Une fois de plus, Pâques se réveille. Sa tête tourne plus que jamais et le liquide poisseux continue de couler le long de son crâne. Elle a envie de vomir. Des images s'entrechoquent dans sa tête, elle les laisse se remettre en place.

***

Les yeux bleus. La ruelle. Le rat. Le livre. Le sang.

La rage. Le col du junkie. Une caresse dans les cheveux. Une séparation.

Des ronces. Un corps ensanglanté. Défiguré. Une traînée de sang.

Une main qui l'empoigne, lui fait mal. Une phrase qui résonne.

« Chacun sa merde, après tout. Toi par contre, tu viens avec moi, j'veux des explications. »

Tête qui tourne. Haut le coeur. Ventre qui se tord. Jambes qui se dérobent. Noir.

Cadavre mutilé...


***

Le coeur de Pâques semble remonter dans sa gorge quand elle se redresse et vomit. Elle porte la main à son ventre et rend le peu de nourriture qu'elle avait avalée, ainsi qu'une bile abondante.

Elle regarde autour d'elle, profitant de la lumière terne qui illumine les lieux. Si elle se souvient bien, c'est une station de métro. Il y fait chaud et des gouttes de sueurs viennent tomber dans ses yeux. Qui pourtant se posent fixement sur un vieux poteau recouvert de plantes, des plantes qui...

"Bougent !"

La jeune fille a violemment tourné la tête. Elle s'écroule à nouveau au sol, succombant à la douleur lancinante qui vrille son crâne.

"Ma tête..."

Elle l'a vu, avant de tomber. Le garçon aux yeux bleus. Il est à côté d'elle. Elle a peur, mais elle ne peut rien faire. Elle a envie de fermer les yeux quand soudain, elle réalise. Chacun sa merde...

"Tu l'as pas laissé là-bas dis ? T'aurais pas fait ça, t'es pas si méchant..."

Sa voix tremble et elle lutte pour garder les yeux ouverts...

De retour dans ce métro pourri. S'ils ne s'étaient pas planqués dans les toilettes, ils seraient tombés sur ce putain de parc, alors, la veille ? La gamine pouvait de nouveau marcher. Elle semblait à moitié inconsciente, en fait, et, à la lueur blafarde des lampes qui parsemaient la bouche de métro, Novembre avait remarqué une quantité plutôt... Anormale ? De sang sur sa tête. Cheveux bleus teintés de rouge, youhou, c'était disco sur sa tête. Enfin il préférait attendre d'être vraiment en sûreté pour s'arrêter et regarder ça de plus près. Pour l'instant, il fallait échapper aux ronces, échapper à la mort, échapper aux cadavres.

Miss Blue-hair vomit. Waaah, classieux dis donc. Bon, le problème, c'est que juste après ça, elle commença à paniquer, hurla un truc qui ressemblait à un verbe sans sujet - non, non, rassurez-vous, Novembre ne connaissait pas ces termes obscurs, c'est l'utilité d'avoir affaire à un narrateur externe, vous voyez -, avant de s'étaler de nouveau sur le sol. Elle se plaignit d'avoir mal à la tête. Ben oui, c'est bien écoute, mais qu'est-ce que j'y peux, moi ? C'pas ma faute, t'avais qu'à pas te blesser, aussi.

Et elle s'inquiétait pour l'autre blond. Il avait envie de lui mentir, pour qu'elle arrête de se prendre la tête avec ça, et qu'elle se concentre sur le fait de soigner sa blessure. De lui dire qu'il était parti en éclaireur pour trouver une sortie au métro. Mais après tout, si elle ne regardait pas la réalité en face, rien ne changerait. Et elle se ferait dégommer à la moindre embûche tendue par la Ville. Il s'arrêta à côté d'elle, ouvrit la valise, en sortit une bouteille d'eau et une bande velpeau. C'était censé servir aux Maraudeurs, ça... Il commença par verser un peu du liquide incolore sur le crâne de la jeune fille. Elle transpirait, elle devait mourir de chaud.

« C'est pas de la méchanceté, c'est du bon sens, gamine. Et puis il sait se débrouiller, il a pas l'air aussi empoté que toi. »

Sourire ironique qu'elle ne verrait probablement pas. Ouais, c'était bien le moment, tiens. Il lui colla le tissus blanc dans les mains et la força à se redresser un peu. Il n'allait pas non plus tout faire pour elle, hein. Il faudrait encore essayer de nettoyer cette vilaine plaie qui saignait, mais elle pourrait tamponner son crâne meurtri avec un bout de velpeau imbibé d'eau.

« Dis, t'as un nom ? Il t'es arrivé quoi, au juste ? »

D'abord la blessure qui pissait le sang. Ensuite, les infos. Il avait besoin de ces infos. Il voulait savoir, maintenant. Elle le connaissait, visiblement. Qu'est-ce qu'elle avait vu, au juste, dans ses souvenirs ?

L'eau qui dégouline sur sa tête lui fait du bien. C'est frais et elle ouvre un peu plus les yeux.

« C'est pas de la méchanceté, c'est du bon sens, gamine. Et puis il sait se débrouiller, il a pas l'air aussi empoté que toi. »

Bon sens... Alors... Il l'a vraiment fait ? Il l'a abandonné avec les ronces qui tuent les gens ? Non, personne peut être aussi ignoble, c'est pas possible. Il est pas comme ça, pourquoi il fait croire qu'il est pas gentil comme ça ?

Il la force à se tenir un peu plus droite et lui donne une bande blanche qu'il a pris soin de mouiller. Il prend soin de moi, c'est une preuve qu'il est pas un monstre... Elle passe lentement la bande sur sa blessure, grimaçant alors qu'elle l’effleure à peine. Sa tête nue. La casquette de LSD... Une larme coule le long de sa joue.

« Dis, t'as un nom ? Il t'es arrivé quoi, au juste ? »

Alors il se souvient de rien ? Elle n'a pas envie de lui mentir. La gamine empotée va lui rafraîchir la mémoire.

" Pâques. Je suis tombée, près de la fontaine. C'est comme ça que j'ai reçu notre souvenir. On était dans une ruelle, j'avais la trouille, c'était glauque, je t'amenais un bouquin. Enfin, juste sa couverture. J'ai trébuché et je me suis blessée à la tête. Je t'ai filé le livre et je suis partie."

Elle frisonne en repensant à la ruelle. Ajoute, amère et accusatrice :

"J'étais vraiment paniquée mais je crois que j'avais une bonne raison de faire ça. Ca t'arrive souvent d'abandonner les gens à la mort et de terroriser les gamines ?"

Pâques. C'était pas une fête, ça ? Bref. Elle était allée à la fontaine alors, intéressant. Il nota l'information, se dit qu'il lui poserait peut-être des questions dessus un peu plus tard. Un bouquin ? Naaaan... Ah, oui, une couverture "vide". Déjà plus probable. Enfin, il se doutait quand même du contenu de la reliure en question. Il grimaça à cette idée. Pas étonnant. Maintenant pourquoi elle était impliquée dans l'histoire ? Il ne remarqua même pas la larme, trop réoccupé par la reconstitution mentale de ce souvenir. C'était étrange de ne pas se souvenir de soi-même.

Sa dernière phrase lui arracha un autre pseudo-sourire. Qu'est-ce qu'il en savait, lui, au fond ? Il repensa à Hawkeye. Ouais, ok, lui, il l'avait carrément laissé tomber. Il n'avait rien pu faire. Et à part lui ? Il n'avait pas souvenir de s'être montré particulièrement traumatisant avec des gosses, pourtant. Non, il était juste "comme ça", enfin la gentillesse ne faisait pas spécialement partie de ses qualités. C'était pas la mort, non plus.

« J'en sais rien. C'est peut-être toi qui est facilement impressionnable ? Ou alors effectivement, je suis le grand méchant loup et je fais peur aux enfants, mais c'est la vie, faut grandir, un peu, des fois. »

Oui, enfin surtout quand ça l'arrangeait, en fait. Non, décidément, il ne pouvait pas s'empêcher d'être ironique. Et il sentait encore comme une certaine nervosité, en lui. Toujours ce manque qui le rongeait de l'intérieur. De quoi pouvait-il bien manquer ? Il se doutait du répertoire, mais avec précision, il avait besoin de quoi ?

« Et l'autre blond va pas mourir, j'te dis, il peut tenir plus de cinq minutes sans nous, hein. Au fait, t'as parlé d'une fontaine, elle fait quoi exactement ? J'ai entendu dire qu'elle était pas mal dangereuse. »

Il essaye de se souvenir. Elle le voit et guette une boule lumineuse qui peut arriver à tout instant. Mais non. Elle ne sait pas vraiment si elle a envie de savoir. Un peu. Pour l'aider à être gentil. Est-ce que c'est un sourire qui traverse furtivement son visage quand elle parle ?

« J'en sais rien. C'est peut-être toi qui est facilement impressionnable ? Ou alors effectivement, je suis le grand méchant loup et je fais peur aux enfants, mais c'est la vie, faut grandir, un peu, des fois. »

En plus il se permet d'être ironique. Pâques lève les yeux au ciel et pousse un léger soupir. Sa tête tourne toujours mais l'eau fraîche lui a fait du bien. Elle oublie un peu sa blessure pour se concentrer sur la boule qui s'est formée au creux de son ventre. Stress. Peur. Elle ne sait pas comment communiquer avec lui. Alors elle se lance dans son registre.

" T'as troqué ton costume de mère grand contre un costume de junkie pour attirer les jeunes filles ? Pas super efficace, faut pas toujours chercher à innover. Dis, pourquoi je te filais une couverture de bouquin ? Je sais que tu sais, me mens pas, s'il te plait. "

Ca ne lui ressemble pas de parler comme ça. Enfin elle croit. Mais elle ne sait pas comment capturer son attention autrement. Et si elle veut l'aider à pas sombrer, elle doit réussir à le garder avec elle. Il a l'air... Nerveux. Elle a envie de faire quelque chose...

« Et l'autre blond va pas mourir, j'te dis, il peut tenir plus de cinq minutes sans nous, hein. Au fait, t'as parlé d'une fontaine, elle fait quoi exactement ? J'ai entendu dire qu'elle était pas mal dangereuse. »

L'autre blond. Pâques frissonne en repensant à lui. Elle s'en veut de le savoir seul là-bas. Mais maintenant, elle ne peut pas abandonner...

" Comment tu t'appelles ? Et pourquoi t'es tendu comme ça ? Je vais pas te manger, moi je suis le petit chaperon orange, ça se voit pas ? "

Silence.

"La fontaine je sais rien, je suis partie trop vite. Il y avait des restes de nourriture et des traces de pas fluorescentes étranges. Mais si tu veux, je peux te parler du Chat en pierre qui bouge, au Pont. Enfin, si ça fait pas trop enfant pour toi bien sûr. "

Ouais, il savait. Et putain pourquoi elle parlait de grand-mère, là ? Ça lui rappelait son léger problème de vieillissement subite. Rien de très grave, hein, tout allait pour le mieux. Et donc ouais, il savait, mais il ne se sentait pas de lui parler de drogue maintenant, alors qu'elle flippait déjà à mort dans les tunnels du métro. Et ça l'agaçait encore plus, parce qu'il avait drôlement envie de lui montrer que la vie n'était pas rose, et que s'il avait abandonné l'autre godiche blonde à son sort, c'était pour se donner une chance de plus de survivre. Parce qu'il avait des raisons, de vouloir survivre. Et une promesse à tenir.

Et ça lui ferait les pieds de voir qu'elle n'était pas tout à fait clean non plus, tiens. Comme ça elle arrêterait peut-être de lui donner des leçons de morale.

« C'pas la couverture qui est importante, c'est c'qu'il y avait dedans. Alors sois gentille, et cherche toute seule dans ta petite tête cabossée ce qu'on peut se passer dans une ruelle sombre dans une couverture arrachée de livre. Je suis sûre que t'es pas trop stupide, tu vas trouver. »

Mauvaise humeur. Et toujours cette faim, mais pas une faim de nourriture. Une faim d'autre chose. Il réfléchit rapidement. De quoi manquait-il, en l'instant ? Il avait mangé des gâteaux, n'avait plus soif et avait réussi à dormir un peu dans la nuit. Pas de mal de ventre particulier, juste cette impression d'être vide d'une chose. Vide de sa drogue. De quoi se rappelait-il ? L'odeur entêtante de la cigarette que s'était grillée Hawkeye la veille dans la maison abandonnée lui revint en tête. Oui, c'était ça. Il voulait fumer. Il devait fumer. Avant de péter un plomb. Il considéra la gamine, et se dit qu'elle devait être bien trop naïve et innocente pour avoir des clopes sur elle. Putain... Pourquoi j'm'en suis pas rendu compte au super-marché ?

Excellente question. Comme celles que lui posaient Pâques, d'ailleurs. Et cette histoire de chat en pierre qui bougeait... Gamin, ouais. Mais tellement possible, dans cette ville de merde. Pas pire que le coup des grenouilles.

« Appelle-moi Novembre. Et j'suis pas tendu, ok ? Je vais parfaitement bien. »

Ouais, c'est ça, j'vais bien. T'façons, se plaindre servira à rien, alors merde. Regard excédé à la gamine.

« J'ai traversé le Pont aussi. J'ai pas vu de chat, c'est quoi cette histoire ? »

Peut-être qu'il était trop occupé à dormir pour le voir, aussi ? Humeur de merde, bonjour.

« C'pas la couverture qui est importante, c'est c'qu'il y avait dedans. Alors sois gentille, et cherche toute seule dans ta petite tête cabossée ce qu'on peut se passer dans une ruelle sombre dans une couverture arrachée de livre. Je suis sûre que t'es pas trop stupide, tu vas trouver. »

Des trucs louches. Mais ça doit pas être ça la réponse exacte. Sauf que Pâques se souvient pas. Ou alors ne veut pas se souvenir, au choix. Enfin, le résultat est le même, elle ne peut pas lui répondre. Et ça l'énerve, de pas comprendre. Parce que ça va le mettre en colère et c'est pas comme ça qu'elle va pouvoir l'aider...

« Appelle-moi Novembre. Et j'suis pas tendu, ok ? Je vais parfaitement bien. »

Novembre. C'est joli, quoi qu'un peu froid comme mois. Un peu comme lui. Mais bon, elle est là pour apporter un peu de chaleur. Elle va essayer. Par contre, il sait pas mentir. C'est plutôt une bonne nouvelle. Pâques cherche ce qu'il peut bien lui arriver. T'es un peu longue à la détente gamine tu sais ? Si toi t'as perdu ton Géant, pourquoi lui il aurait pas perdu quelqu'un ? Mais alors... Son regard froid la fait trembler.

« J'ai traversé le Pont aussi. J'ai pas vu de chat, c'est quoi cette histoire ? »

[i]Bon. Calme toi Pâques. Parce que là, elle panique. Elle perd le contrôle. Comment elle peut l'aider s'il reste si froid et distant ? S'il lui explique pas les choses ? S'il l'agresse en permanence. Pâques pense à LSD. Toujours calme, présence rassurante qui lui manque si cruellement... LSD, vient me chercher, me laisse pas avec lui... J'ai besoin de toi... Non. C'est pas comme ça qu'elle va s'en sortir. Elle doit être forte si elle veut le retrouver. Et aider Novembre. Parce que non, elle le laissera pas couler.

"Si tu veux pas te trimbaler une gamine ignorante tu vas devoir m'expliquer pour le bouquin parce que j'arrive pas à me souvenir. Ça bloque. Et si t'es tendu imbécile. Mais je sais pourquoi, toi aussi t'as perdu quelqu'un hein ? Je parie que c'est une fille. On va la retrouver, décrit la moi."

Aller, encore un peu de culot Pâques, juste un peu, pour qu'il t'écoute.

"Le Chat c'est une statue. Il a des saphirs à la place des yeux et des runes fluorescentes sur le corps. Il m'a demandé de chercher une fiole bleue et m'a filé un sifflet qui a fait fuir l'Ombre du Pont. Elle doit jamais savoir que je l'ai. Comment tu as passé le Pont sans sifflet ?"

Presque fini.

"Moi j'ai perdu LSD. Un garçon très grand, fin, avec des yeux ambres et des cheveux bruns. Il porte un sweat trop large et sans doute encore bien humide. Il est très silencieux et il supporte pas le contact. Je veux le retrouver, je dois le retrouver. Et si tu te fous de moi, je t'en colle une c'est clair ? Les sentiments ne sont pas une faiblesse mais une force."

Quel culot. T'as beaucoup parlé gamine... Ouais mais j'ai la trouille et ça va un peu mieux.

Mais c'est qu'elle le menaçait, en plus ? Qu'elle lui faisait du chantage ? Hahahaha, la bonne blague ! Voilà pourquoi il n'aimait pas les enfants. Ni les adolescents attardés et pas débrouillards. Et naïfs. Et intrusifs. Et... Et... Et... Et amnésiques ! Voilà ! Il en avait sa claque des amnésiques !

Et elle osait lui parler d'Hécate ? Il lui jeta un regard assassin lorsqu'elle parla de la retrouver. Oui, il allait la retrouver. Mais il le ferait tout seul. Parce que... Parce que... Et bien il ne savait pas trop pourquoi mais c'était comme ça. Point. Et ne songez même pas à lui dire que l'esprit de contradiction ça n'attirait que des emmerdes, parce qu'il vous répondrait que non, qu'au contraire c'était tellement bien comme ça, juste pour vous faire chier. Voilà, c'était ça, son humeur du moment.

Mais en face de lui, c'était juste une gamine apeurée et qui ne faisait visiblement aucun effort de logique. Mais merde, à ton avis, à part de la drogue, tu connais beaucoup de choses qu'on fourre dans une fausse couverture de bouquin ?! Novembre commençait à perdre patience. Il se leva et s'écarta de quelques pas de Pâques, lui tournant volontairement le dos. Cet air perdu et innocent qu'elle affichait le révoltait. Comment pouvait-on être aussi... Aussi... Aussi niaise que cette fille ? Elle croyait quoi, que tout allait se passer comme dans un joli dessin-animé pour enfant, que les méchants allaient être punis et qu'ils retrouveraient tous les deux les êtres qui leur étaient chers ? Pas avec cette mentalité là, en tous cas. Il fallait avoir un peu plus de jugeote.

« En voiture, ça va plus vite. »

Il n'avait plus envie de parler. Les questions, c'était bien quand c'était lui qui les posait. Et subir l'interrogatoire d'une sale gosse aux cheveux bleus, c'était carrément humiliant. Hécate aurait sans doute ri en le voyant. Avec le même rire moqueur qu'à la mairie. Il voulait entendre ce rire.

Pour de vrai.

Il fit brusquement volte-face en entendant la dernière phrase de Miss Blue-Hair. C'en était trop, là. Le brun commença par serrer les dents, essayant de se contrôler pour ne pas l'envoyer faire un gros câlin au mur. Puis il commença à lui aboyer dessus, autant pour se défouler sur quelqu'un que parce qu'il n'acceptait pas que cette fille le traite comme un gamin de trois ans :

« Mais tu te prends pour qui, à la fin ?! T'as vu ce que ça a donné, tout à l'heure ?! Avec ta force de mouche, tu crois que tu pourrais faire quelque chose ?! En plus t'as vu ton état ?! Nan mais sérieux c'est quoi ton problème, sale gosse, tu fais ta crise d'adolescence ?! Tu crois que t'as rencontré le prince charmant ? J'vais te dire ce qu'il y avait sans doute dans tes putains de couvertures de livre ! De la drogue, c'est clair ?! »

Il lui aurait bien épelé le mot, pour appuyer son effet, mais bon, vous voyez... C'était Novembre, quoi, il fallait pas pousser. Lentement, il s'approcha de Pâques. Un pas après l'autre, menaçant. Il avait arrêté d'hurler. Arrivé juste devant la gamine, il se pencha un peu en avant, et chuchota, hargneux :

« Et tu sais quoi ? Le LSD aussi, c'est de la drogue. Tu vois, c'est peut-être en partie pour ça que tu traînais avec des "gens comme moi". T'es peut-être pas aussi clean que t'en a l'air. »

Voilà, ça allait mieux. Il avait craché toute sa haine sur une pauvre petite fille sans défense, et il se sentait mieux.

Ou pas, en fait. Il aurait aimé se sentir mieux. Mais à la place de la colère bouillonnante, il y avait du dégoût et de la peine. Parce que ce qu'il venait de faire, c'était moche. Elle avait sans doute été gentille avec lui. En fait, il n'arrivait même pas à mesurer à quel point. Lui, il était enfermé dans son petit monde, et il prenait tout comme une menace, depuis qu'il avait perdu Hécate. Il se redressa, prenant enfin conscience de tout ce qu'il venait de dire. Pleinement conscience. Il déglutit difficilement.

« J'ai pas vu de gars comme ça. Et... Et la fille que je cherche est assez grande, brune, avec les yeux verts. »

Le brun baissa les yeux, comme si ça pouvait lui servir d'excuse, comme si ça pouvait faire pardonner sa tirade vindicative. Ou alors, comme si parler d'Hécate maintenant avait détruit toute son assurance. Oui, elle lui manquait. Terriblement. Parce que là, il était tout seul. Seul. Avec ou sans la gamine, il était et resterait seul.

Et surtout, il avait l'air bien con, planté devant Pâques comme ça. Alors il se retourna, attrapa la hanse de la valise d'un geste lent et désabusé, et commença à marcher. Très lentement. Pour s'éloigner de la gamine, et arrêter de lui faire du mal.

« On perd notre temps, ça sert à rien de rester là. »

Comme si tout le poids des horreurs de la Ville pesait à présent sur ses épaules.

Le regard assassin de Novembre lui a glacé le sang, pourtant elle a continué à parler. Elle a senti son coeur qui s'est serré. Agité. Comme dans la ruelle. Alors elle s'est répété la petite mélodie qu'elle se chantait déjà à ce moment là : « ne t'emballe pas comme ça petit cœur, s'il-te-plaît... »...

Lorsqu'il lui a tourné le dos et a commencé à s'éloigner elle est resté sans bouger. Ça ne l'avait pas empêché de continuer à parler. Pas de regret. Pas sur l'instant. Juste de la peur en réalisant ce qu'elle était en train de faire. Peur qu'elle avait baillonée tant bien que mal.

« En voiture, ça va plus vite. »

Elle balance sa dernière phrase. Volte face. Regard de tueur. Le ventre de Pâques se tord. Elle est allée trop loin, beaucoup trop loin. Et il l'agresse, crie. Elle a envie de se boucher les oreilles et de se ratatiner. Mais elle se force à rester stoïque face à sa haine.

« Mais tu te prends pour qui, à la fin ?! T'as vu ce que ça a donné, tout à l'heure ?! Avec ta force de mouche, tu crois que tu pourrais faire quelque chose ?! En plus t'as vu ton état ?! Nan mais sérieux c'est quoi ton problème, sale gosse, tu fais ta crise d'adolescence ?! Tu crois que t'as rencontré le prince charmant ? J'vais te dire ce qu'il y avait sans doute dans tes putains de couvertures de livre ! De la drogue, c'est clair ?! »

Ouais, c'est vrai qu'elle doit pas l'impressionner des masses... Et puis son prince charmant est loin... De la drogue ? Comment ça de la drogue ? Elle trafiquait de la drogue ?! Non impossible... Elle est incapable de faire ça hein ? Pourquoi elle ferait ça ? Elle se met à trembler.

Quand il approche, terriblement menaçant, elle recule. Jusqu'à se retrouver acculée contre le mur froid. Elle tremble comme une feuille mais retient les larmes qui lui montent aux yeux.

« Et tu sais quoi ? Le LSD aussi, c'est de la drogue. Tu vois, c'est peut-être en partie pour ça que tu traînais avec des "gens comme moi". T'es peut-être pas aussi clean que t'en a l'air. »

LSD c'est de la drogue ? Pour de vrai ? Peut-être, pourquoi il mentirait ? Non, elle est peut-être pas clean, c'est sûr. Elle ferme les yeux et respire bruyamment. Que doit-elle faire maintenant ?

« J'ai pas vu de gars comme ça. Et... Et la fille que je cherche est assez grande, brune, avec les yeux verts. »

Elle ne le voit pas baisser les yeux. Elle le sent juste s'éloigner, l'entend marcher.

« On perd notre temps, ça sert à rien de rester là. »

Elle ne sait toujours pas ce qu'elle doit faire. Son coeur balance. D'un côté la peur, l'envie de s'enfuir loin de ce monstre. De l'autre l'irrépressible envie de l'aider, quoi qu'il lui en coûte. Elle a envie de l'envoyer balader mais ne parvient pas à desserrer les dents. Ce n'est que lorsqu'elle décide de laisser sa nature prendre le dessus qu'elle réussit à parler :

" Laisse mon prince charmant en dehors de ça s'il te plaît. Il avait un livre sur lui : "LSD mon enfant terrible". Mais tu as sans doute raison, je ne suis sans doute pas clean et je l'assume, Moi. "

Les mots coulent tous seuls maintenant qu'elle ne va pas contre ce qui est sa nature profonde.

"Je peux pas te laisser seul, même si tu me fous la trouille. Parce que t'es pas seulement en manque de la jolie brune, t'es aussi en manque de drogue. On va essayer d'en trouver."

Super, retour dans le monde des junkies...

"Faut que je te sorte de cette merde, tu redeviendras peut-être gentil si tu retrouves la fille. J'te laisserai pas sombrer. Pas comme dans cette putain de ruelle..."

D'où venait cette attitude ? D'un passé oublié ? Forgée près des gens comme lui ? Comme elle.

"Laisse moi t'aider. On dira à personne que le grand méchant dealeur a cédé à la petite gamine naïve. Et apprends moi à quoi ressemblait notre monde avant. Et celui là par la même occasion."

Elle rouvre les yeux, marche jusqu'à lui et plante ses yeux dans les siens.

"Je te lâcherai pas, je te promets."

C'est bon. Ta gueule. C'est clair ? Ta. Gueule. Arrête de me parler. Arrête de faire comme si j'étais un pauvre gosse sans défense qui a perdu sa tablette de chocolat. Chut. Tais-toi. T'es pas ma pote. J'te connais même pas. Alors ferme-la. Arrête de me suivre. Tu peux pas m'aider. T'es un boulet, tu comprends, ça ? Un bou-let. Je te fais peur ? Ben tant mieux, comme ça tu me lâcheras peut-être enfin les baskets. Franchement, dégage. Et arrête de parler. Nan, stop, j'en peux plus de tes pauvres discours de bisounours. Et je ne suis pas GENTIL. Surtout pas. La gentillesse, c'est pour les faibles. Ça apporte que des emmerdes. Ça te fait perdre ton temps.

Et j'en passe et des meilleures. Oui, voilà, c'était tout ce qu'il voulait hurler. "Ta gueule." Pour ne plus entendre ces phrases dégoulinantes de gentillesse et de naïveté. Et puis qu'est-ce qu'elle croyait ? Il n'y avait pas de "leur" monde. Il n'y avait pas de monde tout court, juste cette putain de Ville, et un passé à trou, qui ne sera sans doute jamais comblé à temps.

Elle se planta devant lui, le regardant dans les yeux. Mais qu'y verrait-elle, de toutes façons ? De la "gentillesse" ? Haha, la bonne blague. Il la fixa de son air sceptique, mais sombre, le genre d'expression qu'on ne veut habituellement pas voir et qui veut dire "C'est la merde, on a touché le fond, et tu veux que je creuse encore, c'est ça ?"

Il l'écarta de son chemin d'un geste de la main, la poussant hors de la ligne droite invisible qu'il suivait obstinément depuis tout à l'heure. Il ne l'avait pas envoyée valser à trois kilomètres non plus, hein, mais disons qu'il n'avait plus la force d'être délicat, et plus le punch d'être brutal.

« Tu devrais pas promettre des choses comme ça. »

Parce que dans deux minutes, tu seras en train de chialer comme une gamine de deux ans, et t'auras qu'une seule envie, c'est de te barrer loiiiiiin de moi, tu vois. Et lui, il ne voulait pas de son aide. Parce qu'il ne voulait plus être faible. Il l'avait été avec Hécate, et il ne le serait qu'avec elle. Quant à Pâques, moins il lui parlerait, mieux ça serait. Il ne voulait pas encore avoir à lui cracher son venin au visage.

Au final, Novembre ne savait pas ce qu'il tentait d'ignorer le plus, la gamine, ou la petite voix de sa conscience, dans sa tête, qui semblait lui intimer de ne pas planter Pâques dans ce métro pourri malgré leur façon de penser diamétralement opposée.

"Notre" monde ? Il était moche, de toutes façons, aussi moche que celui-ci. Ça sert à rien de faire semblant. La seule chose à faire, c'est d'essayer de survivre, même si ça veut dire être parfois égoïste ou lâcheur. Bienvenue à Nulle-Part, gamine. Ici, c'est chacun pour sa peau. Et je donne pas cher de la tienne si tu continues à croire que tout le monde est gentil par nature.

Triste constat. Il avait un peu pitié de cette fille paumée et optimiste. Ça devait être nul d'être constamment déçu par la réalité du monde, non ?

La suite dans les maisons vides, ici !