Malgré les apparences, je n'aime pas les coins boueux.

Ils s’étaient hais. En quelques secondes, ils étaient passés des tendres baisers aux coups et il ne parvenait pas à se défaire de l’impression que c’était normal pour eux. Que devait-il faire ? Devait-il se retourner, le prendre dans ses bras ? Attendre qu’il vienne lui demander pardon ? Ou juste… Reprendre comme si tout ça ne s’était pas passé ?
C’était probablement la seule solution pour eux – tirer un trait sur leur violence passagère pour se retrouver, jusqu’au prochain éclat de colère. Il se retourna en l’entendant crier son prénom. Visiblement, les choses allaient s’arranger ainsi entre eux. Il eut un léger sourire en voyant son amant se tenir assis dans l’eau, une fiole bleue entre les doigts, l’air heureux. Ca l’apaisait de le voir ainsi – sans colère, sans haine. Ils s’étaient à nouveau retrouvés. Enfin… Les choses étaient redevenues ce qu’elles devaient être. Il fit un pas, puis deux, l’air presque tendre à le voir aussi heureux, quand…

« MISHA ! »

Le hurlement était sorti naturellement tandis qu’il tendait les doigts, presque désespérément pour attraper la main de son amant. Ce n’était pas possible ! Ils ne pouvaient pas être séparés, pas encore, pas comme ça… Puis la boue l’engloutit, l’agitant dans tous les sens jusqu’à ce que tout s’apaise.
Quand il reprit connaissance, il était seul dans une pièce sombre. L’air était différent de celui des égouts. Où était Vodka ?
Avec colère, le blond se releva, vacillant rapidement et retombant misérablement dans l’eau. Soupirant bruyamment, il glissa ses mains dans ses cheveux, appuyant son front contre ses poignets. Vodka… Misha… Comment devait-il l’appeler ? Où pourrait-il le retrouver ?
L’idée qu’un autre s’approche de lui était intolérable. Il ne pouvait pas accepter ça…
Mais peut-être était-ce sa chance pour trouver d’autres souvenirs. Loin de la présence intoxicante de Vodka, du besoin désespéré qu’il avait de le toucher, de le savoir près de lui. Il lui avait apporté énormément – son identité, une partie de lui, un souvenir… Et ce besoin presque désespéré de l’avoir. C’était un mal pour un bien.
Fort de cette résolution, il poussa un léger soupir, se relevant finalement pour tenir pour de bon sur ses jambes. Avec agacement il commença à patauger dans l’eau boueuse, se rapprochant d’un mur qu’il suivit, espérant trouver une quelconque sortie. Un moyen de se retrouver enfin dans un endroit sec où il pourrait changer de vêtement…
Machinalement il glissa ses mains dans ses poches, vérifiant que tout était là. Le MP4 qu’il avait volé à la gamine était probablement plus que fichu – il allait devoir s’occuper de ça une fois au sec. Le briquet devait avoir probablement pas mal pris l’eau. Le reste… Bah, il verra bien une fois hors de là.

Les parois du mur s'illuminent soudain. De longs filets de lumières semblables à des serpents argentés, ondulent sur la pierre nue. " Taïga...Taïga..." Une voix résonne à ses oreilles, comme un murmure. Enfantine. Fluette. " Que donnerais-tu pour retrouver ton passé ? " Et un rire jaillit dans la pièce. Un rire franc, vif et sincère. Elle l'attire. Elle l'amadoue. Elle veut jouer avec lui.

Alors qu'il se retient à grande peine de faire demi-tour pour aller finalement signaler au type -ce faux frère qui lui ressemble tant- que malgré ses airs supérieurs, il n'est qu'un sale adopté et qu'il n'a pas de famille et donc qu'il ne devrait pas faire preuve de tant d'arrogance, elles le retrouvent. Elles, les ronces. Ces maudites ronces. Comme si elles ne lui en avaient pas encore fait voir assez. En un instant, ses chevilles sont prisonnières, et au moment même où il va crier -crier quoi, allez savoir, mais faites lui confiance il aurait trouvé-, elles tirent d'un coup sec et sa tête vient heurter le sol, l’entraînant dans une douce inconscience.

Son réveil est des plus indélicats. Après la poussière du sol, l'eau. Enfin, la boue. L'eau ou la boue ? Impossible à définir. L'odeur qui s'en dégage est répugnante, et lui arrache une grimace dégoûtée. Bon sang, où est-il ? Aucune lumière, nulle part. Un cachot ? Qui aurait osé mettre sa divine personne dans un cachot ? Non, personne n'aurait osé, personne ne voudrait connaître sa colère. Alors pourquoi était-il ici ?

Le corps endolori par le voyage, il se relève, se retient de hurler. Ses vêtements poisseux lui collent à la peau, entravent un peu ses mouvements. Bon sang si je tiens l'ordure qui me fait ça... Parce que ce n'est définitivement pas naturel. Une personne ici ne supporte pas la supériorité naturelle dont il a été doté et a décidé de lui faire payer cette perfection. Comme si c'était de sa faute. Comme si il avait choisit d'être quelqu'un d'aussi... génial -bon, notons qu'il raye rapidement de son esprit le dernier souvenir et la monumentale engueulade subie. C'est le passé, s'il a oublié une fois, c'est que ce n'est pas si important.

Soudain, une lumière. Un éclat un peu surnaturel, qui lui permet d’apercevoir une silhouette appuyée contre un mur. Il plisse les yeux. Ami ou ennemi ? Quoique... personne ne soit vraiment son avis. Des paysans. De simples sujets. Il s'avance le plus silencieusement possible. C'est à dire avec des « splotchs » à chaque pas. Génial, vraiment génial.

Et puis un rire. Un rire résonne dans la pièce. Venu d'il ne sait où. Venu de partout autour de lui. Partout. De surprise, il en perd un instant ses repères -et l' équilibre. Le voilà de nouveau assis dans l'eau sale.

- Putain, c'est quoi encore ce bordel ?

Le juron lui échappe presque malgré lui. Quoi qu'il se passe ici, il ne veut pas y être mêlé. Il ne veut pas devenir fou. Et entendre un rire aussi étrange que l'étais celui là, c'est forcément le premier pas vers la folie...

HJ:

Au début, il n’y avait que le bruit de ses légers mouvements dans l’eau.
Et la solitude. Elle le frappait de plein fouet, maintenant qu’il était réellement seul. Que Misha lui avait été arraché…
Il passa une main sur son visage, relevant ensuite la tête pour violemment sursauter en découvrant ce qui l’entourait – les murs brillaient littéralement, de longs tentacules de lumières serpentant langoureusement sur la pierre nue. Et une voix… Cette voix qui lui parlait, qui l’appelait pas son prénom. Il frissonna, se redressant. Et cette question. Cette question qui le glaça.
Qu’était-il prêt à donner pour retrouver son passé ? Qu’avait-il à donner ? La réponse le gela – Misha. C’était tout ce qu’il avait. Ses sentiments pour lui, si forts, si violents. C’était tout ce qu’il possédait, tout ce à quoi il tenait. Misha…
Il ouvrit la bouche, se faisant interrompre immédiatement par une autre voix. Une voix bien plus jeune, une voix qui appartenait à quelqu’un qu’il put dévisager sans peine avec la lumière des filaments lumineux.
Un gamin brun. Encore un gosse. Le blond se passa ses doigts humides sur le visage, soupirant sans envisager de répondre au mioche.
Il était lassé, fatigué. Qu’était-il prêt à donner ? La réponse finit par sortir d’entre ses lèvres, lourde de son sens.

« Tout. »

Mensonge, vérité ? Il l’ignorait. Misha était la seule chose qu’il possédait encore aujourd’hui. Etait-il prêt à le perdre lui pour la vérité, pour son passé ? La réponse était douloureuse et cruelle.
Oui, il était prêt à tout. Même s’il était fou amoureux de ce crétin.

" Tu es sûr Taïga ? " La voix enfantine s'élève à nouveau. Elle ne fait pas attention aux remarques de Dieu. " Tu es prêt à tout me donner ? Tout ? " La voix laisse flotter un instant de silence et reprend, presque envieuse. " Même ton unique amour ? "

Aucune attention. Il ne reçoit aucune attention de la part de la silhouette dans l'obscurité. Vraiment aucune. Ça pourrait être blessant. Son illustre personne devrait toujours recevoir de l'attention. Mais dans l'état actuel des choses, ça a quelque chose de... rassurant. Parce que oui, Dieu se sent un peu fatigué. Il a mal partout. Et il y a cette petite bosse qu'il sent poindre sur sa tête. Les ronces devront payer. Au centuple.

En attendant, le type parle tout seul. Alors il s'approche. Pour saisir ce qu'il dit. « Tout ». Tout quoi ? Ça fait un peu désespéré, ce mot lâché dans cet endroit minable. Et puis de toute façon, parler tout seul, c'est déjà moche en soi. Parler tout seul, c'est pour les paysans.

- Je crois que t'as un problème, toi, pour parler tout seul.

Il a lâché la remarque à voix haute. D'un ton peu concerné. Même si il se sent concerné. Parce qu'actuellement, l'idée d'être enfermé seul dans un endroit sombre avec un fou... C'est vraiment pas une situation plaisante, vraiment pas.
L'instant d'après, il a l'impression que c'est lui qui devient fou. Une voix. Encore elle. Qui résonne. Cette fois, ça ne peut pas être une illusion. Pas deux fois. " Tu es sûr Taïga ? Tu es prêt à tout me donner ? Tout ? " Dieu hausse un sourcil. Taiga ? Le type dans l'ombre, ça serait lui ? " Même ton unique amour ? "

Alors ça, c'est trop fort. Il ne rit pas. Même si ce genre de réplique est digne d'un conte disney ou d'une des meilleurs séries télé à l'eau de rose. Même si il ne sait pas d'où viennent ces références. Il ne rit pas. Il se contente d'observer le type en face de lui.

- Ça c'est moche.

Qu'est-ce qui est moche ? Il ne le sait pas vraiment. La proposition ? Ou le fait que ce type est en train de se faire manipuler par une voix ? D'ailleurs, le chantage, c'est pas très classe.

- Le chantage, c'est pas classe. Y'a que les faibles, qui cèdent au chantage.

Constatation. S'il entend la voix, elle l'entend aussi non ? Logique. Et la voix manque de classe, définitivement. Elle manque de... de perfection. Et le type n'a pas vraiment l'air d'un faible. Enfin... Ici, tout le monde est plus ou moins faible...

Il n’y avait plus le gamin dans la pièce. Plus d’eau boueuse, plus de murs en pierre, plus d’atmosphère glaciale autour de lui. Il n’y avait plus que lui. Lui et cette voix qui semblait lui promettre tant de choses, cette voix d’enfant qui lui annonçait en riant le prix de sa curiosité et de son besoin de savoir.
Et il avait sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine, comme si une main s’était refermée autour de son cœur pour le serrer jusqu’à l’exploser.
Etait-il prêt à donner son unique amour ?
Etait-il prêt à donner à cette voix ce qu’il avait de plus cher en ce monde ? Il ferma les yeux, se remémorant le visage de Misha. Parce qu’après tout, ça ne pouvait qu’être lui, n’est-ce-pas ? Ces sentiments… Ce besoin de le tenir, de le savoir auprès de lui…
Il souffla, tout doucement.

« Oui… Je suis prêt à le donner… »

Il ferma les yeux – ça le dégoûtait. Il se dégoutait. A brader son amour comme on marchanderait une vulgaire babiole. Mais il ne pouvait pas – ne voulait pas faire autrement. Il voulait tellement savoir…

« Laissez-moi juste une dernière fois auprès de lui, si vous me le prenez… »

Les mots étaient chuchotés. Une main crispée sur sa poitrine, l’échine courbée devant l’invisible, il se sentait perdant, mais surtout traitre.
Le plus grand traître de ce monde.

Spoiler:

" Tu es un brave garçon. " souffle la voix.
Et l'eau renvoie alors l'image de Misha, dans la crypte. Misha boueux et sale, attaqué par Lou. Misha, son unique amour. Les souvenirs apparaissent de nulle part, ils flottent autour de Taïga. Mais ils n'ont pas l'air normaux. Ils sont rouges et foncent sur le jeune homme comme autant de flèches destinées à blesser. Qui blessent d'ailleurs pour de bon. A chaque souvenir retrouvé, c'est une entaille rouge, sanglante et profonde qui se dessine sur le corps du reflet de Misha. Sur un Misha qui tombe à genoux, frappé par une menace invisible...

Les souvenirs de Taïga:

De l'ignorance. Encore et toujours. Maudite ignorance. Ça aussi, ça se payera. Il reste un Dieu. Mais un Dieu qui retourne à l'état de spectateur. « Oui… Je suis prêt à le donner… » . Il hausse de nouveau un sourcil. Surpris. Alors ce type est un faible ? Il n'aurait pas dit. Mais plus de doute. Pour avoir cédé a quelque chose d'aussi stupide... « Laissez-moi juste une dernière fois auprès de lui, si vous me le prenez… » . Tu parles de son "seul amour" ! S'il le sacrifie comme ça, c'est que ça ne doit pas vouloir dire grand chose. Pitoyable.


La voix, en tout cas, n'a pas perdu de temps. Une lueur rouge éclaire soudain les lieux. Malsaine. Dieu se couvre les yeux à moitié d'une main. Les paupières plissées, il assiste à une scène assez folle. Il y a une image dans l'eau. Une IMAGE. Il a l'impression de rêver. Un jeune homme. Un jeune homme qui semble souffrir. Les lumières rouges, des petites sphères qui ressemblent tellement à des souvenirs, si on excepte leur couleur, semblent percer le dénommer Taiga. Fondre sur lui. Comme des vautours. Pour disparaître. Et le jeune homme de l'image souffre. Dieu peut le voir tomber à genoux. Et il y a du sang. Du sang rougeâtre.

Dieu retient un haut le cœur. Voilà ce que récolte les faibles qui cèdent au chantage. Il ne plaint pas ce type. Ce type qui a vendu quelque chose de précieux. Qui a vendu son âme au diable. On n'abandonne pas les choses précieuses. Lâche !

HJ:

Il ne pouvait plus revenir en arrière. Son choix était fait.
Et pourtant, jamais il ne le regretta autant. Sous ses yeux écarquillés se dessinait la macabre scène de son amant torturé. Et à mesure que son esprit s’emplissaient d’images et de sons, ses yeux ne lâchèrent pas un instant ce qui se déroulait sous son regard.
Le corps lacéré de blessures, il se roulait au sol, pleurant de douleur. Et la culpabilité le transperça, comme une flèche – ce… Cet imbécile qui, loin de se douter de l’identité du responsable de sa douleur, l’appelait.
Puis les souvenirs s’estompèrent. Ne resta que la honte, la culpabilité et la douleur. Obnubilé par ce qui se passait sous ses yeux, dévasté par le désir de traverser cette réalité pour se retrouver auprès de lui, le blond tomba à genoux, murmurant doucement, horrifié de sa propre cruauté envers celui qu'il ne voulait que protéger.

« Mikhaïl… »

Se prenant quelques instants la tête entre les mains, le blond finit par se redresser brusquement, courant se coller au mur pour chercher frénétiquement une sortie. Puis finalement, c’est le trou – rempli d’eau, mais un trou. Une sortie, peut-être ? Torturé, il se tourna vers le gamin. Ouvrit la bouche puis la referma – c’était inutile. Il ne voulait pas s’encombrer de lui. Il devait le retrouver. Peu importe ce qui se passerait – il devait le rejoindre, lui expliquer… Parce que c’était intolérable, de le savoir blessé par sa faute.
Après tout, il était ce qu’il avait de plus précieux.
Retenant sa respiration, le blond se jeta dans le trou d’eau.
Espérant trouver la surface. Trouver sa chose, sa précieuse chose…

Le type tombe à genoux. Oui, vraiment pitoyable. Vraiment faible. Dieu se sent étrangement puissant. Puissant face à cette faiblesse. T'es content de toi ? Ce mec souffre à cause de toi. Bien joué, franchement. Comme si on souffrait pas assez de nous-même... Il repense aux ronces et grimace. La douleur est toujours là. Et il doit résister à l'envie d'y penser. Ce n'est rien, rien à côté de ce que d'autres subissent. La preuve. Et puis, il n'est pas une chochotte. Ces petits bobos, ces bosses, ces égratignures...ce n'est rien. Rien du tout.

Et puis Taiga, puisque ça semble bien être son prénom -qui d'autre sinon ?-, semble pris de folie. Il commence à bouger dans tous les sens, à se coller contre les murs. Non mais il fait quoi, là ? Il veut se tuer ? Tssss. Mais la réalité est sans doute tout autre. Lorsque leurs regards se croisent, Dieu doit maîtriser le mouvement de recul dont son corps semble imprimer l'ébauche. Non. Ne pas fuir. Même si ce regard semble être celui d'un fou. Non. Reste là. Reste fier.

Le blond ouvre la bouche. La referme. Bah alors, tu fais le poisson, maintenant ? Décidément, l'ironie fait du bien. Beaucoup moins. A garder pour soi, bien sûr. En parlant de poisson.... Taiga semble bien avoir décidé d'en devenir un. Et le voilà qui plonge. Dieu d'approche en courant. Découvre à son tour, du bout du pied, un trou dans l'eau. Un trou ? Ici ? La seule sortie, sans doute... Il grimace. Bof. Ça ne donne pas envie, ça non. Mais si c'est le seul chemin pour retrouver l'air libre. Il efface de son esprit les idées du genre « imagine si tu te retrouve coincé dans une impasse, tu vas mourir noyé, etc... ». Non. Ça serait des morts bien trop imparfaite. Pas pour lui.

Fermant les yeux, inspirant puis bloquant sa respiration, il plonge à son tour.
Trouver la sortie. Vite.
Trouver de l'air.