N'en déplaise à Serges

Parcourant le couloir, je me rends compte des numéros doré sur les portes. Des numéros qui ne se suivent pas. Encore un truc qui cloche dans cette Ville. Sans me retourner je répond à Novembre :

- Un hôtel, t’as déjà vu un bar dans un immeuble ?

Moi non. Pointant mon fusil, puisque que j’avais perdu mon flingue dans le dédalle du temple, je continue d’avancer, méfiante. M’arrêtant près d’une porte, je reste un moment silencieuse. Aucun bruit derrière la paroi de bois. Il y avait aussi aucun bruit dans la jungle, pourtant ça n’a pas empêché le danger d’être là. Abaissant la poignée et poussant la porte en silence, je fais un pas dans la pièce, mon œil parcourant rapidement le lit, la table basse, le fauteuil et le reste. Non il n’y a rien. A part peut-être une couverture étrangleuse. Un autre pas et je découvre une salle de bain. Sans me soucier plus du reste, je m’approche à grands pas de cette dernière. Et lâchant mon arme, j’ouvre le robinet, pleine d’espoir. Avec satisfaction je vois l’eau couler et n’en attend pas plus pour la boire. Après m’être désaltéré je me tourne vers le brun pour lui annoncer :

- Elle a l’air d’être potable.

Il haussa les épaules. C'était pas parce qu'il n'en avait pas vus que ça n'existait pas, hein. Les trucs de riches, ça pouvait très bien avoir un bar, ils avaient bien des piscines et des arbres sur les toits. Puis voyant la méfiance dont La Flic faisait preuve, il se dit qu'il avait peut-être été imprudent de se croire en sécurité hors du temple. Oui, Nulle Part est dangereuse. Oui, elle est partout. Oui, il devrait imiter la blonde et rester sur le qui-vive.

Lexi inspecta une chambre pendant qu'il montait la garde dans le couloir, juste devant la porte ouverte, pistolet en main. Bruit d'eau qui coulait. Il passa la tête à l'intérieur de la chambre. Potable ? Sérieux ? Fallait faire tout ça pour trouver de l'eau potable ?! Ça ressemblait à une récompense bien foireuse. Mais c'était vital, et ils allaient de toutes façons en manquer. Il fallait trouver de quoi la stocker. Il fallait en boire. Il fallait s'en servir autant que possible puisqu'ils risquaient de ne pas en retrouver de si tôt. Enfin il fallait...

Novembre enleva son t-shirt dégueulasse parce que plein de sang et s'affala sur le lit.

« J'en peux plus. Je m'rends. - Il agita la loque qui lui servait de maillot au-dessus de sa tête comme un drapeau blanc - J'suis mort. »

Le sommeil revenait peu à peu, à mesure que les forces commençaient à lui manquer. Il devait avoir faim et soif, mais s'en rendait à peine compte. Pour l'instant il était mort. Juste mort. Au sens figuré et bientôt au sens propre.

Bon si l'eau coule au robinet, avec un peu de chance la douche devrait marcher. Et en effet le jet d'eau s'active dès que je l'actionne. Une douche ça fait pas de mal non? Parce que sentir le sang et la sueur c'est pas terrible, même si à mon avis personne n'y fait vraiment attention dans cette Ville. Voyant que Novembre semble claqué et se transforme en loque sur le lit, je ferme la salle de bain et décide de prendre une douche rapide. Faisant attention à ne pas laisser couler l'eau sur ma blessure pas encore cicatrisé, ça ne ferait qu'accentuer l'écoulement de sang, je savoure tout de même la sensation de l'eau balayant mes membres. Après quelques minutes je coupe l'eau, me sèche et enfile des vêtements de mon sac, laissant les autres dans un petit tas de linge sale, sans oublier de prendre mes diverses affaires que j'avais dans les poches de mon ancienne tenue. Légèrement mieux j'ouvre la porte et vais m'assoir sur le fauteuil en lâchant un :

- Tu peux y aller.

Destiné au brun qui s'endort à moitié. Étrangement, même si mes muscles sont fatigués, je ne ressens aucune envie de dormir. Alors en attendant je trie mes affaires, allégeant mon sac, et y trouvant un vieux paquet de biscuit d'apéritifs, je l'ouvre et commence à mâchonner sans joie cette nourriture au goût fade.

Le brun tourna vaguement la tête quand Lexi referma la porte de la salle de bain. Le bruit du loquet l'avait alerté, mais vu son état, il n'avait quasiment plus aucune réaction. Il devrait sans doute se relever, se réveiller un peu, et surveiller le couloir pour éviter à d'éventuels ennemis de les prendre par surprise. Au lieu de ça il comatait dans ce lit douillet, là... Mais c'était tellement confortable, que c'en devenait un appel au dodotage express.

Il ferma les yeux. Si quelqu'un s'approchait, il l'entendrait sans doute arriver, dans ce silence ponctué du bruit étouffé de la douche de Lexi. Voilà, il allait surveiller en écoutant. Et accessoirement se reposer un peu, parce que même s'il n'avait pas vraiment l'impression de le mériter, il en avait cruellement besoin. Sa dernière sieste remontait à... Euh... Et bien à un trajet en voiture un peu trop mouvementé à son goût. C'pas le moment de repenser à ça, Nov'... Il tenta de balayer l'image d'Hécate de ses pensées. Tenta. Se demanda encore s'il avait bien fait de l'éloigner. Le croco schyzo finit par l'en convaincre. Est-ce qu'elle allait bien ? Est-ce que, elle aussi, elle avait eu des "ennuis" dans la Ville ?

La phrase de Calvetti le fit presque sursauter. Retour à la réalité. La chambre, l'hôtel, La Flic. Il se redressa, hocha bêtement la tête, et fila dans la salle de bain sans demander son reste. Parce qu'avoir les cheveux collants de sang et de sueur, c'était bien gentil, mais c'était pas spécialement agréable. Et par extension pas pratique. Il ôta ses derniers vêtements et les balança à l'autre bout de la salle d'eau avant d'aller sous la douche. Ça faisait du bien, mais fallait pas non plus s'attarder.

Il se sécha - bon, pas les cheveux parce que clairement, ça prendrait trop de temps - et se rendit compte que - ô idée brillante de Lexi - son jeans de rechange était resté dans le temple avec la bestiole. Génial. Donc il dut remettre l'ancien. Oui oui, celui qui était plein de sang séché, là. M'enfin, c'était toujours mieux que de se trimbaler en calcif à Nulle Part. Il sortit de la salle de bain et fouilla directement dans le sac de la blonde à la recherche d'un t-shirt. De portable ? Il ne restait plus que le vert kaki moche. Mais il s'en foutait. Donc il le passa.

Il fouilla ensuite dans l'armoire à la recherche d'un pantalon potable, sauf qu'il n'y trouva qu'un vieux peignoir, un paréo et des fringues pour enfant.

« Alors, Sherlock, il s'est passé quoi ici ? Papa et Maman se sont barrés à l'arrache en laissant le gamin derrière ? »

En fait il était surtout frustré de ne pas trouver ce qu'il cherchait. Il se rabattit donc sur l'eau potable, sortit la bouteille à moitié écrasée de son sac et la remplit avec l'eau du robinet. Avant d'en boire de longues gorgées et de remplir à nouveau la gourde improvisée.

Hein, il parle de quoi? Je lui lance un regard étonné avant de jeter un coup d'œil vers les vêtements contenues dans l'armoire. Pourquoi il psychote sur des vêtements celui-là? Je lui répond en repiochant dans le paquet d'apéritifs:

- Ou peut-être qu'il y avait un pédophile dans cette chambre. Et il n'était pas tout seul.

Je retiens un sourire. C'est sortit tout seul, mais avec cette Ville tout est possible, même les choses les plus glauques. L'humour noir devient vite déplacé ici. Repliant le paquet sur la nourriture qui y reste encore, je le fourre de nouveau dans mon sac, sac qui finit sur mon épaule et me lève du fauteuil. Arrivée à la porte je demande:

- On bouge?

On va pas s'éterniser.

Novembre acquiesça en silence. Pas le choix. Il sortit le dernier paquet de gâteau qu'il avait de son sac - bon, ok, tout était écrasé et fadasse, mais ça restait de la nourriture - et commença à grignoter les miettes en suivant la blonde. Y'avait plus discret, mais pour gagner du temps, autant bouffer en marchant. Il se fichait de l'absence de saveur. Tant que ça lui fournissait de l'énergie, c'était bon à prendre.

Il mâchonnait un morceau un peu plus consistant tout en se demandant comment il pourrait se débrouiller pour payer sa dette envers Lexi sans se faire tuer à son tour. Y'avait bien un million de dangers dans cette ville, peut-être même deux et demi, mais La Flic était calée niveau survie. Elle était loin des maladresses de Pâques ou de l'insouciance de Superman. En d'autres termes, lui sauver la mise n'était pas chose aisée. Et savoir qu'il allait sûrement crever sans s'être acquitté de ce poids ne l'enchantait pas vraiment. Mais bon. Dans le doute, il garda ses réflexions pour lui.

La mine sombre, il laissa ses pensées dériver vers le caïman. Vers les ronces. Vers les cadavres. Vers toutes les abominations que leur avait envoyées la Ville. Comment on est censés survivre face à des monstres indestructibles ? La discussion, c'est une grosse blague. Les balles font rien. Le feu fait rien. Et on doit buter ces choses si on veut pas rester terrés comme des gros lâches en ville ?

Mais c'était ça, le but. Aucune échappatoire. On ne pouvait pas vaincre ces monstres. On ne pouvait pas vaincre la Ville. On ne pouvait que subsister, le temps de reprendre son souffle. Et se faire écraser.

Tout simplement.