Ses yeux s’ouvrent doucement, se referment aussitôt sous le trop plein de luminosité qui envahit l’habitacle. L’habitacle... Elle passe doucement sa main autour d’elle. Met un instant infime pour deviner où elle se trouve. Le tacot. Le tacot de…
 
Et tout lui revient en mémoire, telle une bombe. Une bombe à retardement qui n’aurait attendu qu’une chose pour exploser : son réveil. Sa tête la lance à chaque souvenir, à chaque slave de paroles qui résonne sous son crâne. Elle a l’impression que c’était il y a seulement quelques secondes. Mais l’endroit qu’elle reconnait par les vitres de la voiture lui indique le contraire. La gare, qui sommeille paisiblement sous le lourd soleil de l’après-midi. Le même train qu’à son arrivée, immobile, imposant.
 
Elle plisse les paupières, lève une main pour se protéger de la lumière. S’arrête net. Sa main. Ses doigts que plus aucune membrane ne relie. Elle fait légèrement bouger ses pieds. Elle comprend immédiatement. Elle ne tente même pas de parler. Convaincue qu’elle ne coassera plus. La Voix a tenu sa promesse. Et Hécate sait parfaitement ce que ça signifie. Les larmes qui roulent sur ses joues en écho à cette pensée la dégoutent. N’est-ce pas elle, qui a voulu tout ça ?
 
C’est au terme de longues minutes qu’elle réussit à se calmer, à sécher ses larmes. La main tremblante, elle tire sur la petite poignée, ouvre la portière. Le soleil l’aveugle, plus puissant maintenant qu’elle est à l’air libre. Elle sort du véhicule, referme la portière derrière elle. Fixe le tacot, indécise. Ou peut-être trop décidée.  Puis, elle tapote sa carrosserie du plat de la main, tout en douceur. Un pauvre sourire étire ses lèvres. « Vas ». Pas vraiment un ordre. Elle lâche prise. Tout simplement.
 
Elle tourne le dos à la voiture. Laisser couler. Oublier.
 
Quelques pas hésitants, qui la mènent du quai à l’intérieur de la gare. Partout, les rayons du soleil forment de petites tâches jaunes sur le sol, profitant des trous dans le toit. Un ballet de lumière. Elle avise une tâche particulièrement grande, se dirige vers elle, s’accroupit. Sa main se pose sur le sol, effleure doucement la poussière, y dessine de petites spirales. Elle a l’esprit ailleurs, tout simplement. Et si sa conscience essaye désespérément de l’empêcher de se souvenir, c’est avec peine qu’elle y arrive. Et avec quelques ratés.
 
Elle finit par s’allonger doucement dans la lumière. Le sol est chaud contre sa peau. Elle ferme de nouveau les yeux. Lasse. Fatiguée. En voilà, un bel endroit.
 
Un bel endroit pour s’oublier définitivement.

La petite voiture roule, se fraie un chemin dans la ville. Silencieuse et fine, elle passe partout à une allure tranquille. Et elle s’approche de la forme allongée, s’arrête à côté. Et lance un petit klaxonnement.

Spoiler:

Elle cherche un endroit où s'abîmer ? Elle entend sa prière silencieuse et lui accorde une chance de s'oublier. D'effacer l'instant présent au profit d'un moment passé. Une petite sphère lumineuse vient bientôt flotter au-dessus de la tête d'Hécate. Ce serait si facile de l'effleurer... Il n'y avait plus qu'à tendre le bras.

Les jouets qui ne veulent plus vivre sont pires que les jouets cassés. Ils ne sont plus amusants. Il faut les réparer.

HJ:

C’est fou comme ça peut faire du bien. De sentir le sol, sous soi. De ne pas bouger, de rester là. A ne rien faire. A attendre. Attendre quoi ? Difficile à dire. La mort, peut-être. L’oubli, le sommeil. Ou un espoir. Mais elle se doute qu’il n’y a plus d’espoir. Elle en a déjà trop eu, des espoirs. Trop d’espoir déçus. Il faut chasser ceux qui restent, les traquer, sans pitié. Les éliminer. Il ne faut pas espérer.

Un bruit étrange la réveille. Une sorte de…mélodie. Un peu trop forte pour être une mélodie. Elle refuse d’ouvrir les yeux. Essaye de deviner ce qui se trouve au-delà de ses paupières fermées. Et puis il y a le bruit de ces petits pas qui résonnent dans la gare. Des échos qui rebondissent contre les murs. Elle est certes au plus bas, mais pas encore sourde. Et des mots lui parviennent, un peu étouffés par la distance. « Une fille allongée par terre ? Elle dort ? Blanche-Neige ? Uuuurgh. Les princesses dans les jeux peuvent êtres cools, mais dans la réalité, c’nul… ». Elle hausse un sourcil. Qui est-ce qui dit des choses comme ça, sans queue ni tête ? Étrangement, les paroles pourraient être celles de Superman. Les jeux, c’est bien son truc. Oui, mais elle est certaine que ce n’est pas lui. Ce n’est pas sa voix. Elle a passé assez de temps avec le petit garçon pour savoir que ça ne peut pas être lui. Elle le connait.

Alors elle ouvre les yeux. Pour savoir. Parce que la curiosité l’anime. Comme une marionnette tirée par ses fils. Elle n’a envie de rien. Mais il lui reste cette curiosité. Un sursaut agite son corps. Là, juste sous ses yeux, une sphère de lumière. Si familière. Elle ne bouge plus, ne respire plus. Encore un souvenir ? La ville n’est-elle donc toujours pas satisfaite de ce qu’elle a ? Est-ce que tout ce qui s’est passé ne suffit pas ?! Elle se mord la lèvre avec violence. Bon sang.

Et son regard dérive légèrement. A côté d’elle, à quelques pas... quelque chose. Oui, quelque chose car elle ne sait pas trop comment qualifier ça. Il semblerait que ça ait des roues... une voiture ? Cette...chose, une voiture ? Ça expliquerait au moins le bruit semblable à un klaxon.  Elle expire doucement, les yeux fixés sur l’apparition. Perdue ? En attente ? Mais en attente de quoi ? D’elle ?

- C’est moi que tu attends ?

Elle soupire. Pourquoi est-ce qu’elle parle à une voiture, hein ? Et le gosse dont elle aperçoit la touffe d’un rouge éclatant, là-bas, derrière le mur, il va la prendre pour une folle. Même si c’est sans doute déjà fait.  Elle se demande s’il est là depuis longtemps. Sans doute que non. Il semble juste être un autre pauvre gosse perdu dans cette Ville. Et puis elle réalise. Elle a l’occasion de lui montrer. De lui montrer qu’on peut toucher ces sphères de lumière, que ce n’est pas dangereux. Un gamin ne peut pas avoir une vie horrible, si ? Alors il faudra qu’il touche les souvenirs. Pour gagner des heures. Pour s'échapper, peut-être. Il doit savoir. Même si pour ça elle doit elle-même accepter de revivre le passé.

- Je te vois. Arrête de te cacher.
Oui, c’est à lui qu’elle parle. Il l’entendra sans doute, même si il est un peu loin.
- Regarde bien, ok. Il faudra que tu les touches toi aussi, si l’occasion se présente.

Ne rate pas ton passé. Tu en auras besoin. Un dernier regard vers la voiture, si c'en est bien une. Attends-moi, d’accord ? Si c’est bien pour moi que tu es là, attend moi. S’il-te-plait.

Et, toujours allongée dans la lumière, elle effleure son souvenir du bout des doigts.

Et la mémoire s'infiltra de nouveau dans sa tête, comme Elle l'avait souhaité.

Hécate:

Spéculos time:

Elle ferme les yeux, plonge dans son souvenir.  Une fois de plus, c’est une tempête d’émotions qui la submerge. Tristesse, tendresse. Réconfort, douleur. La voix résonne dans le combiné, elle sent la chaleur de l’étreinte de celle qui l’appelle « ‘Tite sœur ».  Revient finalement à la réalité. Pour une fois, ses émotions restent enfermées dans le souvenir. Comme si elle était trop lasse pour éprouver encore plus de douleur. Oui, pour une fois, les larmes de son souvenir ne coulent pas sur ses joues. Ne restent en elle que deux choses : ce prénom doucement prononcé, « Luna ». Et la certitude absolue que la fille aux cheveux bleus, celle qui a été capable de la consoler un peu, est bien la même que celle qu’elle a croisé tout à l’heure en compagnie de Novembre. Pâques, si elle se souvient bien.
Et merde ! Pourquoi je ne me suis pas souvenue, tout à l’heure ! Elle serre les poings, repense à la façon dont elle a repoussé cette fille. A la blessure de celle-ci. Est-ce qu’elle est toujours en vie ? Où est-elle ? A-t-elle quelqu’un qui veille sur elle ?

Un frisson la parcourt lorsqu’elle rouvre les yeux, se redresse en chancelant. Sa peau est encore brulante d’avoir été si longtemps sous le soleil. Si longtemps… Elle se doute que seulement quelques minutes ont du s’écouler depuis qu’elle est arrivée. Oui mais voilà. Ici, les minutes sont des heures. Le temps est comme détraqué. La Ville joue avec.

Elle se penche légèrement sur le petit garçon, étalé par terre à côté d’elle. « Ça va ? ». Un simple murmure. Elle voit bien qu’il respire encore. Au pire, plus de peur que de mal. Les enfants, ça se relève toujours. N’est-ce pas ?

Enfin, elle se tourne vers la voiture. Parce que oui, ça ne peut-être qu’une voiture. Reste une longue minute à la regarder. Fixement. Elle attend toujours, hein ? Doucement, elle parcourt la distance jusqu’à cet étrange véhicule. Pose une main un peu hésitante sur la carrosserie. Qu’est-ce que tu veux, qu’est-ce que tu attends ? Le plastique, car s’en est, est dur et lisse. C’est étrangement réconfortant. Comme un…support. Un soutient. Peut-être que là-dedans, elle trouvera une place, une petite place pour dormir. Récupérer, oublier encore quelques temps. Avant, sans doute, de devoir retourner à la vie. La vie dans cette Ville. Cette vie qui ne veut pas vraiment d’elle.

- Salut. Pourquoi est-ce qu’elle s’entête à parler à une voiture, hein ? Moi… moi c’est… Luna.

Le prénom trotte dans sa tête. Luna. C’est étrange, comme elle a l’impression que c’est elle et pas elle en même temps. Luna. Le prénom d’une étrangère, de cette autre qu’elle s’échine à apprivoiser à partir des souvenirs qu’elle récupère, qu’elle a du mal à assimiler. Luna. Bizarre. Familier.

- Juste Luna.

Lorsque qu’elle sent la main se poser sur sa carrosserie, elle klaxonne de nouveau en guise de salut. Puis sur le devant, le pare-brise se lève doucement, découvrant un siège confortable à la brune.

La voiture l’entend. En tout cas c’est comme si. Nouveau coup de klaxon, qui lui tire un sourire bien malgré elle. Qu’est-ce que c’est que ce bruit de jouet d’enfant ? Ça serait presque pathétique. Tout à fait parfait pour coller avec ce qu’elle est devenue. Pathétique elle aussi. Elle recule légèrement lorsque le pare-brise se soulève, avise le siège ainsi découvert. Une place, une petite place confortable. Une seule.

« … Je suis dans un rêve et la Coccinelle de Disney se trouve devant-moi, n’est-ce pas. Hein machine – Luna, je veux dire. J’ai raison, hein ? Je vais avoir une aventure magique comme dans le Magicien d’Oz et je me réveillerai dans mon lit par la suite, n’est-ce pas ?! »

Elle se retourne vers le gamin. Elle peut lire dans ses yeux la même incrédulité qu’elle ressentait à son arrivée. Il n’y croit pas. Ne peut pas y croire. Doit-elle encore détruire les illusions d’un enfant ? Les enfants n’ont rien à faire ici, lui souffle sa conscience. Ce n’est pas un endroit pour eux. Et elle ne sait pas quoi en faire. Sa réponse est sans sourire, son regard dur :

- Oui, on peut voir ça comme ça. Tu vas avoir une aventure magique. Il faudra juste être prudent, d’accord ? On est pas dans un conte de fée. Plutôt dans un cauchemar.

Ouai, être prudent. Éviter les ronces. Les loups. Les rats. Et toutes les entités maléfiques qui règnent sur ce royaume oublié. Ici, pas de princesses sauvées par des princes charmants. Seulement des méchants dragons et du sang.
Enfin, il y a aussi cette voiture. Son cheval blanc, en quelque sorte. Celui sur lequel elle va s’enfuir. Elle la détaille avec plus d’attention. Quelle forme étrange… comme une goutte d’eau. Ou une châtaigne. Si petite…

- Je vais essayer quelque chose, d’accord ?

Elle ne sait pas vraiment à qui elle s’adresse. Au gamin ? A la voiture ? Elle monte avec précaution dans le véhicule, s’installe comme elle peut sur le siège. Se sent un peu bête. Comment ça marche ? Est-ce qu’elle est vraiment à sa place ici ? Si la voiture se conduit seule, qu’est-elle sensée faire, elle ? Parler ? Attendre ?

Elle ne se souvient pas savoir conduire…

Le pare-brise de la petite voiture se rabaisse et, comprenant que la nouvelle passagère veut un endroit pour se nourrir elle démarre, quittant à une allure de croisière la gare. Elle l’emmène loin, jusqu’au Centre Commercial. Et pendant ce temps Ténor est traîné par les ronces qui le lâchent devant Phoenix.

Elle laisse à nouveau un souvenir s'échapper, la sphère lumineuse virevolte, s'approche de Phoenix.

Spoiler:

Lentement, Phoenix replonge dans son passé.

Phoenix: