I'll own you.

un deux trois, nous irons au bois.

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Sur un fil, sur un fil. Je danse sur un fil. Cette valse macabre nous mènera jusqu'à l'autel. Et d'un pas assuré, un deux, un deux, cette petite danse, comme une mort qui se repend le long des murs. Ce n'est que mon ombre. [/i]

Elle ouvrit les yeux. Elle ne savait pas où elle était. Sa vue était troublée, et la condensation de son souffle chaud constellait sur la vitre. Ses doigts se crispent, et elle saute de son siège. Comme un guépard, elle regarde autour d'elle, d'un œil fauve. Était-ce une présence ? Elle doute. Elle perd son souffle, la plume bleue qu'elle porte en pendentif entour du cou, claque contre sa poitrine. Ses boucles d'oreilles émettent des bruits secs. Quelque chose bouge. Elle s'approche, se baisse et entre les sièges, elle aperçoit un petit sablier soir, qui roule, qui roule. Elle le prend entre ses doigts. Le sable s'écoule déjà, paisiblement. Il coule, il coule.

Elle jette un coup d’œil à son épaule, et se rend compte qu'elle n'a même pas fait attention au petit sac, en bandoulière, fait de cuir, auquel est accroché des gri-gris. Dedans, une poupée vaudon, une petite bouteille remplie de sel. Elle pioche un troisème objet, un totem représentant un corbeau. Son bec est pointu, son regard est acéré, ses griffes sont tendues. Et enfin, un briquet. Elle passe son pouce sur la roulette et la flamme éclaire son visage, sur lequel est peint à la peinture bleue, deux traits, sous chacun de ses yeux.

Elle jette un regard circulaire autour d'elle. Des places, des vitres, des portes ouvertes par lesquelles s'engouffrent un petit vent frisquet. Les gouttes glissent le long des parois. Un wagon. Il s'agirait donc d'un train. Elle tripote son collier, nerveusement, mais la mine impassible, elle passe la tête hors du fameux wagon. Qui est-elle ? Elle ne le sait. Elle ne peut même pas se l'imaginer. Car son esprit est vide. Tellement vide.

C'est le soir des souhaits.
C'est le soir des épouvantes.

Silence. Obscurité. Silence.

Les yeux encore embués de sommeil, il reprend doucement conscience. La réalité tente de se frayer un passage jusqu'à son esprit. En vain. Il n'arrive pas à émerger totalement de sa léthargie. Il ne perçoit toujours aucun son. Ni la pluie qui goutte contre la vitre froide sur laquelle son épaule s'appuie. Ni les grincements de la porte du wagon à quelques mètres de lui. Pas même sa propre respiration. Il se frotte l'oreille droite, puis la gauche. Toujours rien.

Tant pis. Refusant de laisser son coeur s'emballer, il se contraint à rester calme et ouvre de grands yeux. Il ne se rappelle de rien. Ce wagon, car c'est bien un wagon, ce train, ce voyage, il ne s'en souvient pas. Mais s'il n'y avait que ça... Qui est-il ? Il ne se rappelle pas de rien : il a tout oublié. Nuance certes mais nuance capitale. Son identité, son passé, se sont envolés de sa mémoire défaillante.

Machinalement, sa main va fouiller la poche de son jean. Lorsqu'elle en ressort, elle tient son téléphone. Cet objet lui semble familier et un vague sourire s'étend sur ses lèvres. Pour s'évanouir aussi vite qu'il est venu lorsqu'il aperçoit le compte à rebours qui occupe tout l'écran. 72. Heures ? 71 59 59. Avant quoi ? Il n'est pas sûr d'avoir envie de le savoir.

Rester calme. " La vie, c'est une panique dans un théâtre en feu ". Qui est-ce qui disait ça déjà ? Peu importe, il se trompait. Réfléchir. Sortir d'ici pour essayer de comprendre. Rester maître de son destin. Il se lève et sort du wagon. Il avance dans le couloir silencieux en regardant tout autour de lui.

Il ne l'a pas entendue. Il l'a vue. Son visage, sa chevelure noire de jais et ses yeux couleur charbon, soulignés d'un trait de peinture bleue. Elle semble perdue elle aussi. Pas bien dangereuse. S'il n'entend pas peut-il parler ?

" Vous êtes perdue ? "

Si lui n'a perçu aucun son, peut-elle l'avoir entendu ?

quatre cinq six, cueillir des cerises.

❝
La pluie s'écrasait sur ses vêtements, ses bras dénudés. Elle tourna la tête. Une voix. « Vous êtes perdue ? » C'était un jeune homme. A la crinière verte assez particulière. Elle serra son sac contre elle, comme si c'était une bouée de secours. Ce n'était pas le genre de questions suspectes ? La plupart du temps, ceux qui posaient ces questions, savaient où ils se trouvaient. Ce garçon, quelque soit ses intentions, bonnes ou mauvaises, partait avec un avantage. A moins qu'il ne sache rien du tout. « Oui, en effet. » Elle plissa les yeux, comme pour mieux scanner l'inconnu. « A moins que je ne me souvienne tout simplement pas de cet endroit. » Après tout, elle ne se souvenait de rien du tout.

Elle s'écarta un peu du train pour admirer la vue d'ensemble. C'était donc bien un train, arrêté à un quai, tout ce qu'il y avait de plus normal, en apparence. Sauf qu'il y avait un souci. Un gros souci. Elle avait oublié tout. Tout sur tout. Même son identité. Pouvait-on vraiment oublier qui on était ? Son histoire, ses amis, et même.. son prénom ? Elle jura intérieurement, elle n'aimait pas cette situation. Et elle se méfait de ce genre de gens qui débarquent de nulle part ( c'est le cas de le dire), qui vous parlent comme si vous étiez amis depuis trois ans. « Et vous. Vous êtes perdu, aussi ? » Elle pencha la tête, d'un air intrigué. Elle attendait d'en apprendre plus sur l'individu avant de le caser dans le camp des "indésirables" ou celui des "potentiels amis". « Quoiqu'il en soit, si on ne veut pas se choper une pneumonie, on a intérêt à se mettre à l'abri. »

Elle regarda le garçon droit dans les yeux, comme pour le défier. Elle n'aimait pas les petites natures, alors il avait intérêt à être un peu plus sûr de lui. Parce qu'elle ne faisait confiance à personne. Oui, elle le mettait réellement au défi. Elle sourit.

Hors du train, sans abri, la pluie s'infiltre sous leurs vêtements. Cela ne semble pas troubler la demoiselle qui déjà ouvre la bouche pour lui répondre.

Il ne l'a pas entendue. Encore une fois. Mais qu'est-ce qui lui arrive ?

Désarmé devant sa surdité apparente, il se concentre sur ses yeux pour tenter de la comprendre. Seraient-ce des soupçons qu'il discerne au fond de ses prunelles ? Oui sans aucun doute, elle se méfie de lui. Et il ne peut que lui donner raison, lui même ne lui accorde pas encore sa confiance.

Elle a resserré son sac contre elle et plissé les yeux pour l'observer. Elle le jauge, le soupèse du regard. Elle s'est éloigné du train pour jeter un coup d'oeil rapide au paysage avant qu'un léger voile ne se pose sur ses pupilles tandis qu'elle se perd dans ses pensées.

Comment se fait-il qu'il distingue tous ces petits détails ? Est-ce un trait qui lui vient de son passé oublié ? Dans ce cas, à défaut de l'entendre, peut-être qu'il peut lire les mots sur ses lèvres... Lorsqu'elle ouvre à nouveau la bouche, il concentre toute son attention dessus pour tenter de déchiffrer le sens de ses paroles.

Vous êtes perdu, aussi ?

Aussi. Elle est donc dans la même situation que lui apparemment. Avant qu'il ait le temps d'intégrer cette information elle recommence à parler.

... se mettre à l'abri.

Il n'a pas perçu le début de sa phrase mais il lui semble avoir retenu l'essentiel. Se mettre à l'abri. C'est une excellente idée s'ils ne veulent pas finir noyés sous la pluie. Il pose un regard attentif sur le décor autour de lui, comme pour graver chaque chose qu'il voit dans sa mémoire. Il avise la gare un peu plus loin. Bizarrement, elle n'est pas éclairée et ne semble pas grouiller de monde. Tout ceci est étrange...

Il recentre son attention sur la demoiselle qui lui fait face. Elle le regarde dans les yeux. Le défie. Cherche à voir qui il est. Seulement il n'est plus lui-même, il le sent. Si certains réflexes semblent avoir survécus à sa perte de mémoire, il ne se comporte pas comme avant. Doit-il lui dire qu'il ne l'entend pas ? Ou cacher cette faiblesse ? Elle sourit.

"Vous avez raison, nous devrions nous réfugier dans la gare. Nous échapperons à la pluie et nous en apprendrons peut-être plus sur cet endroit. Avant cela, je dois vous avouer que je ne vous entends pas et que je ne peux que lire sur vos lèvres. Je comprendrais que vous ne désiriez pas continuer votre route avec un inconnu sourd et tout aussi perdu que vous."

Sourd. Voilà qui était dit. "Qu'importe la surdité de l'oreille, quand l'esprit entend ?"

Cheshire marchait doucement le long du train. Il venait de quitter deux étranges personnages et commençait à penser que ledit train était immense voir infini, quand la pluie commença à tomber. Ce n’était qu’une petite bruine toute fine, elle vous trempait et vous glaçait jusqu’aux os. Cheshire s’arrêta doucement et leva les yeux. Le ciel qui, jusque là, avait été plutôt clair était maintenant couvert de nombreux nuages. Il soupira doucement, fronça les sourcils et se décala légèrement vers l’intérieur de la gare pour se mettre un peu plus à l’abri. Il n’avait pas peur de l’eau, non, mais s’il pouvait éviter de finir mouillé, c’était toujours mieux. De plus, il n’avait pas d’affaires de rechange pour l’instant et doutait en trouver rapidement. Et il n’avait pas l’intention de chopper la crève en arrivant dans un endroit étrange, nouveau, et potentiellement dangereux.

Il avançait rapidement, mais le train toujours semblait plus long que ce qu’il pouvait voir. Comment pouvait-il seulement exister ? Avec une masse pareille il devait consommer des quantités astronomiques de ressources. Comment pouvait-il seulement bouger ? Il contempla les dorures, la peinture depuis longtemps désuète, noire et ornée de rouge, parsemée de fenêtres lourdes et fermées, obscurcies par des tentures dorées, des portes aux gonds apparents et dont l’austérité n’avait d’égal que la noblesse apparente du train en sa globalité. C’était magnifique, hors du temps, ça n’avait absolument rien à faire là. Le grand blond s’approcha du train, retournant sous la pluie. Il n’aimait pas être mouillé, mais il voulait voir le train de plus près. Il le toucha, avec délicatesse, comme si ce dernier pouvait s’évanouir dans le néant en un rien de temps. Comme s’il n’était qu’un rêve éphémère, un jeu de son esprit. Le grand blond entendit du bruit. Il détourna la tête du train, plissa les yeux. Au loin, deux autres silhouettes se distinguaient. Peut être celles-ci seraient moins antipathiques ? Il n’en savait rien, cependant, il ne coûtait rien d’essayer.

Il s’approcha de nouveau à pas de velours, sans faire aucun bruit, puis lorsqu’il se trouva à quelques pas de ses deux victimes, il leur entoura les épaules de ses bras, comme s’ils étaient de vieilles connaissances. Les deux jeunes devaient avoir quelques années de moins, une dizaine peut être. Ils semblaient préoccupés par la pluie, tout ça. En arrivant, le grand blond avait saisi quelques paroles, comme quoi le petit bonhomme aux cheveux verts serait sourd. Et comme quoi il serait alors un poids. Un poids, pour être sourd ? Bien sûr, on perd énormément d’informations lorsqu’on retire un sens à une personne, mais ça ne fait pas de lui un poids, au contraire. La plupart du temps quelqu’un qui perd un sens le compense en développant de façon exacerbée un ou les autres sens qui lui restent, faisant de lui un atout puissant. Parfois.

Le grand blond n’avait aucune sympathie particulière pour ces deux personnes, mais il voulait savoir comment elles allaient réagir, ce qu’ils savaient de cet endroit, qui ils étaient, ce qu’ils faisaient là, pourquoi ils étaient arrivés ici. Si il pouvait réussir à leur faire peur, aussi, s’il pouvait les amuser, les perdre, leur poser des questions, y répondre. Mentir, dire la vérité, rire, rire surtout et leur faire peur.

« Alors les aventuriers du temps, quelles nouvelles ? Vous ne m’avez pas encore rencontré, c’est vrai, mais pourtant, nous nous connaissons. »
Oui. Oui, c’était un mensonge gros comme lui, plus gros encore que son corps tout entier, mais ça n’était pas méchant, et c’était tellement drôle ! Il voulait savoir jusqu’où il pouvait les mener, jusqu’où il pouvait les amener avant de disparaître. Avant de s’évanouir dans la nuit, comme il en avait l’habitude. Recueillir des informations, les exploiter, fournir ses données, étonner les gens pour qu’ils dévoilent ce qu’ils sont vraiment. Chercher, trouver, savoir. Savoir, c’est pouvoir.

Elle était imprévisible.

Pourquoi décida-t-elle de se saisir de l'homme blond ? Par pur hasard. Pour que la peur sans cesse les habite. Pour que jamais ils n'oublient qu'Elle menait la danse. Aussi des ronces vinrent-elles s'emparer des chevilles de Cheshire et le traînèrent-t-elles sans ménagement jusqu'à la porte de la salle des machines où elles le laissèrent sur le sol. Pourquoi ?

Parce qu'Elle l'avait décidé.

Spoiler:

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