14-16h

Spoiler:

Stradivarius passe une main dans ses cheveux pour se recoiffer, ce qui étire encore davantage mon sourire, avant de saisir ma main. Surprise, je le suis sans y prêter gare, alors que, pour changer, les rougissements reviennent de plus belle.

« Dis comme ça c’est beaucoup mieux. »

Je laisse échapper un doux petit rire. Je me sens bien, avec lui. Et pas que parce que la solitude est partie. J’ai l’impression d’être enfin comprise. Je ne suis plus dans mon coin, à simplement suivre les autres sans protester.
Je ne peux m’empêcher de penser sans cesse à la main de Stradivarius qui se trouve dans la mienne. Pourquoi ? Pourquoi donc c’est le cas, et pourquoi faut-il que mon trouble soit aussi envahissant ? Je me mordille la lèvre alors que l’on descend des marches d’escaliers. Je sens un frisson me parcourir. La dernière fois que j’ai descendu un escalier, il y avait une bête qui s’y cachait. Je ne peux m’empêcher d’être nerveuse, et je serre inconsciemment un peu plus fort la main de Stradivarius.
L’odeur de brulé qui me parvient alors qu’on pénètre dans le parking ne me rassure pas vraiment. Je serre les dents pour rester courageuse. Avoir peur d’un parking, c’est ridicule.
Ça l’est beaucoup moins quand, alors que j’aperçois une forme sombre au sol, et que je sens Stradivarius se tendre juste avant de ne me bloquer mon champ de vision.

« Ne regarde surtout pas. »

Effrayée, je ne peux m’empêcher de laisser la curiosité faire son travail. Je pousse le garçon d’une main tremblante, mais de toutes mes forces, priant pour qu’il ne sente pas mes tressaillements dans la main toujours lovée dans la sienne.
La curiosité est un vilain défaut.
J’aperçois, à la lumière chancelante des vieux néons, ce que je ne devais pas regarder. Je me mords la joue, et le gout du sang ne tarde pas à s’imprégner sur mon palais, alors qu’il emplit déjà mes narines.
Dans un geste brusque je me réfugie contre le torse de Stradivarius, comme si cela pouvait me sortir de l’horreur. Mort mort mort mort mort mort mort. La mort. Partout. Toujours. Je serre sa main plus fort que jamais alors que mes doigts libres vont se refermer sur le gilet du garçon.
La curiosité est un vilain défaut.

« Tu n’aurais vraiment pas dû regarder. »

Je hoche la tête pour lui donner raison, incapable d’émettre le moindre son –si j’ouvrais la bouche, soit j’aurai un haut-le-cœur soit je me mettrai à gémir de peur-. Pourquoi faut-il que cette Ville soit si effrayante ? Ne pas avoir de mémoire n’était-il pas bien assez ?
Le garçon me sert contre lui et je tente de me concentrer sur cette sensation, même si l’image du cadavre flotte derrière mes paupières closes. Alors qu’il a le menton posé sur ma tête, je sens mes frissonnements s’accentuer. Je veux partir d’ici. Oublier. Arrêter de tomber sur toutes ces choses.

« Je… je crois qu’il vaudrait mieux… Il faut que j’aille… tu vois… aller voir de plus près. »

Je sens ses doigts crispés sur mes épaules malgré mon manteau et mon gilet. Une plainte s’échappe finalement de mes lèvres, et je secoue la tête de droite à gauche. Non. Mes mains se serrent un peu plus contre lui alors que je tremble de tout mon être. Pas ça. Les messages sont clairs, mais va-t-il tenir à voir ce maudit cadavre ? Je n’oserai pas risquer de me séparer de lui… Alors j’approcherai aussi. Et l’idée même me tira un nouveau son proche d’un couinement. D’un pitoyable. Mais la situation l’excuse, s’il vous plait.
Car malgré la chaleur du corps de Stradivarius, j’ai l’impression qu’une chape de glace m’est tombée dessus et m’entoure, m’étouffant un peu plus à chaque nouvelle gorgée d’air.

Je sens une des mains du garçon passer jusqu’à mes épaules, alors que l’autre restait dans mon dos. Je reste incapable d’avoir de vraies pensées cohérentes, à part cette envie de partir d’ici le plus vite possible.

« Je ne vais pas t’imposer mes choix. C’est à ton tour d’en faire un maintenant. »

Je le sens regarder derrière lui, même si tout me semble flou. Je me rends alors compte des larmes qui bouchent ma vue ; une de mes mains viens essuyer mes yeux alors que l’autre reste accrochée au gilet du brun.

« Disons plutôt une simple suggestion. »

Je secoue la tête. Comment veut-il que je réagisse ? Je n’arrive même pas à formuler de pensées ou d’idées dans ma tête, alors choisir, entre pleins de solutions ?
Non, pas tellement en fait.
Soit on repart, soit on continue. Soit on regarde le cadavre, soit on ne le regarde pas. Soit je reste avec Stradivarius, soit je le lâche. Il n’y a toujours qu’une combinaison de deux idées, et il faut choisir l’un ou l’autre. Le schéma est vite tracé, et je tente de me focaliser dessus pour ne plus penser au cadavre, pour ignorer l’odeur entêtante et répugnante des lieux.

« On… on avance… Mais pas le cadavre… S’il te plait… »

J’avais vaguement aperçu une porte, à notre arrivée dans le parking. Autant la prendre et tenter de sortir de cette Ville. Mais les frissonnements ne me quittent pas, et j’ai l’impression que je vais m’évanouir si on continue à rester ici. Alors je reste accroché au garçon comme à une bouée au milieu d’une tempête.

HJ: