8-10h.
From : Monday : assembly line

À peine quelques secondes, avant que la réponse ne jaillisse, grésillante, et à peine désagréable, maintenant. Nulle part, hein ? Son visage se fend d'un petit sourire triste. On appelle ça l'ironie du tragique. Mais elle n'y prend déjà plus garde, installée sur ce siège trop formel pour y être à l'aise. N'importe où. Mais où ? Parce que tu voudrais bien savoir, hein, par où commencer. Elle ne regarde plus la route, ni l'extérieur, son attention est tournée vers elle-même. Elle manque lâcher un hoquet de surprise quand la voiture prend les devants, et se met à rouler toute seule. Mais le réprime ; cette voiture se déplaçait seule avant qu'elle y monte, aucune raison que cela change. La longue brune voudrait poser des questions, encore, dresser un tableau de la situation, mais sa mécanique partenaire ne lâche jamais rien de plus que l'essentiel. Elle aurait pu nier de la tête, par pure désapprobation. Mais n'en fait rien. Geste inutile, préfère ôter le manteau dans lequel elle était enserrée jusqu'à présent, pour le déposer sur le siège à côté d'elle. Reperd son regard dans le paysage, les maisons colonisées par la végétation, réduites au silence. Elle laisse aller la voiture, réfléchis, en attendant, profite de l'occasion pour tenter d'organiser un peu le tout.

« Les deux mains sur le volant. » Pourtant elle les a croisés, ses bras, tu penses à quoi, on se le demande, alors que la voiture débouche d'une ruelle. Elle saisit le mouvement du coin de l'oeil. Mouvement. Déclic.

▬ MERDE !

Ses mains s'agrippent au volant, en dernier réflexe, elle tente de braquer. Déphasée, elle n'est pas sûre d'avoir entendu le choc d'un corps sur la carrosserie. Si ç'avait été juste une ombre ? S'il n'y avait eu personne, que ce n'était qu'une hallucination ? Ce genre de chimères auxquelles on voudrait se raccrocher. Pas elle. Car cela aussi, c'est inutile.

▬ Mais quelle conne !

Elle n'ira pas s'y perdre, non, elle a déjà sauté hors de la voiture, portière laissée ouverte, afin de se précipiter vers la femme, au milieu de la chaussée. Sa masse de boucles est à terre, elle a mit tout son être au sol. Fière de toi ?

▬ Tu n'es pas blessée ?

Gestes vifs, elle s'agenouille auprès d'elle, les yeux encore agrandis par la peur, sourcils froncés d'inquiétude. Hésite à lui prendre le poignet, se demande pourquoi elle a eu l'automatisme de vouloir accomplir quelque chose d'aussi stupide. Se contente de lancer un regard granit, inquiet. Parce que si c'est le cas, laisser un blessé dont elle est responsable, lui semble au-dessus de ses forces. Pourquoi maintenant, et pas avant en abandonnant le gosse dans le train à son arrivée ? Aucune réponse, question reléguée. Elle pense à tenter de l'aider à se lever, mais préfère attendre de vérifier que rien n'est cassé. Inutile d'empirer les choses.

Dwah!:

▬ Mais je crois pas que ce soit ma vocation.

C'est peut-être étrange, de dire ça en parlant de l’innommée, et pourtant, elle se sent rassuré lorsque l'accidentée lui assure qu'il n'y a rien de grave. Relieved. Parce qu'admets-le, être impliquée dans un accident de bagnole dans une ville déserte semblant plus servir d'asile qu'autre chose, ça n'aurait pas été pour t'arranger. Doucement, ses traits reprennent leur attitude neutre habituelle ; elle ne se sent pas de répondre au sourire de la brune. Pourtant, c'est le cynisme qui peint son visage, subtilement nuancé, quand elle lui répond.

▬ Ce n'est pas comme si je conduisais réellement... Elle tapota sur la carrosserie de la voiture de police, du dos des doigts. Pas vrai ?

Elle devait avoir l'air d'une folle, à parler dans ce qui semblait être le vide, du moins à elle-même. Et bien, ici, elle allait probablement finir par le devenir. Autant en prendre l'habitude de suite. Ironie, ironie, quand nous nous tenons par la barbichette. ♫ En parlant, elle s'était reculée d'un pas, laissant la place à son interlocutrice de se relever. Lui laisser une bulle, un espace vital, autour d'elle, presque. Presque. N'était-ce pas chercher trop de prévenance chez la brune ? Elle haussa ses épaules qui peinaient à tendre sa chemise masculine.

▬ J'sais pas s'il existe d'autres manifestation semblables - bien que leur existence soit probable est sûrement réelle - de choses de ce genre ici, en tout cas cette voiture se conduit seule, parle quand ça lui chante, et est relativement frigide, finit-elle de palabrer sur une maladroite esquisse de sourire.

Ça ressemblerait même à une invitation à en dire plus.
Car rien n'est jamais gratuit, hein ?
Et pourtant.
Pourtant.
Ce pourtant qui se suffit à lui-même.

♫:

La vieille femme suit la fillette, facilement repérable à sa longue crinière de boucles brunes. Mais elle ne la suit pas longtemps, à peine le temps de parcourir une ruelle qui lui donne l'occasion de constater qu'une fois de plus, les plantes et mauvaises herbes sont quelque peu envahissantes. Et de pester contre le manque de propreté, encore. Elle s'accroche à sa canne et à son sac comme à des bouées de sauvetage. Car maintenant que la seule personne contre qui elle pourrait râler est à quelques mètres devant et ne la voit même plus, tout ce qu'elle a tenté d'enterrer en remettant à leur place les deux énergumènes revient la tarauder.

Serrant les lèvres, se concentrant, elle tente à nouveau de fouiller désespérément sa mémoire pour un nom, un âge, un visage, n'importe quoi. Mais il n'y a rien. Rien qu'une obscure scène où elle se fait virer, qui lui revient vaguement. Mais elle l'écarte rapidement. N'importe quoi... La virer, elle ? Un malentendu, sans aucun doute. Mais toujours pas le moindre indice sur son identité. Elle s'accroche donc au présent, fixant la silhouette qui avance d'un pas sûr devant elle. Au moins, ce n'est pas Alzheimer : la fillette, le glaçon et Saumon ont dit ne se souvenir de rien non plus. Oh, bien sûr, elle s'en méfie, de ces trois-là, surtout des garçons qui l'ont contredite. Mais elle ne voit pas pourquoi ils auraient menti ; et elle a bien remarqué, grâce à sa perspicacité habituelle, qu'ils avaient l'air perdus aussi. C'est qu'il ne faut pas la sous-estimer.

Puis la vieille s'interrompt brutalement. Elle est arrivée au bout de la ruelle, et là où elle pensait simplement retrouver la fillette en train de marcher, c'est un tout autre spectacle qui l'attend. La fillette est en train de se relever, parlant à une autre brune, aux cheveux courts celle-là, qui vient visiblement de sortir d'une voiture de police. Elle hausse un sourcil. Certes. Puis décide de faire abstraction de l'étrangeté de la situation, puisque l'étrangeté semble être la norme ici.

Elle s'avance vers les deux jeunes femmes. Après avoir abandonné l'option "Saumon et Glaçon" pour cause d'amour-propre - mais soyons claire, c'était complètement de leur faute, elle n'avait rien à se reprocher -, il faut qu'elle reste avec elles, parce qu'elle sait parfaitement que seule, elle ne s'en sortira pas. Elle jette un regard en coin à la fillette du Train. Après tout, elle était du même avis qu'elle, tout à l'heure. Insolente, mais elle ne l'a pas ouvertement contredite, au moins. Bon. On verra. La vieille entend les mots de la brune aux cheveux courts - et voilà, autre problème de la perte de mémoire : facile de désigner des gens qui n'ont pas de nom, hein ? Tsss... Bref. La voiture parle et bouge toute seule, apparemment. Bizarre ? Donc normal, ici, conclut la vieille femme. La fille lui plaît déjà plus que les autres, en tout cas. Elle n'est pas arrogante, elle.

C'est pourquoi, quand elle a fini de parler, elle la gratifie d'un hochement de tête et d'un « Bonjour. » Puis elle continue sur sa lancée, intriguée par cette fille qui est arrivée dans une voiture se conduisant seule.
« Tu te souviens de quelque chose, petite ? Et la voiture... va où elle veut ou où tu veux ? » Façon déguisée de demander si cette chose vivante peut les emmener quelque part. Quoique... Elle aurait dû demander directement à la voiture, peut-être ? Elle regarde le véhicule avec envie. Et une pointe de suspicion. Et si elle pouvait les emmener... en dehors de cette Ville folle, par hasard ? Sauf qu'elle n'allait tout de même pas faire confiance à une voiture, non plus.
Elle décide soudain de pallier à ce problème de dénomination et interroge les deux filles : « Vous avez des noms ? »

Au moins si c'est une voiture de police, elle est peut-être plus propre que le reste de la Ville. Et ne doit pas aimer les jeunes délinquants non plus. Ce qui rappelle à la vieille qu'elle n'a rencontré que des jeunes, dans cette Ville. Elle apprécie de moins en moins cet endroit, décidément.

Spoiler:

Et tu sais quoi ? Ça l’amuse. Oui, ça la réjouirait presque profondément, de voir la tête dégoûtée, cette impression de « Une folle passa » qu’affichait pleinement la brune à la crinière volumineuse. D’exposer un côté de soi et d’en observer les réactions sur les autres. De les voir, se reculer, mais rester, par besoin. Car elle était pour l’instant en position de force : la brune semblait tout juste sortir du train. Oui, ça l’amuse, et il n’y a que ses yeux pour refléter la joie retorse contenue.
Elle ne se savait pas si manipulatrice.
Mais il faut croire qu’aujourd’hui est la journée des essais.

Alors elle se contente de la fixer, attendant une réaction correcte de ta part, jouet temporaire incapable de se dépasser, étincelle toujours dansante, jusqu’à ce que débarque le prochain personnage. Son attitude change soudain, elle redevient la stable et distante jeune femme qu’elle a sûrement été. Elle lui adresse un hochement de tête en guise de bonjour, l’écoute l’air neutre, incline en légèreté la tête, inclination qui puisse passer pour docilité. Mais rien, il n’en est rien, elle maîtrise pour l’instant, calcule.

▬ Pas vraiment, commence-t-elle. C’est plutôt confus. Dilue, dilue, dilue, sans qu’on puisse reconnaître l’essence de l’eau, de vie ou d’espoir. Dilue, dilue, parce que tu n’as pas envie de faire rejaillir les mémoires. Dilue, comme un fuyard. Toujours appuyée sur la voiture, elle la désigne de sa main libre, sans laisser échapper un demi-sourire félin, comme à l’attention de la dame d’Avant. C’est assez aléatoire. Si je suis arrivée ici ; c’est que je l’ai laissée faire, mais elle se laisse également conduire.

Et élude, encore, la dernière question. À moins que la vieille ne voie la négation dans son discret hochement de tête, qui voit envoyer valser ses mèches baladeuses. Parce qu’on -je ?- lui dit qu’elle semble moins que ce qu’elle n’est, la petite blanche. La réaction de l’opulente tignasse n’est pas passée inaperçue, et la brune en est persuadée, la nouvelle arrivante serait capable de cacher son jeu sous ses manières presque policées. Mais tu sais, ma grande, je pense que ton petit jeu ne fonctionnera en rien si la ridée n’y voit rien à plus de deux mètres. C’est fou ton degré d’inutilité, parfois. Mais peut-être que le vent que tu colles aux voulues cyniques remarques de l’accidentée aura le mérite de l’exaspérer. Qui sait.

Sauf que, la brune n’est pas si conne qu’elle en a l’air, sous ses réactions de premier degré et son humour rocailleux. Finalement, tu lui accordes un regard, et surtout de l’intérêt. Prend une, deux, trois secondes pour réfléchir, et malgré l’air qu’affiche son interlocutrice, non, ce n’est pas toi qui orientera son choix de réponse, miss ébouriffée de la crête. Fuse la réponse, et tournent les violons.

▬ C’est une possibilité. Je ne sais pas si la voiture laissera passer cela, et je n’ai pas encore parcouru d’autre quartier, mais on peut effectivement tenter de trouver les limites et de les franchir. L’idée ne m’a jamais traversé l’esprit.

Et elle a ses raisons. Trouver des raisons, des explications, en fuyant un passé inutile et ici inintéressant. Parce qu’elle a beau, elle aussi, aller d’avant en avant, elle ne fuit cependant pas, pas comme les deux femmes en face d’elle. Non, elle tente de dépasser le passé. Enfin ça, c’est ce qu’elle croit.

J’ai encore à faire ici. Il y a une raison à leur présence.

Traduction : je vous accompagne, parce que ça peut m’intéresser, et ensuite, demerdieren sie sich. Invitation informulée, elle ouvre la portière arrière sans se retourner, et s’engouffre dans l’habitacle, reprenant place devant le volant. Et si le fait d’être dans une voiture de police lui envoie toujours une onde désagréable dans le dos, elle commence à s’y faire, à ce siège. Coup d’œil intrigué aux deux laissées sur la voie. Vous montez ?

Spoiler:

Elle en avait d'autres comme celle-là, la fillette ? Tu as un balai magique ? Mais repars, alors ! Tu avais un GPS ? Tant mieux pour toi fillette. Il est cassé ? C'est pas de bol, hein ! Tout cela sort de sa bouche sous forme de grommellement inaudible et parfaitement indistinct, qu'elle ponctue avec animosité d'un regard noir lancé à la brune.

Et aucune d'entre elles n'a répondu à son interrogation sur les noms. C'est incroyable quand même ! Elles ne l'ont peut-être pas entendue... Non, elle va arrêter de leur chercher des excuses. Surtout à la fillette, parce que l'autre a l'air un peu égarée. Elles ont jugé sa question inintéressante, ne lui ont pas accordé d'attention. Le respect. Mais le respect, bon sang de bonsoir ! Ah, elle mettrait bien les points sur les I à la manière forte, tiens. Lever tous les matins à cinq heures, vaisselle et récurage, ménage toute la journée, ça leur ferait certainement le plus grand bien. Seulement voilà, elles sont tout à fait libres de partir vu l'endroit étrange où elle atterri et elles ne seraient sûrement pas d'accord. Dommage.

D'ailleurs, cela lui rappelle qu'elle n'en a pas, elle, de nom. Il va falloir qu'elle s'en trouve un, ce n'est plus possible. Un nom provisoire pour une vie provisoire dans cette Ville, avec un but provisoire étant de retrouver sa mémoire et de sortir de là - buts à atteindre définitivement, par contre. Parce qu'il y anguille sous roche, ici. Un nom, donc. Elle n'a pas d'idée. Qu'est-ce qu'elle a, alors ? Sa main glisse dans son sac, sent le contact du faux cuir... ainsi que des petits objets cylindriques. Elle a des bigoudis. Elle sera donc Bigoudi. Au moins, ça sert à embellir. C'est provisoire, de toute façon.

Tout de même, la situation commence à l'inquiéter. Normalement, avec Alzheimer, les autres ont des souvenirs au moins. Là non. Et si elle ne retrouvait jamais la mémoire ? Si elle était condamnée à errer pour toujours dans une Ville glauque, avec des jeunes délinquants pour seule compagnie ? Cette pensée la terrifie. Les autres sont exaspérants. Ces jeunes... Tous pareils, évidemment. La fillette lui prend le chou. Parfait. Si ça l'amuse... Mais la vieille a promis qu'elle se vengerait, et elle le fera. On peut être deux à jouer à se faire des crasses. La guerre est déclarée. On ne me traite pas comme ça plusieurs fois de suite.

Elle s'aperçoit à cet instant que la fille aux cheveux courts s'est glissée dans l'habitacle de la voiture de police, laquelle n'a pas donné signe de vie. Et comme une invitation, la portière arrière qu'elle a ouverte. Bigoudi scrute l'intérieur de la voiture. Peut-être un peu égarée mais plus aimable que celle du Train, la deuxième brune. Bien. Elle monte dans le véhicule, non sans auparavant écraser le pied de la fillette avec sa canne au passage. Oups ! Pas fait exprès... Satisfaite, elle prend place derrière le siège conducteur.

Spoiler: