Welcome to the land of questions; welcome to the isle of lore; where the veil came crumbling down

10-12h.
From : Alors, j'ai tenté de devenir une criminelle.

Dans sa tête, le vide tourbillonne. Volutes d'éther. Son corps qui semble pourtant si vivant, son regard noir fixé sur la route, précis, déterminé à ne plus se laisser avoir par un passant jeté en travers de la chaussée. Ses gestes habituels, habitués aussi, précis, tournés vers l'efficacité. Elle ne laisse plus aucune faille dans sa conduite, concentrée et paraissant pourtant détendue. Seulement, elle est loin.

Le trio a traversé le Pont. Pour la jeune femme, l'option que le semblant d'édifice ne puisse supporter le poids de la voiture n'était même pas envisagée. Elle avait simplement manœuvré de telle sorte à ce qu'elles passent. Comme si c'était naturel de se servir du plus pourri des bois pour traverser. Car de toute manière, si les deux autres voulaient sortir, elle n'avait pas le choix ; inutile donc d'envisager autre solution. Et le pont avait tenu.

Ses yeux fixent le ciel. Elles se dirigent vers le Nord. Le soleil atteint son point culminant, dardant des rayons trop forts à son goût dans l'habitacle. Mais tu verras, qu'il ne tardera pas à redescendre. ♫ Et elle est encore loin. Elle pense déjà après. Plus loin, elle alterne, parce que plus loin, il y aura des choix à faire.

Et pour le moment, elle fait celui de s'arrêter.

Ce n'est plus maison devant elle, mais église. Imposante. Opulente. Elle soupire.

▬ Comme si.

Elle ne sait pas ce qu'elle a été, ne veut pas le savoir. Mais dans l'instant, elle connait son opinion, face à cette église.
Dédain.
Dédain face aux cultes et religions, dédains face aux mysticisme, dédain face aux prêtres, aux pratiques. À ces chimères qu'on construit les hommes afin de s'isoler. Se claquemurer face à leur peur de la mort. Certes, elle a peur. Mais elle accepte cette peur qui fait partie d'elle, le fera sans doute toujours, la ronge. Elle l'accepte par une moue certes, mais le fait est là. Elle ouvre la portière, ses talons claquent au sol. Sa silhouette élancée se dresse enfin, s'étire, joue avec les rayons du soleil pour mieux s'en cacher. La brune se dirige vers les marches, prend de la hauteur. Balaye ce qu'elle peut. Tente d'apercevoir leur but, la fin de la ville. Impossible de voir quoi que ce soit. Lève un oeil vers les sculptures complexes ornant les murs du bâtiment. Autant de prises possibles. Oui, c'est une solution envisageable. Elles ont continué tout droit, elles atteindront forcément le bout de ces rues à un moment ou un autre. Mais à quelle distance ? Combien de route encore ? Dire que cette ville ne lui semblait pas si énorme.

Les mains sur les hanches, à l'ombre de l'entrée de l'église, elle se retourne vers ses compagnes de route.

▬ J'aimerais prendre un peu de hauteur, voir où nous en sommes. Doit bien y avoir un accès au toit à l'intérieur.

Et si ça ne se fait pas par dedans, alors elle tentera dehors.

Elles n'ont pas été contraire, Dame est montée dans la voiture. Enfantillage de la vieille, passons.
La fille conduit, l'air concentrée ou ailleurs, la brune ne sait pas trop. Elle s'en fiche. Le regard par la fenêtre, elle réalise un peu tout ce qu'il lui est arrivé depuis qu'elle est ici. Certes, pas grand chose mais elle n'en reste pas moins amnésique. Se pose des questions. Est-ce qu'elle veut retrouver sa mémoire ? Savoir qui elle était avant. Ou juste prendre un nouveau départ et vivre tranquillement. Non, sa mémoire, elle la veut. L'atmosphère de ses souvenirs retrouvés était trop étrange que pour la laisser là, sans réponse.

Cette ville aussi, étrange, à l'abandon. Mais pas si abandonnée que ça au final.

Elles traversent un pont. C'est symbolique les ponts, non ? Ca relie une chose à une autre. Elle se retourne, comme si elle n'allait plus revoir ce qu'il y a derrière elle. Inquiète ? Pas trop. Elle se demande ce que font ce type et le rose. Et elle se demande vers où vont-elles. À en juger le soleil, le Nord peut-être ? Enfin soit, la voiture s'arrête.

L'autre jeune fille descend, son corps fin détaillé aux rayons du soleil. Dame aussi, sort de la voiture. Une église. Ce bâtiment ne l'attire guère. La religion, c'est pas sa tasse de thé.
Mais si je pouvais au moins croire en quelque chose..
L'autre monte les marches, elle la regarde faire, les yeux plissés.

« J'aimerais prendre un peu de hauteur, voir où nous en sommes. Doit bien y avoir un accès au toit à l'intérieur. »

Bonne idée. Dame la rejoint sans rien dire et regarde autour d'elle. C'est vrai que c'est grand, cette ville. En vérité, elle ne sait pas trop quoi faire. L'avenir nous le dira ? En tous les cas, pas le passé.

« Entrons donc pour voir. »

Et tu ouvres les portes grinçantes, t'aventurant dans l'inconnue, encore et encore. Ici, il n'y a que ça, habitue-toi.

À l'intérieur, une église banale. Vieille aussi. Des bancs, une vieille orgue et une vieille croix devant danser avec le vent si vent il y a. Son regard se glisse partout, observant la bâtisse sacrée. Elle fait quelques pas à l'intérieur, ça résonne. Elle pose les mains sur ses hanches, soupire.

« Y'a plus qu'à trouver un escalier, mais je n'en vois pas très chère. »

Á la fin de sa phrase elle se retourne vers... Cette fille qui n'a semble-t-il pas de nom non plus.

« C'est quoi ton nom au fait ? Enfin, je suppose que tu ne t'en souviens pas. Moi j'me suis improvisée Dame. Peut-être un peu tard pour le dire... »

Spoiler:

Elles voulaient un escalier ? Elles auraient un escalier.
Les parois du mur rocailleux et froid tremblèrent et se mirent en mouvement pour dévoiler des marches en colimaçons qui s'animaient lentement pour grimper vers des hauteurs inconnues. Elles semblaient presque inciter les passantes à les emprunter. A leurs risques et périls...

Spoiler:

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10h - 12h

Traversée terrifiante d'un pont branlant, descente de la voiture, arrivée à l'église. Une église... Est-ce qu'elle est croyante ? Elle n'en sait rien. Encore. Bon. Au moins peut-être que le prêtre aura un âge raisonnable. Enfin, si prêtre il y a évidemment... La porte grince. A tous les coups, l'intérieur va encore être mal entretenu, tiens... Ah, la fillette se nomme Dame. C'est un nom qui reflète bien son arrogance.

La fille aimerait prendre de la hauteur, ce à quoi la fillette rétorque qu'il n'y a pas d'escalier. Sauf qu'en fait, il suffisait apparemment de demander puisque le mur se met d'un coup à trembler, laissant apparaître un escalier en colimaçon. Bigoudi fixe le mur d'un air lourd de reproches, comme elle regarderait un gamin mal élevé. Mais ça va pas, non ? Un mur, ça ne sa met pas à bouger tout seul, comme celui-là a eu le culot de le faire. Elle relie ça à tout ce qu'elle a vu depuis qu'elle est arrivée, l'absence de mémoire, la boule lumineuse, la voiture, le pont et, bien sûr, l'omniprésence de ces fichus jeunes, et décide soudain qu'elle hallucine. Voilà. Elle ne cherchera pas plus loin, c'est comme ça, point. Ça lui facilitera la vie. Elle a pris trop de médicaments, ils ont agi sur son cerveau et elle se retrouve dans un rêve bizarre. Enfin, un cauchemar. Elle indique l'escalier insolent fraîchement découvert à ses compagnes.

- On dirait que ta prière a été exaucée. On monte ?

Sans les attendre, elle passe devant. L'escalier est... attirant, en quelque sorte. La vieille pose le pied sur la première marche. Elle ne s'écroule pas, c'est déjà ça de gagné, non ? Bigoudi progresse laborieusement au fil des marches. Elle manque de s'arrêter pour une pause, mais on ne va pas pousser mémé dans les orties, question de dignité. Et elle n'a aucun mal à imaginer ce que Dame dirait. Il faut bien qu'elle ménage son arthrose, pourtant, et c'est avec lenteur qu'elle arrive jusqu'en haut.

La brune attend ses compagnes d'aventure à l'entrée, s'efface sur le côté quand la grande brune s'avance, afin de lui laisser pleine vue sur l'intérieur de l'église. Son regard légèrement méprisant ne lui échappe pas. Opinion partagée. Tant mieux. Sans plus attendre, elle s'intéresse elle aussi à la pièce, tandis que la doyenne du groupe les rejoint.

Déjà en train de réfléchir à la possibilité d'escalader la façade, quand la voix l'interpelle. Un nom, hein. Coupée dans son élan vers la porte encore ouverte, elle se retourne donc.
Juste à temps pour voir un escalier se découper dans le mur, prendre forme et consistance.
Le fait que la voiture soit une IA lui semblait sinon possible, probable. Mais ça...? Elle est ébranlée dans son esprit de logique. Ses yeux noirs s'écarquillent sous la surprise. Alors celui ou celle, ou quoi que ce soit, qui contrôle le tout peut également repousser les limites de l'impossible.

Bien. She's fine with that. Parfaitement. Juste une étrangeté de plus à laquelle chercher réponse.

▬ Comme quoi, suffisait de demander.

Elle marque une pause. L'escalier est long, les marches peu larges. Autant laisser la mamie prendre de l'avance. Elle tourne définitivement le dos à la porte. Fait face à Dame. À y réfléchir, ça lui correspond bien. Une femme affirmée.

▬ Je n'en ai pas.

C'est son choix.
Mais une dénomination, c'est nécessaire, non ? Et c'est son choix. Pas de nom. Mais elle a encore un bout de chemin à faire avec elles deux. Forcément, à un moment, on va chercher à la dénommer. On cherche toujours à nommer les choses. Elle n'est pas une chose pourtant. Tu crois, vraiment ? Forcément. Indécise, dans un geste incontrôlé, en cassure avec ses habitudes, elle enfonce ses mains dans ses poches. Y sent le vieux couteau suisse et la barre de céréales qu'elle y a laissé. Elle n'a rien d'autre sur elle, à part la cicatrice qui s'étend sous sa gorge.
Alors. Couteau suisse ou barre de céréales ?

... Are you fuckin' kidding me ?

Comme si. Se laisser dicter par ce qui lui tombe sous la main. Elle lève les yeux vers l'escalier. La grand-mère est presque au sommet. « Comment tu t'appelles ? » Même ça, elle est incapable d'y répondre. Pourquoi ? Pour rien.

▬ Noan. Sa voix résonne étrangement dans le chœur. Elle décroise soudain les bras, fait un pas en avant. La fuite en avant. ♫ Vers l'escalier. Appelle-moi comme ça.

Elle hausse les épaules avec une moue en passant devant Dame et posant le pied sur une marche. Noan. Pourquoi Noan ?
Pour Rien.
Parce que c'est son choix. C'est Tout.
Elle lance un regard en arrière, arrivée à la troisième marche.

▬ Go ?

.____. :

Elle entend un bruit, se retourne et voit qu'un escalier est en train de se former dans un mur. Mur qui était jusque là stérile. Suffisait de demander, sympathique quoi qu'étrange. Dame fronce un sourcil et lève l'autre, perplexe. Encore une question sans réponse, tu vas devoir t'y faire chère Dame.

La vieille ronchonne quelque chose puis s'élance à l'assaut des marches. Randonnée de la journée. Dame attend un peu, faudrait pas la dépasser et la vexer, encore.

Pas de nom, pour changer. Dame soupire mais sourit en même temps, elle avait raison. C'est vrai qu'en soi, c'était pas dur de deviner une chose si évidente. Elle aussi, s'improvise un nom. Noan.

« Joli. »

Premier compliment depuis son arrivée. Si elle trouve drôle de se moquer de quelqu'un, elle n'hésitera pas. Elle ne connaît personne donc elle n'a aucun remord. Mais quand elle trouve quelque chose de bien, elle le dit aussi. Pas une méchante fille.

Donc, Noan, passe devant elle et s'élance sur les marches. Elle la regarde passer, monter trois marches pour se retourner. Go ? La brune les suit.

Qu'est-ce qu'il y a au-dessus de ces marches?

Question judicieuse, Dame.

Elle s'enjaille, jubile, un souvenir de plus pour un de ses pauvres jouets. Une sphère lumineuse sort de nulle part et s'arrête devant Noan. Touchera ou touchera pas ?

Spoiler:

Ça ne lui semblait pas si haut, pourtant. Au-dessus, l'aïeule a rejoint le sommet de l'escalier. La jeune femme - Noan, Noan, c'est toi-même qui l'a dit - coule un regard lourd vers le sol, menton relevé dans une attitude presque hautaine. Vertige ? Non. Même pas. Tu penses, elle, se laisser affecter par si peu. Sa démarche, malgré les marches, s'est faite fluide, coulante, même ses yeux sombres semblent liquides lorsqu'elle se retourne. Elle s'autorise même un petit sourire, bien qu'elle-même n'y croit pas, en s'adressant à Dame.

▬ Eh ! Tu t'attendais à autre chose de ma part, peut-être ?

Mais ici, le temps est compté, et on ne lui donne pas celui de se laisser aller à la plaisanterie. La malheureuse tentative se retrouve déchiquetée, lambeaux écartés par la lueur qui s'en est venue flotter. Pause. Arrêt sur image, une pointe de pied s'apprêtant à s'appuyer sur la marche.
Encore toi ?

Elle joue avec la sphère, semble prêt à l'effleurer, son attitude semble respirer la tension.
Seul son visage la trahit. Et ne révèle pourtant rien de son intention. Elle joue, approche pour mieux s'éloigner. Les orbes ne sont pas là par hasard. Ses actions auront répercussions. Alors elle tente. Advienne que pourra. Et soudain, souple sur ses pieds, sont corps de liane fléchit, avant de se détendre.

Laissée derrière elle, la petite lueur malsaine. Hasta la vista, baby.

Spoiler:

Elle s'énerve, elle déteste qu'on joue avec elle. Tu seras puni pour ça, petit jouet insolent. Le compteur de Noan décroit rapidement, cinquante heures ont été enlevées à son décompte. On ne joue pas avec Elle.

Si Noan avait touché son souvenir, elle aurait vu ceci :

Spoiler:

Une chambre assez sombre, voilà sur quoi tombent les trois femmes. Une chambre qui semble tout à fait banale. Mais le bureau est encombré de papiers et de brochures de journaux, au-dessus sont accrochées un grand nombre de photo. Des photos de la ville et d’autres choses. Mais quoi ?

Spoiler:

La montée de la dernière marche dévoile ce qui semble être en tous points une simple chambre. La luminosité est trop faible pour les yeux fatigués de la vieille qui est obligée de les plisser - même derrière les verres épais de ses lunettes - pour distinguer le bureau, seul élément remarquable dans la pièce. Ils auraient pu éclairer, quand même. Du travail de jeune, ça. Elle commence à avoir l'habitude ici, de toute façon. Elle espère qu'elle ne va quand même pas s'habituer à la saleté et à ces non moins saletés de jeunes. Effrayante perspective. Trop effrayante pour y penser plus longtemps, à vrai dire. Alors elle scrute à nouveau la pièce. Ce qui lui avait paru au premier abord être une espèce de montagne de diverses choses recouvrant le meuble était en fait constitué de papiers.

Bigoudi s'en approche sans attendre que les deux filles la rejoignent. C'est horriblement mal rangé. Un vrai foutoir. Ils ne sont même pas fichus de ranger une aussi petite surface qu'un bureau correctement. C'est consternant. Ah, si elle attrape le jeune - qui d'autre ? - écervelé qui a fait ça, il passera un sale quart d'heure. Et en attendant ce sont encore les personnes âgés qui se coltinent tout le travail de tri. La bouche pincée, elle observe sans rien dire. Lève les yeux, et rencontre des photos. Elle les examine attentivement sans y toucher. Si c'était un minimum organisé, les photos seraient rangées par paquets avec sur chaque tas une étiquette indiquant ce qu'elles représentaient. Mais non. Bien sûr que non ! Son regard glisse à nouveau, pour revenir se poser sur le bureau. Papiers en tout genre, brochures de journaux.

La vieille femme jette un regard derrière elle, vers ses compagnes. Elle se retourne à nouveau et les interpelle.
- Un tas de paperasse. Venez voir, on ne sera pas trop de trois pour récupérer des informations.
Que les jeunettes l'aident un peu. Et si elles ne l'aident pas, qu'elles aillent se faire cuire un œuf pour entendre parler de ce qu'elle aurait appris. Sur ce, après avoir une fois encore fait un rapide tour d'horizon des photos, elle plonge résolument les mains dans le bazar et commence à lire tout ce qui lui tombe sous la main.

Et elle continue de monter. La vieille est déjà en haut ? Devant Noan une sphère lumineuse, encore. Mais elle passe à côté. Dame la regarde monter, étonnée. Elle aussi passe à côté de la sphère en la regardant.
Pas pour moi.

Peut-être que Noan ne veut pas recouvrer la mémoire. Peut-être qu'elle veut recommencer sa vie. Que des spéculations, des questions. Encore.
Dame soupire et accélère le pas. Elle arrive en haut, une chambre. Obscurité. Un bureau encombré de papiers et au mur, des photos. Dame s'approche, se plaçant à côté de la vieille. Elle observe, des journaux, de la paperasse et des photos. Elle commence à tout examiner, voir de quoi ça parle. Peut-être de la ville ? Oui. Elle regarde.

Spoiler:

La Ville, c'est un peu « Luciole ! Attaque ses points de vie directement ! »
Mais sans les effets spéciaux, c'est un peu moins classe.

Un pas, puis deux. Et rien. Rien ? Derrière elle, la sphère apparaît immobile, pourtant elle, elle la sent frémir, tandis que Dame passe à côté. Et Noan lui cède le passage. Parce que la lumière, derrière elle, vrombit. Ne bouge pas pourtant ? Est-elle la seule à le ressentir ? Car elle lui est destinée ? Pourquoi une impression si funeste ? Pas le temps de chercher une réponse ; ni celui de se retourner. Le mouvement sinistre cesse.

Vide. Elle a joué. Et se sent étrangement vide. Elle sent quelque chose. Un pied contre son cœur. Là, juste là. Quelque chose. Qui passe, roide, sur la croix qui barre sa poitrine. Elle ne le sent ni chaud ni froid, étrange sensation.
Mais as-t-on jamais eu l’idée de vouloir décrire le vide ?

Elle a joué. Mais. Cette sensation anormale. Cette gêne. Toujours sur la dernière marche, elle ouvre les premiers boutons de sa chemise auparavant fermée jusqu’au col. Hésite. Déglutit. Toucher cette fissure rouge sur sa peau, c’est comme toucher un bout de passé, passé qu’elle veut oublier. Cette gêne. Presque un non-dit. Et ça lui rappelle quelque chose. Rageusement, ses doigts se referment sur le sablier à la chaîne d’argent pendant à son cou. Laisser derrière, garder la tête haute, tenir droite, avancer. Ça l’énerve, de se sentir faible, faible face à quelque chose de réduit à néant, faible face à un ennemi tout-puissant dont elle ne sait que trop peu. Noan -toi, oui, toi- lance un regard furtif par-dessus son épaule, vers Dame et Bigoudi, qui s’affairent dans une pièce qu’elle est incapable de discerner, faute de luminosité. Leur retourne le dos, lève l’objet à la lumière. Observe à nouveau l’improbable mécanisme rejetant les lois de la gravité.

Sauf que. L’équilibre a changé. C’est avec étonnement qu’à travers les rais colorés qui filtrent des vitraux, elle voit le compartiment laissant découler le sable, autrefois bien chargé, presque réduit à néant. Néant. Noan. L’on récolte ce que l’on sème, ma grande. Elle tourne, retourne l'objet. Inexplicable. Rapport avec ce vide d’avant ? Rapport à voir avec le souvenir ignoré ? Tout se lie et se consume en observations. Oui, sûrement, elle ne tarde pas à se l’assurer. Ses traits sont neutres, et ses yeux gris emplis d’une peur sourde. Faible, tu es faible. Sans merci et sans défense.

Tout tend à le lui prouver.

Talon, pivot, demi-tour. Dernière marche. Et elle voit, à présent. Impossible d’oublier les sensations qui la gèlent encore. Mais impossible d’ignorer ce qu’elle a devant elle. C’est brouillon, c’est fouilli, ça fourmille, a regorge. Elle le voit d’ici. Mais seulement, impossible d’ignorer.

▬ N’ignorez pas les souvenirs. Elle ressort le pendentif de son col toujours ouvert sur les deux traits rouges, le met à nouveau en évidence. Je sais pas exactement à quoi sert cette espèce de décompte, mais après avoir passé à côté, le temps a été réduit. D’après la vitesse d’écoulement et le temps à peu près passé ici, ça doit durer environ trois jours, quelque chose comme ça. Là… Il doit m’en rester moins d’un, alors que je suis arrivée la nuit dernière.

Ça te ressemble bien, de ne parler que pour expliquer. Ça ne te ressemble pas, de dire tout ce que tu sais uniquement parce que le monde est beau et que les oiseaux chantent. Noan hausse les épaules. Seulement voilà. T’es aussi émotionnellement décoincée qu’un pingouin et aussi individualiste qu’un capitaliste, t’as rien contre elles. Elle se décide enfin à les rejoindre, à nouveau attirée par le bureau. Mais il reste quelque chose, une prudence mal placée, et elle longe le mur, y promenant sa main droite, tentant de temps à autre d’appuyer sur un des blocs. L’escalier est bien sorti de nulle part. Y a forcément un mécanisme. Quelque chose, même si c’est irrationnel –même toi tu admets que la ne peut pas tout expliquer ici, tu vois-, forcément quelque chose. Parce que la pièce isolée au milieu de l’improbable dans la demeure du St-Père, elle a du mal à y croire. À moins qu’il ait beaucoup eu à cacher, le prêtre ? Doit bien y avoir un deuxième escalier, quelque chose, n’importe quoi, elle en vient même à espérer une niche cachée.

Et puis ses doigts finissent par quitter le mur comme à regrets, et se mêlent à la fouille collective. Elle observe d’un œil doux la grand-mère classer, ranger, trier. Elle examine les papiers à sa suite, repose le tout en ordre. Inutile de s’attirer ses foudres, et il faut bien admettre que malgré son caractère de sanglier, la vieille dame lui est sympathique. Presque. Faut pas pousser. Elle teste, un tiroir après l’autre, et tout ce qu’elle voit, va se graver quelque part dans sa tête. À mettre en relation maintenant ou plus tard. Elle a joué, a perdu. Mais rien n’est fini. Quelques heures. Quelques heures pour trouver.

Challenge accepted.

Jaunies. Les photos étaient trop jaunies et abîmées pour que l’on puisse voir quoi que ce soit. Une semblait se dérouler dans un parc d’attraction mais rien n’était sûr et les visages étaient impossibles à reconnaître ni à distinguer. Et un papier, arraché en haut, en bas et sur le côté gauche, était déposé sur le bureau. L’écriture était encore lisible et le papier ne semblait pas abîmé ni vieilli. Sur ce papier qui semblait venir d’une plus longue feuille on pouvait lire :
« Elle est venue en confession. Elle m’a dit qu’elle avait péché. Mais qui ne pêche pas dans ces conditions extrêmes ? Elle s’en voulait, elle m’expliquait qu’elle n’avait eu d’autre choix que de rentrer dans la maison d’autrui pour manger. Mais qu’elle n’y avait rien trouvé. Et finalement elle avait osé. Elle avait touché au fruit interdit du Diable. Elle avait touché à la nourriture de la fontaine. Elle a collé sa main contre la grille du parloir. Une main écailleuse. J’ai été obligé de détourné le regard, de lui dire que je ne n’avais plus aucun pouvoir. J’ai failli à mon devoir. J’ai… »

C’est tout ce qu’il y avait sur le dessus du bureau. Quelques tiroirs sont fermés à clef mais facilement cassables à première vue.

Bigoudi sent d'abord Dame la rejoindre, puis Noan, qui semble avancer des élucubrations à propos de souvenirs et de décompte. Souvenirs ? Mémoire ? Ses mains ridées toujours plongées dans la paperasse, elle adresse un regard suspicieux à la jeune fille.
- Des souvenirs ? Quels souvenirs ?
Ne pas les ignorer. Si elle n'a pas envie de retrouver une mémoire complète c'est son problème, mais la vieille ne risque pas d'en ignorer un. Seulement c'est quoi exactement ? Pff... Et personne ne sait rien à rien dans cette bande de gamins. Ou alors ils ne sont pas fichus de faire une réponse claire, ce qui ne l'étonnerait pas, finalement.

A son grand désarroi, l'examen des photos ne donne rien pour cause d'état de dépravation avancé. On aurait dit que ces photos étaient plus vieilles qu'elle. Elle laisse tomber la contemplation des images et s'attelle aux papiers sur le bureau. Ce n'est pas mieux. Mais qu'est-ce qu'ils ont fait subir à ces papiers ?! Parce qu'en plus de ne pas les avoir rangés, ils se sont amusés à les déchirer ? Très drôle. Vraiment. Elle s'empare de la feuille déchirée sur la table et commence par chercher du regard les autres morceaux. Rien. Ce serait trop facile, hein ? La vieille donne une pichenette sèche sur celui qu'elle tient dans la main. Ô miracle, il ne tombe pas en poussière. C'est déjà ça. Puis elle le lit.

- C'est quoi ce charabia ?, marmonne-t-elle, avant de passer le papier à Dame juste à côté d'elle. Peut-être qu'elle y comprendra quelque chose, la fillette. Qu'elle se rende utile au lieu d'énerver ses aînés. Le texte, trouvé dans une église, est plein de vocabulaire religieux. Jusque là, ça ne lui pose pas de problème. L'auteur serait le prêtre ? Mais une main écailleuse, ça lui pose un problème, par contre. Et de quelle fontaine parle la lettre ? Bigoudi lâche un soupir avant d'examiner plus avant le bureau et de remarquer des tiroirs qui semblent fragiles. Un sourire mauvais étire ses lèvres. Bien. Elle va pouvoir se défouler. La vieille dame commence à frapper les tiroirs à grands coups de canne répétés, attendant qu'ils se fracassent. Ils veulent mettre le désordre ? Elle sait faire aussi.

Spoiler:

Et hop, un souvenir qui s'échappe de Sa grande mémoire... Et qui va se loger juste devant la tête de la vieille femme. Alors Bigoudi, touchera, touchera pas ?

Spoiler:

Ses mains fouilles, ses yeux regardent. Photos jaunies, déception. Comme celle dans sa poche. C'est une manie les photos jaunies ?
Noan dit qu'il ne faut pas ignorer les souvenirs, elle comprend. Contrairement à la vieille qui n'en a jamais reçu. Mais quand on reçoit quelque chose, c'est de quelqu'un. Mais de qui ? Question. Réponse ? Non.

Et tu pourrais divaguer avec ce genre de chose, Dame. Rien ne t'aidera, aucune illumination. Tu resteras dans l'ignorance jusqu'à ce qu'elle en décide autrement. Accepte, c'est tout.

Noan parle de jours, d'heures. Ca lui fait penser au sablier qui pend autour de son cou. Le sable y coule à l'envers. Donc, si on évite un souvenir, le temps s'écoule plus vite ? Mais à quoi correspond-il ? Peut-être que c'est un jeu, des cons qui s'amusent à regarder des gens perdus, nulle part, comme des idiots à essayer de comprendre ce qu'ils leur arrivent. Ou alors ce n'est que temporaire, quand le sable sera écoulé, elle se réveillera et tout sera rentré dans l'ordre. Mais quel ordre ? Et quel tout ? Sa vie ? Elle ne sait pas ce qu'elle est, sa vie. Peut-être qu'au fond, elle aurait préféré rester amnésique, qu'elle regrettera de s'être réveillée. Elle ne sait pas. Comme toujours.

La vieille trouve quelque chose, un papier. Mais elle ne semble pas comprendre ce qu'il y est écrit et le tend à Dame. Elle lit avec attention. Cela semble sérieux. Pas de la blague, c'est le curé qui a écrit ça quand même. Ils rigolent pas ces gens là.

« Tout ce qu'il faut en retenir c'est qu'il faut pas toucher au fruit de la fontaine. Quelle fontaine ? Quels fruits ? J'en sais rien. Cette ville est bizarre... Presque effrayante. »

Elle passe le papier à Noan, au cas où. Sphère lumineuse, devant la vieille cette fois. Chacun son tour.
Mais est-ce qu'elle a peur ? Elle ne sait pas. Tout ça, tout ce qu'il se passe. Est-ce seulement réel ? Elle se pince discrètement. Elle a mal. Ca doit l'être. Elle soupire.

« Et merde... »

Elle chuchote, c'est pour elle. Elle ne sait plus quoi penser. Ne plus penser, laisser faire les choses. De toutes façons pour l'instant, elle ne sait rien faire d'autre. Puis peut-être qu'un jour, elle comprendra.

Let it be.

« ▬ J'SUIS UN REBEL.
▬ But does this really need a sense? »

Ses longs doigts procédaient avec une délicatesse méticuleuse, tentant de juguler les tremblements, qui eux tentaient de les surprendre au détour d’un spasme. Une agitation que seules ses mains trahissaient. Son visage était parfaitement composé, lui elle le maîtrisait. Mais pas cette agitation à la con.

Alors ? C’est le fait de trouver des informations qui t’émoustille, te rend fébrile, coupe ton champ de perception au bureau et surtout pas à celles autour ? Ou c’est juste ce manque de temps qui t’inquiètes ?
Rage. Rage de ne pas contrôler ces émotions qu’elle avait pourtant l’impression de ne simplement pas savoir exprimer. Trop dur de sourire. Mais trembler, ça tu sais faire, hein Noan ? Assez. Plus elle y pensait, plus ça la frustrait. Des mouvements aussi éruptifs que glacés. Elle s’énervait toute seule, répondit, neutre, à l’interrogation de la doyenne, qui visiblement, ne comprenait pas.

▬ Un souvenir. Comme celui qui est venu flotter devant toi.

Elle accueillit le papier que lui tendait Dame avec un hochement de tête aussi sec que le « Merci » à peine soufflé qui balaya ses lèvres. Un hochement de tête d’oiseau. Pas plus utile qu’une mésange, tu vois. Sauf qu’elle, n’avait ni apparence ni voix permettant de rattraper le tout.
Elle lut, toujours aussi méthodique. Pas plus d’attention pour le souvenir venu flotter devant la Grise, ni aux tiroirs que la vieille éventrait, non. Noan réfléchissait, c’était inscrit sur ses traits, dans ses prunelles toujours plus sombres. Le bleu s’était noyé. Toujours debout, elle traqua à nouveau la série de photos des yeux. Les clichés devaient être d’ici. Un parc. Dans la ville. Sa tête pivota brusquement vers la petite fenêtre. Les deux mais appuyées sur le bureau, se tenant éloignée des coups de canne – c’est vicieux ces choses –, l’allumette sauta soudain en arrière, contournant Dame en deux pas presque dansés, avant de se précipiter vers l’ouverture. Elle lui tendit la photo, désignant la grande roue de l’ongle.

▬ Ça doit être une photo d’ici. Sinon y’aurait aucun intérêt à ce qu’elle soit là. Alors on aurait dû la voir, cette putain de grande roue, non ?

Comme partie loin, elle marqua une pause, ouvrit la bouche, hocha négativement la tête, laissa ses épaules s’affaisser. Se laissa tomber ; sur le vieux lit. Se recroquevilla, tête tenue par les mains, cliché jauni entre deux doigts. Elle ne comprenait pas. La ville était abandonnée. Le texte de l’ecclésiaste devait dater du même temps que les photos, et surtout, du temps où tout avait dégénéré. Elle ne comprenait pas.

▬ J’comprends pas.

Ne savait plus ce qu’elle disait.

▬ Et pourquoi de la bouffe à la fontaine. Et cette histoire d’écailles.

Et parlait pour rien.

Elle s’énervait toute seule, encore. Et surtout, elle n’avait toujours pas obtenu ce qu’elles étaient venues chercher ici. Sa posture droite se remit en place d’elle-même, tandis que songeuse elle alla se planter devant cette fenêtre. Trop petite et d’une visibilité si restreinte. Et sans se retourner, à Dame :

▬ Dis. T’penses que j’arrive à me faufiler pour voir dehors ?

Scrutant son regard, elle se retourna enfin, scruta la propriétaire de l’ondulée crinière. Instable, son regard fut attiré sur le côté.

▬ Bon, elle l’a touché ou pas, son souvenir, la Grise ?

Elle note. Si elle voit une fontaine avec de la nourriture autour, pas touche. Elle n'a strictement aucune envie de se retrouver avec des écailles. Elle arrête de défoncer méthodiquement les tiroirs quand la chose vient voleter devant ses yeux.

Bigoudi plisse ses petits yeux et regarde d'abord avec circonspection la petite boule lumineuse, oubliant totalement les autres. Sa situation était plus importante. Pas question qu'elle touche cette chose avant d'avoir vérifié sa provenance et sa dangerosité potentielle. Qu'elle menace Saumon, c'était une chose, mais pas elle. Puis elle entend la fille dire que c'est un souvenir. Un souvenir ? Un... morceau de sa mémoire perdue ? Cette petite chose brillante ? Tu as une araignée au plafond, ma fille ! Elle se fige soudain, fixant avec raideur le "souvenir". Se rappelle de l'avertissement de la brune. Ne pas les éviter. Après tout, est-ce si impossible ? Elle avait bien dit que la voiture se conduisait toute seule. C'était vrai.

Et de toute façon, elle est dans un cauchemar. Rien ne peut lui arriver... si ? Mais elle ne va pas se laisser impressionner par une petite chose de rien du tout. Non mais ! Pourtant elle ne pousse pas jusqu'à toucher la sphère de sa main, mais lève plutôt sa canne - arme de destruction et bouclier. Le bois entre en contact avec la lumière, et elle sent avec étonnement le monde s'effacer autour d'elle.

Tu fuyais la lumière, petit jouet ? Même à travers le bois, la mémoire te reviens. Elle en rit d'avance, même si Elle n'est pas contente de devoir concéder deux heures à Bigoudi, qui viennent s'ajouter à son compteur. Et le passé lui revient en tête, implacable et tellement réel...

Bigoudi:

« Dis. T’penses que j’arrive à me faufiler pour voir dehors ? »

« Pour quoi faire ? »

Pour voir la ville ? Qu'est-ce qu'on s'en fiche de la ville ! Y'a des souvenirs qui leur reviennent en boule lumineuse, des escaliers qui apparaissent comme par magie et elle, elle veut voir la ville d'un point plus élevé ? On s'en fou, oui, c'est la bonne expression. Dame soupire.

La vieille touche 'son souvenir'. Plus qu'à attendre qu'elle émerge. Va sûrement faire un petit speech' comme quoi c'est bizarre. En attendant, ces tiroirs ne vont pas s'ouvrir tout seul. Il y a des choses sur la ville, ici. Et ce petit mot a attiré l'attention de Dame. Des écailles ? Certes, mais encore ? Peut-être qu'elle a enfin trouvé une question à laquelle elle peut répondre. Peut-être que cette réponse se trouve dans ces tiroirs. Peut-être pas. L'optimisme n'a jamais fait de mal a personne.

Et elle tire sur ces tiroirs, verrouillés. Elle passe sa main sur le bureau en-dessous des papiers pour voir s'il n'y a pas de clé. Non, pas de clé.

« Aide-moi, Noan. Y'a peut-être des trucs intéressants là-dedans. »

Trouver des informations avant de te jeter dans la jungle. Est-ce ça que tu veux ? Réunir des informations, c'est familier ? Tu ne sais ce qui l'est ou pas. Si, tu le sais. Ce premier type l'était, familier. Mais pour l'instant, tu tires juste sur ce fichu tiroir. Advienne que pourra.

« Taïaut ! »

La brune secoue la tête négativement. Nan, vous étiez pas sur la même longueur d'onde. Bah, qu'importe. Son agitation fluctue, brûlante pour absente. Elle reste figée là. Observe. Juge. Elle a beau être fine, elle aura sûrement les épaules trop larges, et si ce ne sont pas les épaules, ce sera le bassin. Renoncer ? Pas envie. Mais il faudra bien. Sans trop savoir pourquoi, c'est plus la griserie d'être sur le toit que le besoin de trouver les limites de la ville pour en sortir qui l'attiraient dehors.

Mais bon. Elle hausse les épaules. Se détourne. Arque un sourcil quand Dame l'interpelle. Que la vieille donne des ordres, passe encore, elle le met sur son caractère de semi-aigrie et l'ignore. Mais elle ? Sans trop savoir pourquoi, obéir sagement la rebute. Elle soupire, renâcle, et finit par s'approcher, d'une main sur l'épaule de la brune, la fait s'écarter. Un geste à valeur de demande. Mais qui ne souffrira pas le refus. Chacune son tour. Ce que tu peux être immature. Recule d'un pas. Balance sa jambe en arc de cercle dans le tiroir, le talon de sa chaussure en avant. Avec un peu de chance, ce sera suffisant. Au pire, sa botte meurt. Mais le bois a l'air tellement abîmé et vermoulu...

Et pile : tiroir éclaté. À côté de Dame, elle s'agenouille, écarte les débris de bois. Rien n'y est tombé. Attendant que la Grise sorte de sa transe, elle agrippe les bords semés d'éclats de bois, tire la caisse du tiroir à elle. Reste plus qu'à faire de même pour tous les autres. Et Noan se relève, laissant la place à la brune, et va achever le travail commencé par la doyenne. Sus au bureau. Le bois vole, c'est presque trop facile.

Sa tête pivote.

▬ J'vais voir si y a pas des trucs sous le matelas ou quoi.

Et de s'exécuter, balançant le sommier. C'est con comme pensée, mais à massacrer une vieille chambre de prêtre, elle ne se sent même pas vandale. Bon, d'accord, la ville est abandonnée et accessoirement les prend pour ses jouets. M'enfin.

Un tourbillon de sensations l'emporte soudain. Elle est prisonnière de son propre corps, agit dans la scène qui se joue autour d'elle tout en étant en réalité spectatrice. C'est... déroutant. En revenant à elle, dans le bureau du prêtre, elle ressent encore comme si elle venait de les vivre son agacement vis à vis de ces jeunes, la fille échappée et le garçon à l'écriture fine. Espèces de petits crétins. Ils n'ont rien compris. Sans parler de cette Madame qui semble en position de la menacer. Qui sont-ils ? Une hallucination ? Mais la réponse s'impose à Bigoudi comme une évidence. Un souvenir. Ce qu'elle a ressentit paraît trop vrai, trop réel, pour être faux. Alors qui ? Quand ? Elle serre les dents, se crispe sur sa canne, rage. Comme avant.

Tant de questions, et aucune réponse. Le pire, ce ne sont pas les questions en elles-mêmes. Non, le pire, c'est bien l'étrangeté des questions. Une ville d'amnésiques ? Des souvenirs sous la forme de petites lucioles ? Tss. Ces scénarios fades de science-fiction, c'est bon qu'à amuser les jeunes, ces cent fois détestés jeunes. Et pourtant. Et pourtant... C'est bien ce qui la pousse à chercher, à avoir peur. A vouloir s'échapper à tout prix, comme la fille qu'elle devait apparemment surveiller. Finalement, la vieille comprend ce qui aurait pu la pousser dehors. Maintenant qu'elle est enfermée à son tour, enfermée dans son amnésie. Même si cela n'excuse en rien le comportement de la jeunette qui l'a mise en porte-à-faux. Non, évidemment. Cela excuse seulement son comportement à elle.

Il est temps de remettre les pieds sur terre. Elle commence par adresser un sec hochement de tête à la brunette qui l'a informée que c'était un souvenir. Façon de remercier, d'admettre. Elle ne va pas s'abaisser à plus, la fille comprendra ou ne comprendra pas. Il y a du pain sur la planche et pas de temps pour les hypothèses. Un coup d’œil autour d'elle à travers le verre de ses lunettes lui apprend que Dame, après avoir tenté vainement de tirer sur le tiroir déjà bien amoché par Bigoudi, laisse sa place à l'autre fille qui se met à détruire toute la chambre. Du calme ma fille, du calme... Ce qu'ils peuvent être impatients, ces jeunes. Et que je t'éventre tous les tiroirs, et que je te balance le sommier par terre... La vieille arque un sourcil, contemplant le carnage. "Au moins si quelque chose est caché, on peut être sûres de le trouver."

Mais après tout, c'était nécessaire. Le prêtre n'aura qu'à faire un brin de ménage s'il veut retrouver sa chambre. Pas grande différence avec avant le massacre du mobilier, de toute façon. C'était déjà sale et mal rangé. Elle s'agenouille donc devant les débris des tiroirs, grimaçant à l'affreux "crac" produit par ses os et à la douleur causée. Encore un domaine où les jeunes sont privilégiés, tiens. Afficher cette santé, cette énergie insolentes... Mais ce n'est pas le moment. Elle se met à fouiller le contenu des tiroirs, priant pour qu'il y ait le reste de la note de tout à l'heure. Ou autre chose, mais un indice. Et elle se retourne, jetant un regard au lit nu. "Vous avez quelque chose ?"

Les tiroirs ne résistent pas longtemps aux femmes et un par un ils cassent. Parmi les décombres de bois il ne reste qu'un calice en or et aux pierres précieuses. Mais il n'est pas seul, une petite feuille est aussi présente. Malheureusement, l'attaque sur les tiroirs a été tellement puissante qu'elle a abîmé la feuille désormais illisible. Il n'y a rien d'autre dans la salle.

Spoiler:

Accroupie, poussée, éjectée. Elle était en train d'essayer d'ouvrir les tiroirs, mais non. Noan en avait décidé autrement. Exploser les tiroirs à coups de pieds ? Quelle judicieuse idée, et ce qu'il y a à l'intérieur, quoique ça puisse être, t'en fais quoi ? Si c'est cassé, tu vas payer.

« Tu vas tout péter arrê-... »

Pas le temps de finir sa phrase, fracassés. Elle n'est pas contente, la bouclée, pourquoi détruire alors qu'on pouvait simplement tirer et ouvrir ? Agacée.

« Va voir seulement, sous ton matelas, restes-y si tu veux. »

Ouvrant les autres tiroirs, elle découvre que rien n'y est. Juste une sorte de calice et une feuille. Elle s'empresse de saisir l'écrit. Peut-être encore des informations? Non. Éraflée, illisible. C'est ta faute, violente. Ce qui est fait est fait, c'est de sa faute et elle va le savoir.

La vieille, sortie de son délire recommence a parler. Dame lève les yeux au ciel, elle aurait pu s'abstenir, vraiment.

« Tu sais ce qu'on a ? Rien du tout, parce que Noan la violente a tout fait pété ! Elle lève le papier illisible pour qu'il soit bien vu. Vous savez ce qu'il y avait sur ce putain de bout de papier ? Des informations sur cette ville, peut-être une mise en garde contre des monstres ou que sais-je ! Mais c'était important, et t'as tout gâché. Merci infiniment. Son regard se tourne vers la jeune femme. Peut-être que t'es là depuis plus longtemps que nous, que tu sais plus de choses que nous, que peut-être je parais ridicule à m'énerver comme ça pour rien. Mais, moi, je comprends rien à ce qui se passe et je commence à saturer vachement, tu vois !? »

Essoufflée, ces mots sont sortis tout seul. Peut-être blessant mais pas autant qu'elle n'est perdue. Oui, elle devrait prendre sur elle, laisser faire les choses comme elle se le répète depuis le début. Mais elle ne peut pas ! Ca la dépasse tout ça, elle sait plus quoi faire, la petite. Quand on est perdue, qu'on sait plus qui on est, qu'est-ce qui reste à faire ? Certes perde le contrôle de soi comme ça n'est pas la meilleure des solutions. On lui pardonnera bien.

« Désolée, c'est juste que j'en ai marre, ça va aller. Son visage stressé laisse place à un sourire. On bouge d'ici ? Ou tu veux vraiment aller sur ton toit ? »

Et tu souris, un peu stressée. Tu viens quand même de l'engueuler, tu sais ? Peut-être qu'elle va te haïr et te planter là, en se barrant avec sa précieuse voiture. Alors tu seras vraiment perdue, et tu devras marcher, avec tes hauts talons ? Seule ? Tu ne le voudras pas, mais tu le feras parce que tu n'auras pas le choix. Tu n'aimerais pas rester dans cette vieille église glauque.

Oui. Oui, elle a saisi le mouvement de tête de la vieille. Et lui répond par la pareille alors qu’elle se retournait. Y avait pas besoin de plus pour ça, pas besoin de mots. Parce que t’as peur de gaspiller ta salive peut-être ? Elle tenait toujours son sommierl. Et putain ce que ça pouvait sentir la pisse. Elle retroussa les narines, dans une grimace peu appréciative. À se demander si Ratatouille et sa famille n’y auraient pas creusé leur nid. Mais tu veux pas fermer ta gueule, Noan ? T’es pas obligée de me faire partager tes réflexions les plus poétiques tu sais. Mais rien, en-dessous. Elle entendait Dame farfouiller. Elle laissa retomber le matelas.

Un calice. Okay, inutile. Et un bout de papier. Un peu mort. Okay. Inutile. Ça la faisait chier, mais pas de quoi fouetter un chien. Elle allait hausser les épaules, la mine sombre, quand les premiers mots de Dame virent cingler ses oreilles.

Et Noan de se relever tout à fait de la vieille piaule, ses épaules un peu trop larges pour être totalement féminines en arrière. Tête droite. Dos redressé. Et bras croisés. Et alors ? Sourdent ses yeux. Elle laisse s’écouler le flot de paroles sans broncher, seules ses prunelles sont assassines. Nul doute. Elle n’aime ni les ordres ni les reproches. Encore moins injustifiés. Bah, tu sais, tout le monde n’est pas un glaçon comme toi. Pas faux. Ayant à présent revêtu un air blasé, elle toisa Dame. S’étonne de remarquer que de constitution pourtant plus fine – et avec bien deux bonnets d’écart, tant qu’on y était – elle faisait pourtant la même taille. Bah, on s’en fichait après tout.

▬ Ils étaient fermés à clefs, c’est pas comme si en tirant t’allait arriver à quelque chose, même avec du bois vermoulu.

À son sourire désolé, elle se rapprocha, toujours aussi calme mais bien moins glaciale, presque amicale, et posa sa main sur l’épaule de la brune au passage.

▬ T'inquiètes. Et non, je préfère aussi y aller au plus vite, s’il n’y a plus rien ici. Elle lança un coup d’œil vers la fenêtre. Et je pense que si on continue droit sur notre voie, on tardera pas à toucher aux limites de ce bled.

Elle hésita, avant de redescendre l’escalier. Pas bien longtemps, avant de finir par se baisser d’un mouvement leste, et de ramasser le calice. Ça servirait sûrement à rien, mais dans la catégorie objet inutile, ça allait parfaitement avec la boîte cadenassée qu’elle se trimballait toujours. Et puis ici, qui sait, ça avait peut-être sa place dans un quelconque puzzle tordu. Autant le garder. Elle venait de s’engager sur les premières marches de l’escalier lorsqu’elle marqua un bref temps d’arrêt. La Grise n’aurait pas besoin d’aide pour descendre ?

Oh et fuck off. Dame pouvait aussi bien l’aider. Elle descendit la volée quatre à quatre, sans pour autant se presser.

S’engouffra dans la voiture, retrouvant le siège conducteur. Et attendit les deux autres, rangeant le calice dans son vieux sac.

Spoiler:

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