Il avait nagé.
Toujours plus loin, toujours plus profondément – ou était-ce moins ? Le haut et le bas, la gauche et la droite, tout était la même chose pour lui. Il nageait juste droit devant, priant de toutes ses forces pour atteindre la surface.
Puis il creva la surface, atteignant l’air libre. Rejetant ses cheveux blonds en arrière, une main vivement passée dedans, il battait furieusement des pieds pour pouvoir rester à la surface tandis que les vagues le malmenaient. D’un coup d’œil il embrassa ce qui l’entourait.
Sur les rives se trouvaient des maisons alignées. Derrière lui, la tour qu’il venait vraisemblablement de quitter… Et devant lui, de l’eau. Absolument partout, de l’eau.
Mais il ne pouvait pas baisser les bras. Il devait y arriver, rejoindre le rivage, rejoindre Mikhaïl – parce que ses souvenirs l’avaient prouvée, cette impression puissante qui le gagnait quand l’autre était à ses côtés. Pour lui, il ferait tout.
Mais pourtant, il l’avait vendu. Il l’avait échangé contre des souvenirs… Des souvenirs qui lui avaient douloureusement rappelé qui était l’autre pour lui. Qui lui-même était. Ce qu’il savait. Ce qu’il avait fait, pour lui… Et ce qu’il avait dissimulé – mais il n’y avait personne pour lui dire ce qu’il devait faire. Alors pour le moment…
Seul Mikhaïl avait de l’importance.
Alors il nageait, dans l’espoir de rejoindre la rive, malgré les vagues qui le bousculaient.

Lorsque le manque d’air commence à se faire sentir, c’est la panique. Et heureusement que personne n’est là pour le voir paniquer. Parce que pour le coup, sa perfection prendrait cher. Très cher. Ses mouvements, jusqu’ici assez ordonnés, deviennent fouillis. Ses yeux s’écarquillent, il sent ses poumons brûler. Son corps tout entier hurle pour de l’air. Pour la base de la vie. Et un instant, il croit que c’est la fin. La fin de lui. La fin de tout.

Et puis il y a cette lumière. La lumière au bout du tunnel. C’est fou comme cette expression sonne bien. Alors il se débat de toutes ses forces, luttant avec l’ennemi liquide. Comme un petit chien. Pitoyable. Personne ne te voit, oublie ça. Nage et tais-toi ! Oui, le seul qui puisse lui donner des ordres, c’est lui-même.

La goulée d’air qu’il avale en émergeant est aussi brûlante que le manque d’air, et il suffoque, manque de s’étouffer avec cet apport soudain. La vie ! Je vis !

Une vague vient le gifler violemment, douchant son enthousiasme. Il crachote un peu d’eau, bat des pieds pour se maintenir à la surface. Il cherche des yeux le blond et sa faiblesse au milieu de ces vagues de merde qui lui bouchent la vue. Tant de faiblesse, ça se voit de loin, forcément !

Il l’aperçoit. Un peu plus loin. Un peu trop loin. Et soudain, soudain, alors qu’il repense par flashs à la scène à laquelle il a assisté, le détail qui le chiffonnait lui revient. Tout s’éclaire. Et il tient un moyen. Un moyen pour ne pas que ce type l’abandonne dans les vagues, seul. « Mec ! ». Une vague lui fait boire la tasse, et il remonte de nouveau à l’air libre. « Mec, je sais où est ton pote ! Je sais où il est ! ». Pourquoi n’a-t-il pas reconnu avant la crypte où ils ont trainé plus tôt ? Le paradis de l’araignée. Super, vraiment super.

Surtout, ne pas dire à son potentiel maitre-nageur-sauveteur que son pote est sans doute mort à l’heure qu’il est.
Surtout pas.