C'est étrange comme il lui semble discerner une lie d'animosité dans le noir profond des ses yeux. Toujours assis, ses coudes en appui sur ses genoux, sa voix égrène « Je commence à me demande si ce genre de regard m'a déjà été accordé par le passé » d'un ton hésitant entre neutralité, amusement et lassitude. Sa courte stature se glissant avec aise d'immobilité à mouvement, son regard pausant sur la main à l'origine du contact sur sa manche. Un sourire s'étire doucement sur ses lèvres.

▬ Crétine. Pour qui, à ton avis.

Sans lui laisser le temps de méditer, le voilà qui lui emboîte le pas.


C'est étrange, Now commençait à se dire qu'il n'aurait peut-être pas dû la laisser ouvrir le chemin.
Peut-être.
Mec, y a des moments t'es un pur crétin, je sais pas comment ça se fait que tu sois encore en vie. Et bah comme ça vous allez bien ensemble.
Sans pouvoir affirmer être certain du pourquoi du comment, le paysage ressemblait étrangement à un tunnel. Ou un boyau. Ou des égouts.
Impression largement confirmée lorsque leurs pas commencèrent à faire retentir des bruits désagréablement aqueux dans la galerie.
Il ne bronchait pas. Pas pour si peu - il était juste en bermuda dans des eaux usées et croupies, rien de bien méchant - ; ils étaient en vie, c'était déjà cool. Toutefois, il stoppa, derrière elle.

▬ Rappelle-moi de ne plus te laisser passer devant. On va tenter de trouver un puit de remontée.

Y avait pas de lumière, mais ils étaient entrés quand même. Il se demandait encore comment.
Bah, t'étais tellement obnubilé par ton rôle de chien de garde, faut croire.

Elle tombe sur ses ambres avec normalité, son calme sourire, la mer s'étant rendormie. La tempête passée. La distance prise avec la pièce sans doute. Les mots de Viktor coulent comme des ruisseaux. Et elle, se crispe. Tout est si idéal d'un coup. Que la sécurité devient malsaine et la fuite, nécessaire.

Si bien qu'elle lui est passé devant, les pas maladroits du départ arrivés à destination. Elle qui tangue sur ce chemin, qui focalise sa vision sur l'horizon. Tout l'effraie. Pourtant rien de tout cela ne ressemble à un champ de bataille, à la montagne de cadavres attendue. Il n'y a que ce désert, ce vide, ce vicieux. Cette chose dans son air.

Des égouts. Qu'est ce qu'on vient fiche dans des égouts. Où est-ce-que je l'emmène bon dieu ?

Malgré ce timbre de voix à nouveau familier et cette présence au creux de son dos, cette chaleur au bout des doigts. On joue à chat avec eux. La nuit est soudain partout. Déjà qu'elle s'échappe de ses deux iris. Elle qui a peur. Elle n'est pas seule et... Elle a autant peur pour lui que lui pour elle et...

▬ Viktor... Je...

Inutile.

▬ J'ai peur.

Viktor.

Le silence densifie à nouveau, s'ajoute à la gangue de pesanteur oppressant déjà ses épaules. Un accroc ; qui continue à déliter pataudement les quelques pièces d'elles, les quelques pièces d'eux qu'il tente tant bien que mal de garder. Le peu d'équilibre qu'il tente de lui conserver, tandis qu'elle tangue bien trop dangereusement, tend vers l'abîme.

Ils ne sont jamais bien loin du bord. Et elle qui ne répond. L'anxiété se fait sa niche dans son crâne, quelque part enfouie sous sa tignasse. Sa voix résonne.
Oui. Il sait.
Ses pieds trop peu chaussés remuent le fond des égouts tandis qu'il franchit les quelques mètres, la distance si tangible, avant d'être auprès d'elle, de passer une main autour de sa taille, de doucement presser son corps contre le sien. Juste rassurant. Rien qu'une présence.

▬ Moi aussi.

Ça ne lui fait pas mal de l'avouer. Ou plutôt, c'est de l'appréhension. Quelque chose de mauvais peut arriver, d'un moment à l'autre. Il le sent.

▬ J'ai peur pour toi.

Filet de voix à son oreille, elle qu'il dépasse à peine.
Le chevalier servant c'est pas censé être un grand dadais blond ? Y a un problème dans le casting. Mais quelque part il le sait, qu'il est prêt à tout pour elle. Il ne doit rien lui arriver. Finalement, il défait son étreinte, gardant cependant, sans y faire attention, sa main dans la sienne. S'assurer qu'elle est là, l'empêcher de trop dériver. Garde cette proximité. Ne la laisse pas seule. L'entraîne à côté de lui, les remet en route.

▬ Tu as entendu ton nom aussi, dans ton souvenir ?

Ses pupilles ayant perdu tout reflet céruléen (motif : absence de lumière) braquées dans les siennes.
Il y a de ces mots qui n'ont pas besoin d'être dits. Qu'ils n'ont pas le choix pour l'instant, mais qu'il est là pour elle, qu'il fera tout son possible pour les sortir d'ici. Ou au moins elle.

Cette eau opaque, graciée par toutes les couleurs, elle y plonge aussi vite quand dans le silence du moment. L'obscurité encombre sa vue, rien n'est moins sûr que cette route. Elle voudrait le tirer de là, trouver un peu de lumière, rien qu'un peu. Mais elle est tétanisée.

Je suis un soldat. Merde !

Cette pensée qui jongle dans sa tête mais sans se faire de place. Qu'est-ce-qu'elle serait venue fiche dans une guerre ? Elle qui en était sortie défaite, enfant, sauvage d'esprit. A trimbaler le pauvre dans des salles obscures. Hein ? Elle, un soldat. Qui ne maîtrisait même pas sa démarche, manquant de trébucher à chaque nouveau mètre. Faible comme elle pensait être et qu'elle était sans doute.

Ce qui lui prend les tripes toute la lancée s'évapore avec cruelle invisibilité. Elle qui brûle de se retourner, accueille l'étreinte de Now sans résistance, se laisse même prendre avec dépendance. Que ce corps soit là pour elle, elle le souhaite. S'y enveloppe. Si magnifique. N'est-ce-pas. Où est le magnifique ? Tu le mènes à la mort, stupide petite.

Toi qui cache quelques larmes coupantes en cachette. Il te fait tant de bien. Au cœur du mal. Au cœur de cette ville.

▬ Yelena, hein ? Elle réplique presque effacée de la conversation. Et sèche d'un coup, distante. Tellement distante à présent. Tu es idiot. Protège-toi. De moi, d'eux. De tout. C'est tout.

Tu es un danger pour tout ceux qui te sont proches.

Et sa main qui ne répond pas, agrippée à la sienne. Yelena qui se cramponne à son bras. Le violente pour qu'il cesse de s'agiter. De trembler. De sa propre trouille elle se dégoûte. Tellement.

Loin.
De nouveau.
Encore.
Coupante, même. Aride du moins. Son propre regard luit d'un « désolé » presque trop sincère. Mais pour quoi exactement ? De n'être pas assez. De ne pas suffire. De ne pas l'aider, d'être inutile, de ne pas être capable de la sortir de son cocon de noirceur qu'elle contribue à sécréter de l'intérieur. Elle s'enferme toute seule. Ne voit pas que c'est précisément ça qui le blesse. Il hausse les épaules.

▬ Ça me va.

Ils prennent des coups et se font mal entre eux. Et ça lui va. La distribution des rôles est peut-être pas si mal foutue après tout. Il lui décoche une légère pichenette sur la tempe, l'air détaché soudain. Une ombre de sourire qui flotte. Ou un fantôme plutôt. On dit une Ombre, ici.

Nouvelle intersection. Les bruits d'eau sale s'éteignent au fil de l'écho. Sa voix lui sonne à nouveau normale ; posée. Un rien de flegme asséné par les dernières paroles d'Yelena.

▬ Droite ou gauche ?

La petite prend le dessus, comme toujours, aussi loin que ses souvenirs la portent. Ça ne va pas si loin, suffit à sa perte. Que sa place est celle de l'idiote et non pas celle de Viktor. Elle le laisse la tenir comme bon lui semble. Si bien qu'elle semble rester une poupée flageolante tout le long des bouches. Elle attend que la mâchoire claque. Ou que les dents grincent, ça a peu d'importance.

Mais cette poigne. Lui démontre sa détermination. Son besoin de la tenir, lui qui jure déjà de ne pas la lâcher. Et à force de rougeurs de ça de là, elle s'abandonne docilement à son contact. Son souffle est moins grave, moins animal. Plus couinant comme celui d'un rongeur intimidé par le chat. Le chat pour le coup a bien travaillé ses griffes. Elle en voit plus le bout.

Apocalypse avance, mimant les pas de son chevalier sans armure. Par moments l'humain reprend le dessus et elle laisse échapper un timide ricanement. Il n'empêche que le soldat est mort.

▬ Tu dois sortir d'ici.

Pas on. Toi. Viktor.

Elle a suivi tout du long, ça peut déjà être vécu comme une amélioration, non ? À hauteur de son oreille, le souffle se fait plus court, et part sifflant sur la fin. Comme quoi la courte pause se place en évidence le long de leur génial périple dans les égouts de cette putain de ville. GPEPV pour les intimes. Ou juste pour moi en fait.

Sa piètre imitation du supposé dadais blond lui tire un sourire. Toujours le même sourire un peu fatigué. Celui de quelqu'un qui n'est pas vraiment amusé, mais tire ce qu'il peut de ce qu'il a sous la main. Histoire de ne pas finir dépressif voire suicidaire, parce qu'il est vrai que la situation aide. Ouais. Si vous aviez de quoi, vous tuer de suite serait une meilleure idée. Ça ferait peut-être moins mal.

Ses pupilles la vrillent. Toute lueur prodiguée par le portable non fonctionnel qu'il a sorti de sa poche, et gardé braqué sur l'eau afin de pas les éblouir. Ils y voient à peine. Mais son regard pèse plus qu'il ne fixe. Une détermination presque palpable. Mais qui surtout se fait aussi froide que la pierre des murs.

▬ Yelena. Étrange de nouveauté, et pourtant il sait que ce prénom a du franchir ses lèvres bon nombre de fois. Au cas où tu n'aurais pas encore compris. C'est toi ou rien.

Il tiendra ses positions ; c'est que borné, il sait l'être. Et que même s'il y était obligé, il aurait toutes les peines du monde à la voir partir ou à l'abandonner. Séparés par quelque chose comme la mort. Ça pue la mort. Toute cette histoire. Que ce soit à cause de tous sentiments, quels qu'ils soient, qu'il lui portait, à cause de principes qu'il sentait ancrés par la peine et le sang, il ne la laisserait pas.
Quitte à jouer au plus con et la traîner derrière lui.
C'est pas comme si ça allait le changer.
C'était l'implacabilité du soldat qu'elle avait à présent en face d'elle. Pire qu'un chien après son os.
Il n'y aurait que la faucheuse pour lui faire lâcher prise.
Oui.
Oui, tu pourrais. Tenter de le tuer.

Elle grogne un peu de lui. Pas très féminin. Mais c'est dans sa nature pensera-t-elle même sans connaître la nature en question. La main clouée à la sienne, celle en chiffon, ça n'attire plus ses petits regards de gosse blasée. Juste quelques questions au coin d'un neurone. Pour ce que ses neurones peuvent être utiles. Les questions existentielles ne devraient pourtant pas être en tête de liste, mais il n'y a que ça à faire avec pour seul guide, le halo d'un cellulaire tout usé. Par quoi ? Il l'a utilisé pour téléphoner. Et après. C'est rigolo. C'est jouer à Sherlock Holmes avec les mains de Tomb Raider. T'aimes faire l'enfant. Ça bloque l'autre. La méchante. Avoue.

Pour se retrouver à le mettre au défi en cassant le lien et en s'aventurant vers une échelle de service. Comme si ça allait le détendre ou quoi que ce soit. Lassie sans sa laisse. Ce serait cool à voir. Rien qu'un petit moment tiens.

Yelena retrouve de son humour pourri. Mais au moins ça change de la silencieuse petite fille.

▬ J'espère pour toi que Yelena aimait Viktor comme Viktor l'aime.

Et une innocence au bout des lèvres. Qu'elle laisse retomber une fois la bouche ouverte.
Tout brillait putain.

Il laisse sa menotte se libérer de sa poigne, toujours campé sur ses deux jambes. Avec toujours la même intensité dans le regard. Il ne la retient pas. Pour l'instant. Il ne compte pas s'abaisser à lui courir après. Ça lui ferait trop plaisir, il le sait.
S'il rentre dans son jeu ? Uniquement si c'est pour remporter la partie.
Elle grogne ? Il feule.

▬ Yelena.

Quelle que soit sa réaction désintéressée, digne du rôle de gamine qu'elle a entrepris de jouer, ce n'est pas pour si peu qu'il va lâcher. Son air dur reste sur son visage. Tandis qu'une autre lueur vient sourdre dans ses yeux.
Elle s'accole seule au mur ? Parfait.
Lui, il a juste à changer une malheureuse voyelle au dernier verbe. La pousse contre le rempart, l'oblige à lui faire face. Il ne demande pas son attention, il l'exige. La harponne s'il le faut. Les griffes, c'est fait pour s'agripper.
L'ensemble a duré ce qui lui a semblé un malheureux battement de cœur.

▬ De toute manière, tu m'auras avec toi ou sur ton dos. Tu choisis.

On lâche rien. Tu l'auras pas par la bassesse.

Lui qui se prend au jeu, elle trouverait ça presque trop facile, redescend, se cale là. Quoi. Il allait pas lui sauter à la gorge et attraper ses poignets histoire de la faire flipper un peu ? Non. Il était un peu plus direct. Genre foncer sur elle et la plaquer contre le mur dans le même élan. Soldat ou non. Elle cogna, coup de tête plutôt mou, histoire de se plaindre un minimum. Mais ça détendait le tout, ça rendait l'instant cocasse et le regard malicieux. La brunette en devenait mignonne. Une vraie joueuse.

▬ J'aurai pu écoper d'une peine un peu plus chiante. Tu crois pas ?

Il la libéra un peu trop vite à son goût. Rapidement alors qu'elle replaçait son écharpe, elle laissa ses doigts rencontrer sa nuque, regard moqueur. Et puis patienta. Juste dévisageant. Le pire pouvait bien attendre... Non ?

▬ Viktor, elle ricanait.

mon dieu cette fille a viré schizophrène
"mon dieu ma fille a viré lesbienne", penserait le père atterré ; un peu la même idée, mais sans les sentiments paternels
mais Now, se démonter ? non ; pas pour si peu ; sa poigne s'est contentée de se relâcher sur son écharpe, et lui ne lui cède aucun terrain

- Yelena, il assène, plutôt que de le tonner

jamais orage n'aurait plané plus bas ; il ne savait pas ce qu'elle attendait : un éclat de colère, une réplique ? de l'électricité de la résignation un abandon des coups, qu'il s'énerve contre elle qu'il la laisse qu'elle gagne ne serait-ce que cette manche ; non, la partie
son regard non plus ne cède rien, il reste là à la fixer ; jusqu'à la mettre mal à l'aise s'il le faut s'il le veut, jusqu'à ce que tout soit retombé, qu'il n'y ait plus rien que leurs respirations, régulières à nouveau
alors il s'empare à nouveau de son poignet, ne lui offrant rien d'autre que son dos sur lequel déverser sa haine, tandis qu'il l'entraîne dans son sillage
encore

(PARDON)

Elle ne cesse de s'amuser. Ces deux là sont particulièrement intéressants. Elle les récompense par deux petites sphères rouges. Elle leur donne des souvenirs. De force.

Now:

Apocalypse: