Don't say hello ~

bleu:16-18h

En baissant les yeux, il remarque les larmes qui brouillent les joues de la jeune fille. Il ne peut pas rester totalement sourd à ce détail, pas plus qu’à ses doigts qui se crispent encore davantage à son gilet. Il tergiverse autant qu’elle, mais moins longtemps. Au moment où elle balbutie quelques mots, il sait déjà que l’option cadavre est exclue. Elle l’est depuis qu’il a été traîné devant Symphonie sur les rives de ce lac.

« On… on avance… Mais pas le cadavre… S’il te plait… »

- D’accord, passons par cette porte là-bas.

Il l’a vue juste avant d’arriver dans le parking et c’est mieux que de rebrousser chemin jusqu’au centre commercial. Au vu de la mine à la fois choquée et terrifiée de la blonde, il juge plus prudent de continuer à lui prendre la main pour avancer, ça aura au moins le mérite de la rassurer. Ils délaissent le cadavre et empruntent la porte. Ils ne tardent pas à sortir du parking. La porte mène à la piscine municipale. Ils entrent. Le violoniste voit tout de suite qu’ils ont délaissé une mauvaise idée pour en choisir une autre du même acabit. Peut-être même pire que la précédente. Parce qu’’il y a deux choses de vraiment très louches. D’abord les coassements légers de grenouilles et ensuite l’odeur du sang mêlée à celle du chlore. Le jeune homme sert plus fort la main de Symphonie et s’avance vers le bassin couvert. Dans les vestiaires, ils tombent sur plusieurs casiers renversés. Rectification, il y a autre chose d’autrement plus louche outre les traces de sang et de pieds palmés sur le carrelage.

- Je crois qu’on va éviter d’aller se baigner.

L’eau n’a rien à envier à la cuve d’un réacteur nucléaire. Rouge ou bleu en fonction de la lumière, il n’irait y faire trempette pour rien au monde.

Spoiler:

« D’accord, passons par cette porte là-bas. »

Si la situation n’était pas aussi étrange, dérangeante et effrayante, j’aurai pu pousser un soupir de soulagement. Au lieu de ça, je me contente de secouer la tête.
Je suis le garçon alors qu’il me tient par la main, ne m’attardant pas sur ce détail, préférant fermer le plus possible mes pensées pour songer le moins possible au cadavre étendu non loin alors que l’on marche vers la porte. Seulement, quand l’odeur du chlore agresse mes narines alors que nous arrivons dans une immense salle d’où des croassements de grenouilles surpassent celui de l’eau, j’ai l’impression que le relent de sang ne veut pas quitter mes narines. Et alors que nous continuons à marcher, je constate que ce n’est pas qu’une impression.
L’écho de nos pas n’a rien pour me rassurer, j’ai l’impression d’avancer dans une attraction fantôme. Je remarque alors que des casiers ont été renversés sur le sol, et je me serre par réflexe contre Stradivarius, comme si ce simple contact allait me protéger. Ma main libre vient se fermer sur son bras alors que les doigts de l’autre se crispent dans celle du brun.

« Je crois qu’on va éviter d’aller se baigner. »

Je regarde l’eau. Elle est d’une couleur rouge effrayante, et d’étranges traces de pas en ressortent dont… Des palmes de la taille d’un pied humain ? Je préfère ne pas voir à quoi ressemble ce monstre-là.
Je me serre davantage contre le garçon quand je remarque les traces de sang, qui semblent être de plus en plus importantes un peu plus loin, dans un coin qui échappe à mon regard.

« Je veux partir d’ici… »

Je prendrai mon temps une autre fois pour me lamenter sur le triste spectacle que je dois offrir.
Alors qu’on avance, j’aperçois une trainée de sang. Une trainée de sang. Et très vite, une jambe dévorer. Un haut-le-cœur me prend, et je me félicite de ne pas avoir manger depuis plusieurs heures ; lorsque je tourne vivement la tête sur le côté, je ne recrache qu’un peu de liquide qui ne devait qu’être l’eau qui restait encore dans mes intestins. Mais je n’ai pas le temps d’être honteuse ; quelque chose a dévoré une jambe. Qui sait si le reste n’est pas dans le même état, non loin…
Cette simple pensée serre à nouveau mon ventre, heureusement définitivement vide. Quand j’arrive à articuler, je dis d’une minuscule voix blanche :

« On va mourir… On va mourir dans cette Ville… »

Le pire, c’est que j’en ai vraiment l’impression. On ne survivra pas à cet endroit.

Symphonie s’est accrochée à son bras entre temps ; il lui aurait bien fait remarquer qu’ainsi elle entrave ses mouvements, mais il peut comprendre et faire une exception pour cette fois. Si l’eau de la piscine et les traces de la bizarrerie palmée sont inquiétantes, ce n’est rien à côté de ce qui fait tant peur à la jeune fille. Le sang est plus abondant dans l’un des coins. Il n’entend qu’à peine son murmure, focalisé sur une traînée de sang et le morceau de jambe presque entièrement dévoré à laquelle elle mène.

- Oh bordel…

Il a la gorge tellement nouée qu’il n’est même pas capable de vomir. Faisant mine de ne rien avoir remarqué de l’instant de faiblesse de la jeune fille, il détourne les yeux de la jambe arrachée et cherche le reste. Parce qu’il y a forcément un reste. Et de trois.

« On va mourir… On va mourir dans cette Ville… »

Il presse sa main en secouant la tête ; il ne la laissera pas mourir et il n’a pas non plus l’intention de se faire manger vivant par les bestioles qui ont détaché cette jambe du corps de quelqu’un. La seule chose qu’il espère, c’est que ces choses ne sont plus là. Sinon… Et bien « être dans la merde jusqu’au cou et s’y noyer » est sera approprié. Parce que les choses qui ont fait ça avaient l’air très dangereuses et encore, c’est un doux euphémisme. Ses yeux dévient partout là où elles pourraient se cacher, prête à lui sauter dessus. Presque portées par une force invisible, ses pieds avancent d’eux-mêmes jusque devant la jambe déchiquetée. Le brun s’assure juste que Symphonie est derrière lui. Il se penche et plisse le nez face à l’odeur ; sa résistance face à ce genre de choses est assez élevée, parce que son estomac presque vide ne se résout toujours à faire remonter le peu qu’il reste à l’air libre, même avec deux cadavres et un morceau de jambe. Qui a été séparé du corps à coups de mâchoire, vu la boucherie. C’est tellement immonde qu’il dévie son regard vers le sang dans le coin. Moins explicite.

- Des chiens… ou des loups… voire quelque chose de plus gros. On ferait mieux de partir avant de les croiser.

Il recule un peu et fixe Symphonie dans les yeux. Sa voix est basse, presque un murmure à l’oreille de la fille, pourtant elle résonne dans la piscine :

- Personne ne va mourir aujourd’hui, je veille sur toi, au cas où tu l’aurais oublié.

Prochaine étape, trouver quelque chose qui ressemble à une arme. Il ne jettera jamais son violon dans la gueule du loup.

Stradivarius doit avoir un problème avec tout ce qui est sanglant, car il s’approche de la jambe. Malgré mon dégout je le suis, derrière lui, fixant l’eau de la piscine et respirant le moins possible –alors même que mon rythme cardiaque devient vraiment alarmant, et que j’ai peur qu’une crise de panique ne commence réellement à me prendre-.
Alors je reste accrochée à sa main, mais refuse de regarder encore le membre déchiqueté. Je m’imagine la douleur d’une telle perte, et j’ai presque l’impression que ma propre jambe se fait dévorer. Il faut que je cesse de voir ces choses, car mon imagination fait beaucoup trop son travail.

« Des chiens… ou des loups… voire quelque chose de plus gros. On ferait mieux de partir avant de les croiser. »

Je frissonne en imaginant les gigantesques monstres de muscles et de poils qui ont pu faire ça à une jambe humaine. Lorsqu’il recule je ne me le fait pas dire deux fois et m’éloigne un peu de la boucherie avec soulagement –très modéré, mais tout de même-. Le regard captivant du brun plonge dans mes grands yeux effrayés.

« Personne ne va mourir aujourd’hui, je veille sur toi, au cas où tu l’aurais oublié. »

J’hoche la tête, légèrement rassurée. Je me résous difficilement à lâcher son regard, mais j’y puise la force pour ne pas m’effondrer, avant de regarder autour de moi. Soudain, tout est silencieux. Je ne sais pas si c’est simplement moi, ou si ce mutisme est bien réel. Je sais que mes yeux s’écarquillent de peur, alors que les larmes de peur, de dégout et de bien d’autres émotions que je n’arrive pas à démêler se fraient à nouveau un chemin. Incapable de parler, je serre plus fort la main de Stradivarius, avant de lui montrer du doigt, tremblante, ce que nous n’avions pas vu jusqu’à maintenant.
Deux cadavres gisaient, non loin l’un de l’autre. Si l’un n’est pas dur à deviner comme étant celui d’une immense bête à poils, un objet longiligne planté dans le cou, l’autre est tellement déchiqueté que je remercie mon estomac vide et ma gorge nouée de m’empêcher de vomir à nouveau. L’air ne semble plus vouloir arriver jusqu’à mes poumons, et le peu que j’arrive encore à inspirer semble m’étouffer sous l’odeur du chlore et du sang.

Ses paroles ont au moins le mérite de la calmer un peu. Si lui est déjà perturbé par tous ce sang, tous ces morts et cette jambe à moitié… Les yeux de Symphonie s’écarquille et elle lui broie la main à lui en faire mal en pointant un doigt tremblant en direction de ce qu’ils auraient dû voir depuis le début. Un loup, de taille démesurée, mort. Un humain, ça y ressemble assez malgré l’état dans lequel il a été mis, mort. Combien de cadavres encore avant que ce cauchemar arrête ? Le brun a eu le temps, depuis l’épisode de la pharmacie, de parvenir de nouveau à son air calme et détaché initial. Pourtant il ne peut empêcher son visage d’exprimer son horreur face à ça. Il y a une limite à ce que de pauvres innocents peuvent voir en une journée. Les épreuves endurcissent à tel point que le spectacle devient lassant, mais rien n’efface l’odeur du sang et l’impression de n’être qu’un pauvre petit pantin pendu aux fils d’un esprit dérangé.
Ils n’ont plus rien à faire ici, la jeune fille qui se sert de lui comme d’une bouée de sauvetage a eu son comptant de traumatismes pour le moment. Il veut l’entraîner vers la sortie. C’est alors qu’il aperçoit le tournevis. On ne s’en douterait pas, mais ce genre de truc fait assez mal quand on le plante dans quelque chose avec violence. Preuve à l’appui : c’est ce qui a tué l’énorme loup. Bon, je suppose que je n’ai pas vraiment le choix…

- Attends-moi là, je reviens tout de suite. Je ne t’abandonnerai pas mais…

Il pointe le tournevis planté dans le cou de la bête, le visage parfaitement calme. S’il avait laissé ses émotions prendre le dessus, il aurait eu la tête de celui qui s’apprête à faire quelque chose de particulièrement dégoûtant mais qui essaie tant bien que mal de montrer qu’il peut le surmonter. Le violoniste lâche la main de Symphonie et fait glisser son étui à violon de son épaule. Il le lui met dans les bras avec un regard significatif. Preuve. Et il marche avec résolution vers les deux cadavres, évitant de regarder et même de penser à celui de l’homme. Seul compte le tournevis. Oh mon dieu mais qu’est-ce que je fais là… ? Ses jambes veulent reculer, son esprit non. Résolution. Tournevis. Arme. Défense. Tournevis = arme, donc défense assurée. Tâchant de se convaincre qu’il n’a pas vraiment le choix, il empoigne l’objet planté dans le cou du loup. Tire. Le bruit qui en résulte peut se résumer à un simple « spouiisch ». Et il réalise. Ce qu’il a en main. Ce qui est à deux centimètres de ses pieds. Ça ne manque pas ; le peu de desperados qu’il a bue, additionné à ce qu’il a éventuellement ingurgité avant son amnésie ressort par la voie du haut.
Il ne vomit pas grand-chose, mais assez pour se sentir humilié et garder un goût de bile aigre sur la langue. Il coince le tournevis dans une boucle de sa ceinture, non sans avoir l’avoir essuyé dans la fourrure du loup. Le brun se retourne vers Symphonie, avec une tête proche de celle d’un zombie fraîchement déterré.

- Maintenant on peut partir.

Stradivarius tourne à son tour le regard vers le cadavres, alors que je baisse obstinément le mien vers le sol. Mauvaise idée. Je constate ainsi que mes chaussures trempent à volonté dans le sang pas encore sec. Je déglutis difficilement.

« Attends-moi là, je reviens tout de suite. Je ne t’abandonnerai pas mais… »

Je lève des yeux effrayés vers le brun. Il n’est pas sérieux. Ce n’est pas possible. Il ne peut pas vouloir…
Pourtant, ce qu’il me désigne est très clair. Les cadavres. Je ne comprends pas ce qu’il veut fait, je n’ai même pas envie. Je pousse une plainte effrayée, alors que je veux lui dire de ne pas y aller. Qu’il faut juste qu’on s’en aille. Mais déjà il enlève la housse de son violon de son épaule, pour me le donner. Je le prends sans lâcher les yeux de Stradivarius. Non non non non non non non non. Non.
Et si.
Il part. Je fais un pas en avant, suffisant pour entendre mon pied marcher à nouveau dans du sang. Alors je reste figée, incapable de risquer de perdre le garçon des yeux, comme si je risquai de ne plus le voir si je détournai le regard une seule seconde. Pourtant, je sais qu’il va revenir, il m’a confié la chose qu’il a de plus chère ici et je l’ai très bien compris. Mais j’ai peur. Je suis terrifiée.
Je le vois arracher le tournevis du loup. Ou plutôt, je comprends enfin ce qu’il veut faire, car au dernier moment, malgré tout, mes yeux se ferment pour échapper à l’horreur. Et mon corps refuse de les rouvrir. En fait, je n’y arrive qu’une fois que j’entends des bruits de pas se rapprocher à nouveau. Le visage pâle, Stradivarius est de nouveau là. Il n’a pas disparu.

« Maintenant on peut partir. »

J’hoche de la tête, avant de lui rendre son violon, encore incapable d’émettre le moindre son potable. Puis, timidement –mais j’étais bien trop effrayée pour m’arrêter à ma gêne- je reprends la main du garçon.
Et enfin nous sortons de cet enfer.
Après avoir traversé un restaurant, dans lequel nous ne nous arrêtons pas –cet endroit est bien trop proche de deux lieux où pourrissent des cadavres- nous nous retrouvons à nouveau à l’air libre. J’inspire une grande gorgée d’air, et malgré l’odeur qui s’attarde dans mes narines, je n’ai plus l’impression que je suis sur le point de m’évanouir. Cela dit, mes mains continuent de trembler.
Et la douce symphonie a parfois des moments rapides et saccadés ; parfois, la colère prend aussi le dessus. Et s’il existe bien pire comme cri de rage, c’est assez impressionnant de voir soudain la colère qui s’empare de moi quand je lance, la voix éraillée et la main crispée sur celle de Stradivarius, vers je ne sais quoi :

« Il y a un but dans ce maudit jeu ?! »

Voilà. Au moins c’est dit. J’ai vu bien trop de choses horribles et insupportables à mon gout.

HJ:

C'est par là !

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