca fout sacrément les pétoches, nan ? Mais tranquille, tu pues pas la reups, t’as des couilles, il le sent. S’inquiète aps. Parce qu’un mec qu’a reups, c’est un mec dangereux. Y’a quelque chose d’rassurant chez Wesh aussi. L’acceptation d’la possibilité de crever. L’acceptation d’la possibilité d’tuer. Comme si, savoir qu’des types en butent d’autres plus faibles raffermit sa volonté d’niquer l’système. Wesh, il croit quoi l’autre ? Qu’quand tu t’résous à écraser les autres, t’vas mieux t’en sortir ? T’entres dans Son jeu, connard. Tu peux donc crever.

Mieux vaut crever qu’d’perdre sa dignité.

Marmonne-t-il encore entre ses dents avant d’retrouver un ton normal rageux.

Sa race, y’a pas d’putain d’porte dans c’putain d’couloir ?

Une petite boule lumineuse, de la taille d'une balle de ping-pong, s'approche doucement. Elle flotte. Jusque sous le nez du keumé sans blaze aux allures de racaille. Parce qu'Elle suit ses règles à la lettre, même lorsque c'est à contre-cœur.

Spoiler:

Il met pas longtemps à capter l’approche de la boule lumineuse. Wesh ma gueule, ça éclaire aps c’te ketru. Pas suffisamment pour voir clair dans c’couloir. Il la suit des ieuz, circonspect, jusqu’à c’qu’elle stagne devant lui. Pas d’inquiétude. Il n’a pas oublié les propos de Caruso à ce sujet.

Sa mère la pute.

Et provocateur, il gobe la pastille vers son sépa, vers une hallu. Qu’importe. D'un mouvement de menton brute. AARH.

Le passé s'insinue dans la mémoire de Wesh, pour y retrouver sa place. Petit fragment de l'avant...

Wesh:

Dans un premier temps, le petit blond pensait que la réponse à sa question était acquise lorsque l’homme l’avait ponctué d’un Wesh. Il ne comprit son erreur que par la suite lorsqu’il expliqua qu’il n’en avait pas. Cependant, ce nom ne lui convenait pas si mal et mieux valait trouver rapidement une appellation.

-Tu seras donc Wesh, ce nouveau nom t’appartient.

Il avait lancé ça avec un sourire. Mine de rien, il appréciait bien ce type, et pourtant, il ne pensait sincèrement pas y parvenir au premier coup d’œil. En réalité, avait-il déjà apprécié quelqu’un ? Quand il voyait la méfiance avec laquelle il regardait chaque personne qu’il rencontrait, il ne parvenait pas à répondre à cette question… Et puis, il avait l’esprit très vif. Il l’avait suivi dans son raisonnement presque instantanément. Et puis cette fameuse phrase qui résumait parfaitement la situation. La jungle, le plus malin, oui… C’était on ne peut plus vrai. Ils étaient lâchés là, dans un domaine hostile et dangereux, mais se contenter de courir au hasard en défonçant tout et en priant pour trouver une sortie ? Ce n’était pas suffisant, c’était même idiot.

-Comme tu dis. L’humain n’est pas l’espèce doté de la plus grande force, mais ce qui fait sa suprématie, c’est sa création et son imagination, pas ses muscles.

Et quoi de plus égal pour contrer un humain qu’un autre humain ? Et comme le gars venait de le dire, il n’avait aucune intention de mourir ici. Pourtant, la suite de la citation de son camarade le laissa perplexe. Mieux valait mourir que perdre sa dignité ? Dans la tête de Caruso ce n’était pas tout à fait le cas.

-Je ne suis pas tout à fait d’accord. Quitte à mourir, mieux vaux mourir pour l’accomplissement d’une tâche. C’est ce que moi j’en dis tout du moins.

Un nouveau sourire avant de se tourner vers son partenaire.

-Mais c’est la diversité des points de vues qui fait la force d’un groupe, l’exploration de toutes les possibilités.

C’est alors, tandis que son associé présentait l’évidence qu’il n’y avait aucune porte, qu’une nouvelle boule de lumière, ce même type de boule que Caruso avait déjà vu, vint flotter devant Wesh. Mais ce n’était pas le plus surprenant, le plus surprenant fut de voir le garçon la gober littéralement. Caruso du faire de grands yeux sur le coup de la surprise mais se ressaisit très rapidement tant bien que mal. Avoir un point de vue externe de ce type d’ « évènement » ne pouvait être qu’une bonne chose. Mais tout ce qu’il vit, attendant patiemment, fut un homme qui se tenait debout, les yeux perdus dans le vague pendant quelques secondes. Lorsque celui-ci sembla en état de réagir de nouveau, il le fixa.

-Alors, verdict ? Qu’as-tu vu ? Tu penses que c’est réel ?

À première vue, il ne semblait pas affecté par quoi que ce soit, mais savait-on jamais.

Wesh te matte de manière morne lorsque tu te décides à le baptiser ainsi. Mais à ton sourire, il lâche un mouvement de tête. Te zieute quelques instants et finit par laisser filtrer un semblant de sourire. Tu l’amuses y’a pas à dire. Encore plus quand tu lui fais part de ton avis.

Les deux sont pas incompatibles wesh. S’rester digne qu’de crever pour c’qu’tu crois.

Lâche-t-il avant d’voir arriver la boule et d’la gober.

Lorsqu’il revient à lui, ses ieuz te fixent, sombres. Il met pas longtemps à retrouver tous ses esprits, malgré quelques fourmillements dans les extrémités. A force d’se manger des coups, on encaisse mieux, probablement.

Il garde un instant le silence, réfléchissant à c’qui vient d’lui arriver. S’il pige bien, si c’est bien sa iev qu’il perçoit par fragments, là-bas, il s’tape un double jeu. Pourquoi être obligé d’jouer un rôle pour s’en sortir ? Pourquoi ce rôle-là précisément ? C’quoi c’mépris des autres enculés ? Le visage de son frère tourne dans sa tête autant qu’un nombre incalculables de questions. Jusqu’au point noir. Lorenzo. Ses poings se contractent. Un sourire mauvais étire les lèvres.

T’sais quoi mec ? J’crois qu’on s’fout bien d’not’ gueule, encore. J’ai r’vu un bout d’ma iev. Qui semble si vraie. Après t’poses d’questions, et pendant qu’tu réfléchis à quel connard t’étais, t’cherches plus à t’sortir d’c’te demer. J’suis pas un putain d’bolos qu’attend qu’de s’faire vissèr par son leurdi. C’une putain d’diversion.

Lozenzo mes couilles. Ca lui servira à queud’ d’s’taper la tetê pour comprendre c’qu’on daigne lui lâcher comme info. Si c’bien sa vie. Aucune certitude. Que des questions. Il balaie. Un coup d’œil sur le mp3.

Il a remonté, wesh…

Un grognement d’vant la question supplémentaire. Ca l'amuse d'vous faire péter des câbles hein ? Faut plus lui donner c'plaisir. Il t'jette un coup d'oeil, souffle d'une voix vénéneuse.

Faut vraiment qu'on la nique.

Sourire déterminé. Et il reprend la marche dans le couloir où il fait de plus en plus sombre. Faut qu’vous trouviez la salope derrière tout c’bordel.

On dirait qu’y’a une putain d’porte au fond.

Une lumière dans la pénombre. Oui, c'est bien un souvenir, un souvenir qui vient tourner autour de Caruso, agaçante petite luciole. Mais Elle aime tellement leur compliquer la vie...

Spoiler:

C’était un fait, le garçon avait encore toute la santé qu’il avait déjà auparavant. Mais soit dit en passant, il aurait été étrange qu’il en soit autrement. Il était possible que ses « bouts de leur vies » ne soit présent que pour les troubler, c’était bien vrai mais… Mais pourquoi leur donner ? Pour les troubler, parler de leur passé était une bonne idée… Mais il y avait d’autres manières de procéder et qui pouvaient être tout aussi efficace. Les monter les uns contre les autres était par exemple un système efficace et non couteux, alors pourquoi ? Ses souvenirs… Lorsque Wesh parla de cette montée subite de temps sur son mp3, presque instantanément, Caruso jeta un œil à sa montre. Il n’avait pas pensé à vérifier ce détail ! Quel débutant ! S’il voulait saisir toutes les subtilités des règles de ce jeu, il fallait absolument qu’il prête attention aux choses qui semblaient dérisoire ! Il n’avait dans le cas présent plus aucun moyen de vérifier l’hypothèse de l’homme, n’ayant aucune idée du temps qu’il avait fallu pour le déplacer jusqu’à cette tour…

En effet, il fallait vraiment se reprendre en main, sinon, il ne ferait pas long feu. Il en avait la quasi-certitude au fond de lui et ça ne lui plaisait pas. Mais en ce cas, si les souvenirs représentaient une « durée de vie » supplémentaire, alors il s’agissait d’une récompense ? Mais un récompense à quoi ? Que c’était-il passé ces deux fois qui puissent faire en sorte qu’ils soient récompensés ? Un comportement peut-être ? C’était du moins ce qui semblait le plus probable. Mais auquel cas, pourquoi un souvenir était une « récompense ». Si ce n’était… Et si dans leur passé, ils avaient fait quelque chose qui les avait conduit à être détesté et à se trouver en ce lieu présent ? Et si les souvenirs leurs étaient présenté comme une récompense à traquer car grâce à eux ils pouvaient « comprendre » ce qu’ils avaient fait de « mal » ? Et si tous ceux qui se trouvaient en ces lieux étaient liés… En ce cas, il ne s’agissait pas d’une population sélectionnée complètement au hasard depuis le début. Ils avaient tous fait quelque chose qui les rassemblait en ce lieu. Y compris cette voix enfantine qu’il avait entendu dans les égouts ? Mais pourquoi un gamin ? Et si son hypothèse se vérifiait, il se pouvait que Wesh et lui-même soient tous deux lié d’une quelconque façon… Mais comment ?

Ce fut finalement cette personne qui interrompit le cours de sa pensée, signalant une porte au bout du couloir. Oui… Il fallait qu’il parle de son raisonnement à ce garçon, au moins comprendre s’il devenait fou ou si cette réflexion restait rationnelle. Mais avant qu’il n’ait pu divulguer quoi que ce soit, une nouvelle boule lumineuse vint se poser à côté de lui… Ses sourcils se froncèrent. Il voulait des réponses, et ses réponses il ne pouvait peut-être que les avoir ainsi…

-Prends soin de mon corps pour moi.

Et il toucha la sphère.

La mémoire lui est rendue, telles sont les règles qu'Elle a édicté, et auxquelles Elle ne déroge pas.

Caruso:

Wesh sent qu’ça s’agite dans ta caboche. Il regrette vraiment aps d’faire route avec toi. Il sait qu’il est loin d’être un teubé, qu’il peut s’montrer réfléchi quand il l’faut, mais y’a pas à dire, gamberger ça l’saoûle. Il s’veut un mec d’action. Et vous lui en donnez l’occaz, toi et tes lunettes d’intello. Pas qu’il compte s’reposer sur tes frêles épaules et ton cerveau développé, mais juste rebondir sur tes raisonnements. Et pis faut bien s’l’avouer, t’as une façon d’voir les choses plus mécaniques qu’lui.

Il guette d’un regard noir la lumière s’approcher, s’arrête pour se tourner face à toi. Hochement de tête entendu.

Compte sur moi, frère.

Et pour l’coup, c’pas juste histoire de, cette affirmation. Même si pour l’moment Wesh t’confirait pas sa iev, il s’fait un devoir moral d’préserver la tienne. Parce qu’c’est ça aussi la dignité. L’respect de l’autre. C’est souvent dur d’s’y t’nir quand on t’méprise. Dur d’s’y t’nir dans la sèremi. Avec tous les enculés qui peuplent les villes. Un plissement des lèvres alors qu’il revoit les gosses de son souvenir qui l’taillent. Ouais, c’est auch d’se montrer moins con qu’les cons quand ils s’attaquent à ta dignité. Mais là… Un sourire creuse deux fossettes dans les joues d’Wesh alors qu’il t’observe. Toi, tu gesju aps. Tu mérites sa considération. Ou au moins, qu’il soit digne pour oit.

Pendant qu’le vide s’fait dans tes yeux, Wesh s’met à réfléchir quand même, tout en surveillant les alentours. Il aurait bien chétou en même temps qu’toi la sphère, mais il avait b’soin d’vérifier un truc. Son poing s’ferme et part en un crochet contre ton menton. Attaque éclair dont la violence est parfaitement contrôlée. Juste d’quoi t’sonner un peu sur le coup. T’faire légèrement mal pendant quelques minutes. Rien d’chanmé.
Wesh observe les réactions. Pas la moindre en apparence. T’sors même pas d’ta léthargie.
Sa race, tipar dans ses souvenirs, c’être vulnérable dans c’monde-ci. Ca craint sa mère.
Il attend qu’tu reviennes à toi. Voir si t’ressens la douleur.
Tu sembles émerger. Il attend encore. En silence. Les yeux sur toi.

L'horloge tourne bien vite pour les deux jeunes gens qui se retrouvent maintenant en On n'est pas des branquignols ! 1551479860

16h-18h. Tic Tac.

Retour à la réalité… Dur retour à la réalité ! À peine Caruso se réveilla-t-il de son état de semi-somnolence qu’il sentit une douleur aigue lui venir au menton. Chancelant, il manqua de s’écrouler soudainement. Mais que venait-il de se passer au juste ? Reprenant ses esprits, il put voir que Wesh le regardait. Avait-il un quelconque rapport avec son état ? Tout de même pas si ? Ou alors est-ce que les souvenirs avaient des dommages physiques sur la personne ? Non, ça n’avait aucun sens… Il avait déjà touché un souvenir auparavant et rien ne s’était passé, de même pour Wesh… Mais alors quoi ? Caruso commença à scruter les environs avec méfiance. Ne voyant rien de particulier, il décida de se ressaisir.

-Il s’est passé quelque chose pendant que je « dormais » ?

Mais, perdant déjà de vue la douleur qui Ne fut finalement que passagère, il changea quasiment immédiatement de sujet en regardant le temps de sa montre remonter.

-J’ai une théorie à propos des souvenirs… Comme tu l’as remarqué, nos temps impartis semblent remonter lorsque nous en touchons un.

Caruso tendis sa montre au garçon.

-Je pense donc qu’on nous l’offre comme des récompenses, auquel cas, ceux qui ont montés ça ont un intérêt à nous avoir retiré nos souvenirs pour nous les rendre plus tard. Et dans ce cas précis, il se peut que nos souvenirs soient liés à notre situation actuelle. Tout ça n’est qu’un jeu. Un jeu dangereusement mortel, mais un jeu. Notre but est de récupérer nos souvenirs et comprendre nos situations dans un environnement totalement hostile. Leur but ? Il peut y en avoir plusieurs. Nous regarder évoluer, comme une télé réalité, avant de rencontrer notre mort. Ou encore nous faire accomplir quelque chose dans leur but. Je l’ignore encore…

Caruso s’interrompit soudainement. Il avait entendu une voix derrière la porte qu’ils avaient vue. Ramenant son doigt devant sa bouche, il fit signe à Wesh d’être discret en lui indiquant l’autre côté de la porte. Des bruits de pas dans l’eau… Il y avait quelqu’un… Ou quelque chose… Venant à la hauteur du jeune garçon, il se plaça derrière lui en lui soufflant quelques mots à l’oreille.

-Je te laisse passer devant, s’il y a la moindre confrontation, je n’ai aucune chance. Je te suis, n’est crainte.

Il était honnête, il n’avait pas grand-chose à apporter physiquement parlant et optimisé une approche s’imposait. Bien entendu, il espérait que son partenaire soit d’accord…

On est parti Ici

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