Il ouvrit doucement les yeux, l'esprit embrumé par le sommeil profond dont il peinait à s'extirper. Face à lui, deux grands yeux d'un bleu presque.. surnaturel.

Il fit un bond en se redressant, le souffle court. Les yeux s'écarquillèrent et s'écartèrent de lui, apeurés. Sceptique, il enfonça son regard dans celui de la personne qui le fixait. Cette dernière en fit de même. Plus il la regardait, plus il reprenait pied avec la réalité, plus il se rendait compte que le jeune homme en face de lui était.. inconsistant. Il distinguait quelques formes sombres au travers de son corps.
Les yeux s'écarquillèrent de nouveau, plus doucement. Et évidemment, ceux du jeune homme blond devant lui en firent de même. Ceux de son reflet.

Son coeur rata un battement.

Comment pouvait-on oublier à quoi ressemblait son reflet? A quoi on ressemblait ? Il savait parfaitement qu'il était blond aux yeux bleus. Mais alors pourquoi avait-il l'impression de découvrir une toute nouvelle personne, sur la fenêtre de ce train .. ? Perplexe, il leva sa main et toucha doucement son nez. Son reflet l'imita. C'était bien lui. Il se détourna brusquement, le coeur battant toujours à la chamade et jeta un regard autour de lui.

Il était dans un train, un vieux train aux banquettes rouges. Un train parfaitement vide, et silencieux, totalement à l'arrêt. Même en tendant l'oreille, il ne peut rien entendre de plus que sa respiration affolée. Pourquoi est-ce que c'est si inquiétant que ça, qu'il n'y ait personne d'autre que lui .. ? Parce que c'est une gare, et une gare, c'est toujours rempli de monde, normalement. Enfin .. Est-ce qu'il pouvait vraiment en être sûr ?

Il laissa échapper un léger gémissement plaintif qui lui fit l'effet d'une douche froide. Sa voix. Il avait l'impression de l'entendre pour la première fois. Ses yeux se braquèrent de nouveau sur la fenêtre contre laquelle il s'était endormi pour faire de nouveau face au jeune homme blond. Le sommeil n'avait rien à voir avec le flou de ses pensées un peu plus tôt. Non, il n'était pas sûr que c'était bien son reflet. Non, il ne savait pas qui il était, à quoi il ressemblait .. Parce qu'il avait tout oublié. Un sueur froide lui donna l'impression de couler le long de sa colonne vertébrale et la peur qui le saisit soudainement fut si violente qu'il dut se mordre les lèvres pour ne pas hurler comme un forcené. Les gestes désordonnés, il ramena précipitamment ses jambes sur la banquette et les entoura de ses bras. C'est là qu'il l'aperçut.

Elle était à son poignet, comme si elle le narguait. Simple montre à affichage digital, il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'elle n'indiquait pas l'heure. En effet, les chiffres s'écoulaient comme le ferait ceux d'un compte à rebours. Se sentant soudainement observé et oppressé, il se retourna brusquement, ne sachant pas s'il avait plus peur de voir quelqu'un ou personne. Ou était-il ? Pourquoi avait t-il tout oublié ? Qu'est ce que ce fichu compte à rebours représentait ? L'espace d'un instant, il fut tenter de détacher la montre et de la laisser sur la banquette. Mais s'il devait lui arriver quelque chose quand le décompte serait fini, il préférait autant s'y préparer et savoir avec précision quand ça lui tomberait dessus. Les doigts tremblants, il la détacha quand même pour la fourrer dans sa poche, loin de son regard. Il avait déjà bien assez peur comme ça.

Ses doigts frôlèrent un étrange bout de plastique. Surpris et se maudissant de ne pas avoir déjà pensé à fouiller ses poches, il tendit les jambes et sortit tout ce qu'il trouva, c'est à dire un petit bout de plastique mordillé et un marqueur indélébile. Il inspecta le bout de plastique, le médiator, sans cesser de se demander comment il savait que ça s'appelait comme ça. Abandonnant son interrogatoire intérieur, il déposa son butin sur la banquette près de lui et fouilla ses autres poches. Au premier trésor vinrent se rajouter un lacet usé, un petit sachet avec des grains de poudre blanche dedans et un bout de carton déchiré. Une des face était marron et l'autre, blanche. Dessus était dessiné un petit smiley souriant accompagné de la signature "-X".
Il observa longtemps cette signature, fermant les yeux avec force plusieurs fois dans l'espoir, futile il l'avait bien deviné, de savoir qui représentait ce X. Il avait sûrement une vie, quelque chose.. Et il ne s'en souvenait pas. Qui était X? Est-ce que X le cherchait en ce moment ? Il jeta un coup d'oeil angoissé autour de lui. Bon Dieu, faites que oui .. Il s'empara du sachet et fourra son nez dedans dans l'espoir de se retrouver face à une odeur évocatrice. Encore une tentative raté. D'abord, ça sentait rien dans ce foutu sachet.

Déjà fatigué d'avoir peur, il jeta un regard aux objets qui trônaient sur la banquette, triste témoignage d'un passé dont il avait tout oublié, sur fond rouge éclatant .. Il s'empressa de tout remettre dans ses poches, comme il les avait trouvé. De toute évidence, ce n'était pas en restant dans ce train de l'enfer qu'il trouverait des réponses.


Le pied qu'il posa sur le quai produisit un léger bruit qui lui donnant pourtant l'impression de faire un boucan horrible. Entre l'écho et le silence encore plus oppressant ici, son rythme cardiaque ne se calma pas d'un iota. Peu assuré, il fit quelques pas vers le bâtiment de la Gare. Se sentant observé, suivi, en danger, il ne cessait de se retourner et de regarder autour de lui. Cette histoire n'inspirait pas confiance et même s'il ne savait pas qui il était, il n'était pas -encore- assez fou pour ne pas se montrer prudent.

Il avait envie de se mettre à courir pour sortir de cette gare de la mort qui lui fichait les chocottes et de ne pas s'arrêter tant qu'il n'aurais pas trouvé personne. Mais ses pieds semblaient trop lourds pour lui obéir et son pas continua d'être aussi hésitant et désespérément lent. Son ventre se tordait sous l'angoisse et les sueurs froides ne se cantonnaient plus à sa colonne vertébrale désormais.

Et en plus de ça, la nuit n'allait sûrement pas tarder à tomber.