Nobody

✿ Tu n'es qu'une gamine. Une môme, une mioche, une morveuse. Dans ta tête, tu n'es qu'un enfant, mais une enfant dont la mère n'aurait jamais appris à ne pas parler aux inconnus. Tu monterais dans la première voiture venue, dévorerai tous les bonbons qu'on te donnerait, et suivrais tout étranger qui te tendrait la main, sans aucune méfiance. La méfiance, tu ne connais pas cela. Tu devrais. Pauvre idiote ! Tu fais beaucoup trop confiance aux gens... Non. À ce niveau-là, ce n'est plus de la confiance. Tu as une foi sans faille en ce que les gens te disent. Une foi si grande que cela devient du déni. Ne le nie pas ! Au fond de toi, tu le sais, n'est-ce pas ? Tu connais la réalité. Tu connais le monde, comment il est, mais tu ne veux pas l'accepter, alors tu vis dans un rêve. Un rêve où, si un inconnu te jette du sable à la figure en prétendant qu'il s'agit de poussière de fée, et que tu peux à présent voler, tu sauterais dans le vide sans la moindre hésitation. Es-tu folle ou inconsciente ? Ne vois-tu pas le danger ? Oh mais qu'est-ce que je raconte ? Bien sûr que tu ne le vois pas. Ton esprit est aveugle : tu es incapable de reconnaître une situation dangereuse lorsqu'elle se présente. De plus, il ne te viendrait jamais à l'esprit que la personne qui se trouve en face de toi puisse vouloir te faire du mal, n'est-ce pas ? Après tout, le mal, ce ne sont que les monstres qui le font... Mais même en pensant ainsi, tu ne saurais reconnaître un monstre si tu en voyais un.

Si naïve, si insouciante. C'est à se demander comment tu as pu survivre jusqu'à présent. Incapable de te débrouiller seule, la gamine que tu es ne pense que bonbons, limonade et peluche, jusqu'à oublier tes besoins primaires. À quoi bon s'intéresser à ton ventre gargouillant, à tes yeux somnolent, quand tu peux courir après un papillon à la place ? Et quand la fatigue te rattrape inévitablement, tu t'assis, tu t'allonge, et t'endors paisiblement, sans porter la moindre attention au monde qui t'entoure. Si l'occasion se présentais, tu pourrais t'assoupir bêtement sur les rails d'un train. Idiote ! Et en plus d'être idiote, tu es ignorante. Il y a tant de choses que tu ne sais pas. Tu ignores qu'une boite de conserve contient de la nourriture, que les vaches produisent du lait. Tu ignores même que les bébés ne naissent pas dans un jardin... Enfin, pas le genre de jardin plein de verdure, de fleurs et de coccinelles que tu t'imagines.

Impulsive que tu es ! Ne peux-tu donc pas prendre un moment et réfléchir avant d'agir ? Tu fais tout ce qui te passe par la tête, tant que tu considères cela juste. Et quelle définition de « juste » tu as ? Sauter sur quelqu'un, toute griffes dehors, parce qu'il refuse de te donner un bonbon : Fair ! Te gronder parce que tu fais un gros câlin à quelqu'un que tu viens de rencontrer : Unfair ! C'est à se demander si cela vaut la peine de perdre du temps à te gueuler dessus... Mais en fait, si. Car malgré tout, tu es une enfant obéissante, n'est-ce pas ? Si on te demande de faire ou ne pas faire telle chose, tu écoute, tu obéis, comme un vaillant petit soldat. Tu obéis, car tu as bien trop peur qu'on te déteste, avoue !

Oh ? Tu trembles ? C'est parce que j'ai mentionné ta peur ? Pauvre chose qui est terrorisée par le monstre de l'ombre. Parlons-en, de tes peurs. À la manière dont tu en parles, tu sembles terrifié par les monstres. Mais parce que tu es incapable de reconnaître les situations dangereuses, tu ne reconnais pas non-plus les personnes ou les choses dangereuses. Des loups affamés aux babines sanguinolentes auront l'air de petit chiots tout mignons à tes yeux. Et puis, même si dans ton esprit, tu n'es qu'une mioche, contrairement à eux, tu n'es pas du genre à avoir peur du noir... Au contraire. Tu as du mal à supporter la lumière du jour, et même la lumière tout court. Elle te brûle, t'aveugle. Tu mets du temps à t'y habituer, et tu préfères passer tes journées dans des lieux sombres. Le mieux étant d'être complètement plongé dans le noir. Oui, c'est ça. Les ténèbres t'apaisent, te rassurent. Car tant que tu resteras dans les ténèbres, le monstre de l'ombre ne pourra t'atteindre.

Plutôt que le noir, tu crains le froid. Frileuse, le moindre coup de vent te fais frissonner, et ton corps recherche instinctivement la chaleur lorsque la température te semble trop basse. Sans honte et sans prévenir, tu te blottis contre tout être vivant susceptible de t'apporter un peu de sa chaleur. Tu es si affectueuse, petite chose. Tu aimes les câlins, la chaleur humaine, les contacts tactiles. Tu les recherches désespérément. Il t'es inconcevable de ne pas toucher une personne que tu apprécies. Or, tu aimes tout le monde. Tu aimes tout le monde, sans aucune distinction, au point qu'on se demanderait si cet amour a la moindre valeur. Tu aimes et tu attends à d'être aimé en retour. Si tu apprends qu'un malheureux imbécile ne t'aime pas, tu l'harcèleras pour en connaître la raison, et comment changer cela. Et si on prend le risque de te dire clairement qu'on te déteste, tu fonds en larme. Ne pas être aimé, c'est ça qui te terrifie vraiment.

Petite, même si tu aimes tout le monde, il y aura toujours qu'une seule personne dans ton coeur, n'est-ce pas ? Ou plutôt... Dans ta tête. Les gens s'étonnent quand ils s'en rendent compte. Après tout, même si tu n'es qu'une môme dans ta tête, ton corps est celui d'une femme. Toi, évidemment, tu ne comprends pas, et tu ne vois pas ce qui dérange. Ils m'appellent « un ami imaginaire ». Toi tu dis simplement « un ami ». Ou « une amie » ? Je ne suis pas tout à fait un ami imaginaire comme ils le pensent... Plutôt une « voix ». Voilà, c'est ça : Voice. Une voix androgyne, qui parle dans ta tête. Qui t'informe des choses qui t'entourent, qui veille sur toi, te conseille, te met en garde... Mais trop souvent, tu ignores mes avertissements, telle une gamine capricieuse. Contrairement à ces étrangers, tu n'as pas cette même foi inébranlable en moi. Parfois, tu ne veux pas croire ce que je te dis. Ce n'est pas que tu n'as pas confiance en moi... C'est juste que tu sais, et que tu ne veux pas l'admettre. Tu sais que j'ai raison. Bien que tu m'exaspères à être aussi têtue, je ne peux pas te laisser seule, t'abandonner. Que deviendrais-tu sans moi ? Tant pis pour toi si tu ne veux pas m'écouter, mais au moins, survis ! Je ne veux pas être entrainé dans ta mort.

✿ Tu es une gamine incapable et ignorante ! Pourtant, dans l'obscurité, tu es maître des lieux. Tes yeux s'habitue facilement, et tu y vois plus clair que les autres. Ton ouïe est celle d'un aveugle. Tu peux reconnaître et repérer une personne au bruit de ses pas et de sa respiration. Pas si ignorante que ça, la grande enfant que tu es connait d'innombrables berceuses, comptines, et chants religieux que tu chantonnes sans même y penser.