HJ:

Elle se retrouve sans bien comprendre comment avec une arme dans les mains, entrainée par Morgane –enfin, Février comme elle s’appelle elle-même. Entrainée pour une bataille de paint-ball. Elle a l’impression que c’est irréel. D’autant plus irréel que soudain, Morgane devient inconsistante. Ah non. C’est juste elle-même qui devient inconsistante. Devinant les premiers signes d’une téléportation, elle bloque sa respiration. Geste complètement inutile, notez bien, mais qui la rassure étrangement. Ses yeux se ferment tous seuls. Et elle attend.

Le réveil est moins difficile que coutume. Assise par terre, elle dévisage avec des yeux ronds ce qui l’entoure. A commencer par la personne qui se trouve avec elle. La fille brune, celle qui était assise dans son coin, au centre commercial. Celle dont elle ne connait toujours pas le nom. Pratique. « C’est quoi ton nom ? Je veux dire, je ne vais pas t’appeler la brune tout le temps, tu vois ». C’est une constatation. Le pratique avant tout.
Et puis son regard dérive sur l’environnement qui les accueille. Une salle ronde. Des miroirs, partout, qui lui renvoient l’image d’une fille au teint pâle, les cheveux emmêlés, et dans un état peu reluisant. De grands yeux verts cernés qui la dévisagent. Son image à elle. Elle respire le plus calmement possible, cherche la sortie des yeux. Retourner à l’air libre. Sauf que de sortie, elle n’en voit pas.

Dans sa tête, plusieurs scénarios défilent. Craquer, maintenant. Ou ne pas céder. Ne pas lâcher la vie. Il y a forcément une sortie. Une sortie à cette pièce. Et une sortie à ce cauchemar. Ne doit-elle pas la chercher ? Non. Ce n’est pas ce qu’elle doit faire. Elle repense à Pâques, en sang. A Chocolat, si fragile. A Superman et son innocence. A ces gens. Tous ces gens dans cette Ville. Aussi prisonniers qu’elle. Et la chose lui apparait clairement. Ce qu’elle doit faire, c’est les aider. Si elle se perd, autant que ce soit pour une bonne raison.

« On doit les aider. On doit faire quelque chose contre elle. » Elle se demande pourquoi elle dit ça à une inconnue. Et si cette inconnue pourra lire la ferveur qui brille dans son regard.

Il y a une sortie, quelque part.

« June ». Elle savoure le prénom. Enfin, le « nom d’emprunt ». Oui, comme tout le monde ici ou presque. « Luna c’est mon vrai prénom ». Elle a dit ça à voix basse. Fière de cette part d’elle-même. Au moins de celle-là. June. June comme juin. Comme un mois d’été. Il y a un goût de soleil dans ces deux courtes syllabes. Et puis cette fille sourit. Il n’y a pas beaucoup de sourires, dans cette ville. Pas vraiment de quoi sourire, en même temps. Interpellée par l’étrange détail, elle contemple le bout des mèches de cheveux de sa nouvelle compagne de route. Elle ne veut pas dire amie. Les relations ici sont ce qu’elles sont. A Nulle Part, on n’a pas vraiment d’amis. Les relations n’ont pas le temps de durer. Et quand on s’attache de trop… Elle gribouille à la hâte le visage de Novembre qui tente de s’imposer dans son esprit. Non. Toi, tu t’en vas. Laisse-moi tranquille. Les cheveux orange, donc.
Son regard croise celui de June, qui pétille. Elle lui renvoi un sourire, le premier vrai sourire depuis longtemps. Comme un réflexe. Comme un miroir.
 
« Au moins, on est deux pour chercher la sortie ». Elle lui fait un petit clin d’œil. Ne pas perdre de temps. Sortir. Trouver de quoi aider ceux qui sont perdus. Ceux qui ont mal. Mère Theresa, tu te crois trop forte là, va falloir se clamer, se dit-elle, en essayant de rester concentrée. Au moins, elle a un nouvel objectif. De quoi tenir.
 
« Les aider ? Ils n'ont pas besoin d'aide pour jouer au paintball. Et si Morgane veut se venger, on ne peut rien faire pour l'en empêcher. » Oh. Ah oui. Etrangement, elle ne se fait pas de souci pour Matt et Morgane. Ils avaient l’air… débrouillards. Insouciants. Inconscients ?  Elle se relève, tourne sur elle-même. Partout les miroirs. Partout la même image. « Je ne parle pas… de Matt et de Morgane. Je suis sûre qu’ils iront bien. Mais en ville… Il y a des enfants. Et des gens blessés. Et… et ce qui dirige tout ici n’est pas tendre ». La fin de la phrase dit « j’ai peur pour eux ». Son regard aussi dit tout ça. Mais il dit aussi qu’elle va trouver une solution. « Qu’est-ce qu’on fait là ? Tu sais où on est ? Je ne suis jamais venue… ».
 
Elle tend la main à June. Tu m’aides ? Est-ce qu’au moins tu viens avec moi ?
 
Le temps de trouver un échappatoire…

June fixe un instant Luna, elle n'aurait pas cru qu'elle allait réagir aussi franchement avec autant de joie aussi. Car June le sent, au fond de la brune en face d'elle, il y a de la puissance, de la joie de vivre qui ne demande à faire surface. June est naïve elle le sait, mais elle est surtout optimiste. Elle est certaine qu'en chaque être humain sommeille une part de gentillesse, d'humanité tout simplement. L'Homme ne peut pas être qu'un simple animal, cruel et orgueilleux, on ne peut pas être fait à 100% de méchanceté, c'est inconcevable pour elle.

« Je ne parle pas… de Matt et de Morgane. Je suis sûre qu’ils iront bien. Mais en ville… Il y a des enfants. Et des gens blessés. Et… et ce qui dirige tout ici n’est pas tendre. »

June a envie de la prendre dans ses bras, elle sait de quoi elle parle. Oh oui, elle le sait bien. Combien de fois a-t-elle éprouvé ce même sentiment ? Combien de fois s'est-elle inquiétée pour ses Rebelles ? Elle ne compte plus. La vie ici est comme un grand huit émotionnel, tu crois avoir fini quand tout repart. Jusqu'à ce que ça déraille.
Elle ne répond pas à Luna. Elle n'a pas envie d'y songer, elle n'a pas envie de ressentir l'inquiétude que la brune aux yeux verts éprouve. Elle peut s'en passer.

« Qu’est-ce qu’on fait là ? Tu sais où on est ? Je ne suis jamais venue… »

Elle hausse les épaules. Elle a bien une petite idée de l'endroit, mais elle n'ose pas s'avancer, du moins pas avant d'en être totalement certaine.
June tourne sur elle-même, pour se donner une vue d'ensemble sur la pièce. Elle voit alors la main de Luna, tendue devant elle. La jeune femme s'apprête à la saisir, comme dans les films, pour officialiser un marché, une entraide. Sauf qu'elle se stoppe net.


« Ah oui, au faite, je suis Maudite par Elle. Si je te touche, tu perdras des heures. »

Ton détaché, comme si elle avait raconté une blague, mais elle était sérieuse, très sérieuse.
Ce n'était pour elle qu'un simple détail, d'être maudite, mais elle voulait tout de même prévenir les autres.
Elle regarde Luna, se retenant de rire.

« Casser un miroir, c'est combien d'années de malheur déjà ? »

Elle fouille dans son sac, sortant sa calculatrice. Non, ce n'est pas avec ça qu'elle allait compter ses années de malheur. Dans sa calculette, les heures défilent. Cinquante Cinq Heures. Et tu sais quoi ? Je t'emmerde, connasse de Ville. Elle réunit toutes ses forces et lance la calculatrice contre le miroir.

June ne prend pas sa main. Et sans ce qu’elle ajoute ensuite, nul doute que ça aurait peiné Luna. Oui, mais voilà. « Ah oui, au faite, je suis Maudite par Elle. Si je te touche, tu perdras des heures. » Maudite ? Par Elle ? Par… la Ville ? Par cette Voix avec laquelle elle a déjà pactisé ? Non, ne plus repenser à ça.
Perdre des heures ? Quelle drôle de malédiction…. Pire que la grenouille. Bien pire. « Alors ça veut dire que tu dois rester toute seule ? Loin des autres ? ». C’est triste. Elle s’est retenue de le dire. June ne veut sans doute pas de sa pitié. June est sans doute plus forte que ça. Et puis maintenant, elles sont deux. Et même si elles ne se touchent pas, elles sont tout de même plus fortes que seules dans leur coin.
 

« Casser un miroir, c'est combien d'années de malheur déjà ? ». Quoi ? Elle regarde June sortir une calculatrice sans bien comprendre ce qu’elle a en tête. Que compte-t-elle faire avec ça ? Et puis la calculette se lève dans la petite main. La calculette vole dans la pièce. Et le miroir, lui, vole en éclats. C’est un fracas étonnant. Dérangeant dans le silence qui régnait dans la pièce.
 
June est maudite. Tu veux l’aider ? Sois pas stupide, tu peux rien faire. Mais si, bien sûr que tu peux. Ah oui ? Oui, ne la laisse pas seule. Le dialogue avec sa conscience est violent. Rapide. Luna s’empare de son couteau suisse. Celui avec la vieille lame émoussée. Sans aucun doute un ancien compagnon qui a bien servit. Le poids dans sa main la rassure. Une seconde.
 
Le couteau dessine à son tour une parabole dans l’espace confiné.
Et un deuxième miroir éclate en petits fragments.
 
Partageons les sept ans de malheur, June, tu veux ?

Les fragments miroitant reviennent à leur place, lentement ils volent et se recomposent. Bientôt les miroirs sont de nouveau là, en parfait état et sans aucune fissure. Vous ne pouvez rien contre moi. Une bourrasque violente et les deux jeunes femmes sont expulsées de la Tour. Elles atterrissent brutalement dans les champs perdus.

 

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