Souvenir n°1
Appuyé contre le mur, dans l’ombre, il guette l’entrée du bâtiment. Les allées et venues des hommes et femmes en uniforme, il les connait presque par cœur, désormais. Pour les avoir observé de près. De trop près à son gout. Il jette un coup d’œil à sa montre. Dans dix minutes, ça sera l’heure. Celle où le type de la salle des pièces à conviction ira boire son café. Celle où ses agents à lui, introduits dans le commissariat feront diversion. Celle où il enverra l’autre crétin récupérer ce qui lui appartient. Il se retourne vers l’imbécile en question, le toise d’un regard méprisant. «
T’es prêt ? ». L’autre semble avoir du mal assimiler la situation. «
Non. Je ne veux pas y aller ». Il ne veut pas y aller, vraiment ? Cette réplique le met en rage, et la lame du couteau jaillit de sa poche presque automatiquement pour s’arrêter à quelques centimètres du cou du type, dont les yeux s’écarquillent. «
Ai-je omis de préciser que tu n’aurais pas le choix ? Au temps pour moi, je rectifie. Tu vas aller là-dedans. Et tu vas me ramener ce qu’ils m’ont pris par ta faute. Et comme je n’ai pas envie de risquer ma liberté, eh bien, c’est au menu fretin de s’y coller. C’est plus clair, maintenant ? ». L’autre hoche la tête, les yeux fixés sur le couteau. Pas rassuré. Cette insécurité qu’il peut ressentir lui donne le frisson. C’est ça, crains moi. Parce que c’est encore le plus sage, si tu tiens à ta vie.
La lame disparait dans sa poche, comme un mirage, une hallucination. A côté de lui, Makura garde les yeux résolument dardés au sol, tandis que lui pose ses pupilles sur le commissariat, dans lequel rentre justement cette flicette qui l'a coffré la veille. Il pense à la précieuse clé USB, là-bas, chez ces maudits flics. Celle qu’il n’a pas encore eu le temps de décortiquer suffisamment, mais qui lui a déjà appris tant de choses. Celle qu’il doit absolument récupérer…
Souvenir n°2
Il allume une cigarette. Juste avant de franchir le pas de la porte. Non pas qu’il aime vraiment ça. Mais allez savoir pourquoi, ça lui donne un sentiment de puissance, et d’importance, de fumer ainsi. Un geste un peu supérieur… Le même que son père, si on occulte le fait que le vieux fume plutôt des cigares que de simples petites cigarettes. Enfin, des cigares et puis le reste.
Son regard se pose çà et là dans la salle, tandis que ses oreilles s’habituent petit à petit à la musique d’ambiance fluette qui résonne entre les murs. Enfin, ses yeux se posèrent sur une femme, qui le fixe, attendant sagement qu’il daigne s’intéresser à elle. « Bonsoir Monsieur ». Il lui répondit d’un simple hochement de tête, cherchant toujours du regard une personne qui vaudrait le coup de rester. « Que puis-je faire pour vous ? », ânonne la femme, comme un automate. Elle devait passer ses journées et ses soirées à répéter cette phrase à tous les clients, celle-là. Il y songe avec un certain mépris. Décidément, certaines personnes se contentaient d’une vie lamentable, c’était à se demander comment elles pouvaient le supporter.
Et puis ses pensées se concentrent sur un jeune homme, en pleine discussion avec un type plus âgé, là-bas, sur une des banquettes. Un jeune homme qui semble sacrément à son gout. Il le désigne d’un geste du menton à la femme : «
Je le veux lui. Pour la soirée. Et pas ici ». Le regard de l’hôtesse d’accueil suit le sien, et elle s’empourpre, se met à bafouiller : «
Je…. Je suis vraiment désolée mais monsieur Nakajima est déjà pris ce soir et… ». Il la fait taire d’un regard froid, sort une liasse de billets de sa poche et la lui tend. «
Et bien disons que je surenchéris ».
Et sans laisser le temps à cette bonne à rien de protester, il se dirige vers l’objet de son désir, se plante devant la banquette et lance : «
Viens avec moi, on passe la soirée ensemble ». A son grand désespoir, c’est le type le plus âgé qui se tourne vers lui en demandant «
Pardon ? » d’une voix où transpire quelque chose qui le dégoute instantanément. «
Je pense que tu es suffisamment intelligent pour comprendre que je ne m’adressais pas à toi ». Le tutoiement a fusé, une fois encore. Il accompagne sa phrase d’un long sifflement dédaigneux. Ce tutoiement qu’il utilise pour tous ceux qui lui sont inférieurs. Et parfois les autres, aussi. «
Quoique. Non, en fait non, je doute que tu sois intelligent. Même pas un peu. Donc je vais te le dire une seule fois : tires-toi. Laisse le moi et rentre chez toi. Crétin ». Du mépris, toujours plus de mépris.
Souvenir n°3
La voiture avait roulé lentement dans les rues. Des bouchons avaient ralenti leur progression, le faisant grincer des dents. Décidément…
Et maintenant, cette dispute avec Misha... Non. Il fallait qu’il arrête de l’appeler comme ça, c’est vrai. Même si c’était terriblement amusant de le voir prendre la mouche comme il le faisait à chaque fois. Divertissant. Il savoure un instant la silhouette qui s’éloigne d’une démarche incertaine dans la demi-obscurité.
Décidément, les vêtements de femme lui réussissent très bien… Il finit enfin par s’élancer à sa poursuite. En marchant bien sûr. Pas comme si sa proie allait se mettre à courir avec les talons qu’il porte. Un sourire s’étire sur ses lèvres alors qu’il le rattrape par le bras, le force à se retourner pour lui faire face.
« Tu risques de te faire agresser dans la rue, vêtu comme ça. Ça serait terrible… ». Il laisse planer un petit silence. Amusé. De toute façon, une fois de plus, il aura raison. Il a toujours plein pouvoir sur ses possessions.
« Où tu viens avec moi, finalement ? ». Une question qu’il a murmurée au creux de son oreille. Même si elle sonne presque comme un ordre.
Son compagnon lui lance un regard mauvais, mais croise finalement son bras avec le sien. Bien. Très bien. Hors de question qu’il le lâche d’une semelle ce soir. Il songe que c’est la première fois que son amant va rencontrer certaines personnes de son entourage. Des personnes qu’il se serait bien passé de lui présenter d’ailleurs. Mais passons. Pour le moment, il profite, d’un regard en coin, de la silhouette enserrée dans les vêtements féminins. Très à son goût.
« Tu fais vraiment une très jolie femme… ». Le regard meurtrier qu’il reçoit en réponse accentue encore un peu son amusement.
« Ne fais pas cette tête. Tu sais très bien que c’est le seul moyen pour moi que j’ai de te faire entrer ce soir. Sois mignonne avec ceux qu’on croisera, tu veux ? ».
Oui, ce soir encore, il abuse de son autorité. Pour son plus grand plaisir.
Fragments n°1
«
Tu vas prendre ma succession, un jour, mon fils. »
Une grande main ébouriffe ses cheveux blonds. Il y a de la tendresse et de la fierté dans le regard vert de l'homme qui le contemple de toute sa hauteur. Et il sent tout au fond de lui l'envie de voir grandir encore cette étincelle. Il sera parfait. Il sera à la hauteur. Il n'y a pas de raison.
__
«
Jeune homme. Soyez attentif. Si vous faites n'importe quoi, vous allez tuer quelqu'un. »
Ses yeux se posent sur le vieil homme qui lui fait face, droit comme un I, un katana serré dans les mains. Son arme à lui tremble un peu. Il repense sans cesse à la nuit dernière. Et la colère obscurcit sa pensée. «
Vous savez que le maniement de la lame nécessite un certain calme, mentalement. Nous reprendrons demain ». Il plante avec rage l'épée dans le sol et quitte la pièce.
__
Leurs corps serrés, mêlés. Son cœur qui bat. «
A mes yeux, tu es plus précieux que tout ». Jamais encore il n'a dit ces mots. A personne.
Et aujourd'hui, ils sont tellement vrais.
__
«
Et si je raconte à ton père, pour Mikhaïl et toi ? Qu'est-ce qui se passera, hein ? ».
Le coup part. Il ne retient pas la violence qui l'habite. Le sang gicle, l'éclabousse. Tâches sombre sur la perfection de sa chemise blanche.
Il y a des choses auxquelles on ne touche pas.
Souvenir n°4
Il sourit cruellement. C'est la seule réponse qu'il puisse donner à ce regard qui le défie. Qui ne le défiera pas bien longtemps. Un regard qu'il connaît bien, trop bien. Décidément, rien ne va comme il veut, en ce moment. Et pour rétablir l'ordre juste, il fera ce qu'il faut. Même si ça signifie user de la violence.
Contre son propre camp. Le jeune homme qui lui fait face serre les dents.
« On dirait un tigre prêt à mordre, comme c'est fascinant. Malheureusement, il est l'heure pour le tigre de se faire dompter... ». Il se tourne une seconde vers son acolyte qui vient de parler, un air désespéré sur le visage.
Qu'est-ce que c'est que ces phrases pitoyables, hein ? On a pas idée de se croire intéressant avec des répliques aussi cliché, songe-t-il. Mais l'heure n'est plus à la discussion. Il passe une paire de gants noirs, s'approche de la chaise d'un pas nonchalant.
« Alors, Ryu... J'ai entendu dire que tu souhaitais nous quitter ? Est-ce que tu sais ce que ça veut dire ? ». Un ricanement nerveux échappe à sa future victime. Le coup part tout seul, et quelques fines gouttes de sang éclaboussent les murs. Oui. Taiga sait où frapper. Où frapper pour que les coups soient impressionnants. Ou bien où frapper pour que ça fasse vraiment mal. La tête du jeune homme blond retombe légèrement, ses cheveux masquant le haut de son visage.
« Est-ce que tu es sûr de ton choix, Ryu ? Tout ça pour une fille ? », reprend-il en murmurant à son oreille. Le dénommé Ryu redresse la tête à ces mots, le regard empli de haine. Et cette haine rend son tortionnaire heureux. Oui, c'est ça qu'il cherche.
« Pourquoi ne pas rester avec nous, hein ? Est-ce qu'on ne prend pas soin de toi ? Ne sommes-nous pas une famille ? Est-ce que mon père ne t'a pas aidé ? ». En parlant de père... il a l'impression de parler comme lui. Normal, après tout. C'est son père qui lui a tout appris.
« Ordure ». Il toise le garçon aux cheveux blonds qui ose lui tenir tête depuis tout à l'heure, qui ose encore répondre sur ce ton. De nouveau un coup. Plus fort. La chaise vacille et bascule, sa victime pousse un léger cri de douleur.
Touché. Il le pousse du bout du pied, déclenchant de nouveaux râles à chaque contact.
« Tu vois Ryu... Je suis magnanime. Je vais te donner quelques jours pour y réfléchir. Prend la bonne décision. Et ne t'avise pas d'essayer de me duper. Parce que je ne serai pas aussi gentil, la prochaine fois ». Déjà, il tourne le dos. Cet imbécile se débrouillera pour se détacher. Peut-être sa
précieuse grande sœur viendra-t-elle l'aider. Sinon, tant pis pour lui.
Il est
le seul à être vraiment indispensable.