Surprise !:

Quand on parle de se faire des films ... (Je viens d'ici !)
Sur la devanture, sur la lettre "N", se dresse une tourterelle.


Elle l'avait suivi, l'enfoiré. Oui, il marchait bien moins vite qu'elle ne courrait, mais elle avait perdu un sacré bout de temps à réaliser qu'il l'avait vraiment poussée, imbu de sa personne, avant de s'en aller sans même essayer de la relever, s'excuser ou quoi que ce soit. Non, il l'avait jetée comme une pauvre merde et était juste parti, se prenant pour le roi du monde, rejetant même les directives de celui qui semblait être le mieux placé pour prendre des décisions. C I N E M A. Cette tourterelle, Tourterelle l'avait remarqué, et Tourterelle en un tour de rein tournait la scène de son tour de reine. Elle serait Tourterelle. De toute manière, elle allait pas s'appeler Parfum, ni Élastique. Et ce qu'il y avait dans ce sachet, elle le savait clairement pas. Une poudre blanche, de la farine, de la drogue ?


Quoi qu'il en soit, elle se dirigeait plus ou moins furieusement vers le cinéma. La porte était ouverte, et d'un tour de main Tourterelle aperçut celui qui l'enivra comme une tour de vin. Elle était à l'entrée, et il venait de demander si il y avait quelqu'un. Pour sûr. Elle prit le premier objet qui traînait là -une petite boîte en carton épais-, pour lui jeter, lâchement, alors qu'il était de dos. Je suis là, et ça c'est pour t'apprendre à t'excuser, crétin !, lui avait-elle crié alors qu'il se remettait de ses émotions. Peut-être la frapperait-il ? Aucune chance. Elle se mit à courir, passant à côté de lui sans même s'arrêter dans la mesure où l'intérieur était bien plus accueillant quand on était curieux comme elle. Tourterelle monta la volée de marches, le tapis assorti à ses cheveux et son manteau, avant de s'arrêter, ayant peu de temps pour réfléchir. Des portes. Pas mal de portes. A gauche, allez, lançons-nous. Elle ouvrit, sans même prendre le temps de penser qu'elle se heurterait sûrement à une porte fermée ou quelque chose du genre.


La grande enfant qu'était Tourterelle ne savait pas dans quoi elle se lançait. L'inconnu de cette ville meurtrière. Poussée par l'envie de se venger, tant par l'envie, désormais, de jouer avec lui, de lui échapper. De lui faire comprendre qu'elle le fuirait jusqu'à ce qu'il fuit, puis le suivrait jusqu'à ce qu'il recommence. Jeux d'enfants. Elle avait un petit sourire aux lèvres. Sa haine était apaisée. Sa bonne humeur, de retour. Pas la sienne, probablement.



À l'entrée, une tourterelle essaye d'échapper à un vautour en passant par une ouverture formée par un trou, dans la fenêtre du cinéma.

La salle sur laquelle débouche Tourterelle, est petite et encombrée. Sur un côté il y a un trou dans lequel est placé un vieux projecteur, cliquetant. Il projette l’image du train sur l’écran de la Salle 1. Le reste de la salle est occupée par des cartons renfermant divers bobines de films…

Héhé, il allait la suivre, ça allait être drôle !

La salle dans laquelle déboucha Tourterelle était petite et pourtant bien remplie. Des cartons, de part et d'autres parois, étaient remplis de bobines et de divers objets. Elle n'y connaissait rien, mais elle savait déjà une chose, c'était pas la salle dans laquelle on regardait le film, c'était la salle dans laquelle on le projetait. Ce qui voulait dire qu'elle allait pouvoir ennuyer les gens qu'il y avait, là en bas ! Elle en sourit, mais se dit qu'elle aurait aussi un camarade avec qui jouer, enfin, jouer ... Ils apprendraient à se connaître ! Même si il l'avait bousculée comme une malpropre. Elle entreprit d'aller voir, par la petite ouverture offerte par le projecteur, si le Monsieur en violet qu'elle avait aperçu était bien là, et son sourire mourut. Pas parce qu'il était là, ni parce qu'un autre monsieur à l'allure classe l'avait rejoint, mais bien parce que le type l'avait pas poursuivie. L'avait ignorée. Littéralement. La fleur de ses lèvres mourut en un instant. Ils étaient trois.

Et personne ne l'avait suivie.
Elle n'aurait personne avec qui parler. Ou jouer.
Toute fière qu'elle était, elle ne voulait pas aller avec eux. Non, lui il ne voulait pas d'elle, alors elle ne voulait plus de lui. Connard. Elle entreprit d'arrêter de projecteur, mais il n'y connaissait rien. Sa main était trop grande pour passer par l'ouverture et faire de vraies ombres chinoises, alors elle ne fit que passer ses doigts devant la projection. Ils seraient sûrement alertés, ou bien ils auraient peur, qui sait. C'est pourri les trains ... Je vais mettre une autre bobine, ça doit pas être compliqué !, pensa-t-elle alors qu'elle se tourna vivement vers les cartons. Cette salle avait quelque chose d'étrange. Qui diable avait pu mettre le film, en premier ? Il tournait en boucle ? Tant de questions tournaient dans son esprit, alors que ses mains fouillaient dans les bobines à la recherche d'un intitulé correct, qui lui plairait. Sa fierté lui interdisait de les rejoindre, même si elle préférait être entourée.


Dans le bâtiment, une tourterelle fouillait un nid de cafards.

HRP:

En fouillant elle tomba sur plusieurs bobines, encore en bon état. L’une s’intitulait « L’incendie », une autre « L’appât ». Laquelle choisir ?

HRP:

Des bobines, du matériel cinématographique, des bobines, des carnets, des crayons, des bobines ... Ce carton regorgeait de tout ce dont un cinéphile aurait rêvé. Tourterelle en sortit deux bobines qui avaient l'air à la fois plus en meilleur état et plus attirantes que les autres. Et les considéra un petit moment. Dans sa main gauche, L'Appât, un film de Steve Ronnan. De l'autre, L'Incendie, de Klaus Leverkyusen. Elle se demandait quel film mettre, et cherchait des pour et des contre. Elle ne connaissait aucun des deux -grosse maline, elle connaissait même pas son âge- et l'un comme l'autre étaient aussi attirants. D'un côté parce que ça ferait peur aux abrutis dans la salle, de l'autre ... Je sais pas. Comme si on lui avait tendu. La main divine.


Au bout d'un moment, elle prit sa décision, et jeta l'une des bobines, avec négligence. Elle retomba froidement dans la boîte d'où elle venait, alors que Tourterelle souriait comme une gamine ayant trouvé un trésor. C'est elle qui décidait ce qui se passait. C'était elle le patron ! Après quelques minutes d'analyse, elle ne cassa rien, et enleva soigneusement la bobine déjà installée, ayant au préalable arrêté la machine. Puis elle ouvrit la boîte, enfila le film dans la machine, referma la machine et la ralluma. Toute contente, elle soupira, fière d'elle-même. Pourquoi, Tourterelle ? Pourquoi ce choix ?

Je suis plus belle, plus rouge et plus mignonne qu'une flamme, pas la peine d'en ajouter !
, se dit-elle tout haut avant de rire à haute voix. Solitude, quand tu nous tiens.
Dans sa main, se tenait une boîte vide. Dessus était écrit ...
L'Appât avait été mis en place, dans le projecteur.
Était-ce, ironiquement, le feu aux poudres ?


Dans le bâtiment, une tourterelle prit peur.

Alors que l’image du train disparaît, elle est remplacée par une image noire, la salle de cinéma elle aussi se plonge dans le noir le plus obscur. Le son grésille dans les vielles enceintes. Puis l’image se met à clignoter comme des battements de paupières, la vision est d’abord floue. Puis quand elle cesse de clignoter, elle devient peu à peu nette. Vue à la première personne. Tout est sombre sauf un peu plus loin en haut, une sorte de trou dans le plafond. Un trou et une échelle qui y monte. La vue se baisse vers le sol pour découvrir des jambes, liées par une corde. Brusque secousse pour se libérer des liens. Mais rien ne fait. La vue se stabilise de nouveau sur les genoux, où une goutte de sang s’écrase. Alors un cri, un cri d’alerte, un cri qui implore l’aide résonne, la vue est de nouveau tournée vers le trou, vers la trappe ouverte. Et au cri humain qui semble s’échapper de l’écran répond un long grondement. Une respiration saccadée se fait entendre, alors que de nouveau la vision s’agite signe qu’il essaye de se libérer. Et puis elle s’immobilise de nouveau, sur une patte là-bas, une forme ombrageant la lumière venant de la trappe ouverte. La chose énorme, emplissant tout l’espace gronde de nouveau, ses pas font trembler le sol, le sang l’a attirée. Alors de nouveau ce cri humain remplit d’effroi et d’horreur. Des crocs étincèlent un instant, tout près, trop près, le sang gicle. Les yeux par lesquels tout ce film est vu, semblent fixer la lumière. Des yeux dont les paupières ne se fermeront plus jamais. Un homme mort à travers duquel on peut voir défiler son dernier moment de vie. Et au-dessus de l’échelle, là-haut dans le trou de lumière, une ombre passe rapidement, un humain. Et la trappe se ferme dans un claquement sourd. Le film s’arrête et la lumière semble revenir doucement dans la salle de cinéma.