Imaginez un cercle. Un cercle d’or, avec des pierres ou même dessiné à la craie sur le sol. Imaginez, un garçon au milieu. Imaginez-le un sourire aux lèvres, le regard hautain et le ne plissé. Imaginez une troupe autour de lui. Imaginez des corps entravés, enchainés, des consciences qui ploient et le garçon qui danse, au milieu, le garçon qui se croit au-dessus de tout, le garçon qui se brûle les ailes mais qui ne peut pas aller plus haut. Imaginez, un air toujours revêche sur son joli visage. Imaginez des remarques toujours cinglantes, pour rappeler qu’il est meilleur que vous, qu’il vaut bien mieux et que personne ne mériterait même de fouler son sol, s’il avait son mot à dire. Imaginez un esprit tourné vers soi, uniquement soi, parce que le monde est bas, le monde est avilissant et qu’il n’y a que dans son reflet qu’on trouve son salut. Imaginez un rire moqueur perpétuel. Imaginez le garçon qui se joue de tout, qui ne sort de son précieux cercle que pour porter quelques coups à la vanité d’autrui pour rehausser la sienne. Imaginez une peur panique d’être relégué au rang de « quelconque ». Imaginez une terreur irrationnelle vis-à-vis de la foule, dense, compacte et tous ces gens, tous ces gens et ces bruits. Imaginez le garçon qui reste dans son cercle, à jamais, parce qu’il pense qu’il n’y aura jamais personne pour mériter d’y entrer. Imaginez les murs invisibles, clos et les appels à l’aide qui sont des insultes. Imaginez des caprices, à longueur de temps, des cris pour attirer l’attention et pour la repousser, ensuite. Imaginez le garçon qui prend sans donner, qui part toujours sans se retourner.

C’est la faille, c’est là que se referment les limites de Superbus. Là où la vitre invisible l’entrave, là où se joue la sinistre comédie de sa vie. C’est là que le trou béant de l’angoisse, de tout ce qui devrait rester enfermé mais qui finit par ressortir se trouve.

Ouvrez la boite de Pandore. Ouvrez la pluie de larmes, les « Regardez-moi, regardez-moi, je vaux mieux qu’eux, que tous réunis, que vous, que lui, que ça ». Ouvrez la fragilité à fleur de peau, les quelques hésitations que la sincérité perce de ses cruelles flèches. Ouvrez les rires silencieux. Ouvrez les affections cachées sous l’épaisse couche d’orgueil. Ouvrez les veines du cher enfant, sous le sang glacé, il y a des pépites d’or qui scintillent, parce qu’il n’est pas encore entièrement pourri. Ouvrez sa tête, décortiquez son cerveau, il y a cette pièce dans laquelle il s’enferme, dans laquelle il se fait roi et martyr et esclave et empereur et ombre et cauchemar et rêve et espoir à la fois. Ouvrez ses mains qui restent obstinément tournées vers lui-même, il y aura peut-être une aide à arracher. Ouvrez les chaînes, pour qu’il s’envole et qu’il soit réellement au-dessus du ciel, superbe dans sa gloire et dans ses désirs les plus enfantins.

Il finira bien par y redescendre, par se détruire lui-même ses illusions restantes. Il n’est que Superbus, gamin risible, irascible, qui se fera une joie d’enterrer quiconque rivalise d’arrogance parce qu’il n’arrive tout simplement pas à s’élever plus haut.

Il rêve de retrouver son passé, son propre lui, alors qu’il n’est capable que de réciter les histoires des autres, celles qui ont eu lieu il y a des années, des décennies, chères histoires des Hommes. Il rêve de se trouver maître de la Pièce, premier Rôle de sa vie mais il n’a que les petits rôles de l’ombre : ceux qui jalousent, qui créent quiproquos et haines vite dissolues, mensonges et disputes parmi ses pairs. Il rêve d’être un grand artiste, d’avoir un talent immense mais n’a que ses mains malhabiles et sa mémoire qui semble tout absorber, sauf l’essentiel. Il rêve de pouvoir retrouver son chemin partout mais est perdu, toujours, toujours et ne cherche même plus. Il rêve d’être Un, d’être unique mais se heurte à la foule, pour l’étudier, pour vouloir l’écarteler, la morceler de ses regards en brasiers d’or.

Qu’importe, dès lors, le sacrifice du temps. Le cercle seul, des haines et des peines et des vœux brisés, saura apposer son ombre sur la Ville.