Il n'a jamais su si il était une bonne ou une mauvaise personne. Il est juste une personne.

K. est le genre de garçon qui se mêle à la foule et s'y déplace à la manière d'un chat, les pattes élastiques, le dos en cambrure lascive, l'ombre parfaitement esquissée derrière sa queue en point d'interrogation. Il met ses pas dans ceux des autres et navigue entre leurs sourires, leurs soupirs, leurs odeurs, sans jamais se perdre, sans jamais rien faire d'autre que passer son chemin. Et ses lèvres vont s'étirer sur son sillage pour vous montrer que oui, tout va bien, il est parfaitement à l'aise. Oui, il se porte comme un charme. D'aucuns trouveront ça prétentieux. Certains seront les détracteurs de cette attitude du beau gosse faux-jeton. Beaucoup vous le dépeindrons comme le traditionnel fils à papa bourgeois sorti d'une flûte de champagne et né dans les gants de cachemire de maman. Le petit nanti qui ne connaît ni le vrai monde ni ses désagréments.

K., lui, il ne s'en soucie pas. K, il se sent bien comme ça.

K. ne pose jamais de question. Il serre des mains, embrasse des joues, fait bruisser sa peau veloutée ou sa cravate de soie quand il dit bonjour, passe sa main dans ses cheveux laqués quand il se présente, la glisse avec maintien dans une poche dès qu'il se tait, s’assoit, se lève, fait la révérence, devise, débat, rit avec cette aisance d'oiseau-mouche au dessus d'une mangrove de beau monde grouillant. K. est spontané, jamais dépassé par tout ce qui ondoie et gravite autour de lui, jamais perturbé par l'effervescence, jamais déparé de son sourire rutilant : un sourire de société, de jeune garçon, d'apparat parfois, un sourire jaillissant qui couvre d'étincelles ceux qui plongent leurs yeux dans la douceur des siens. Rien d'irréprochable : juste un travail de longue haleine pour façonner une figure galante, un gentleman de son temps. Mais K. n'est sûrement pas la perfection. Parce que la perfection, c'est très lassant.

K. n'est jamais pressé de rien. Il passe dans ses complets et ses ensembles de luxe comme dans un rêve, voit défiler les modes et les atours comme de vifs caméléons qui ne s'attardent pas. K. semble paré à tout revirement parce qu'il voit et sent l'éphémère. Le visage toujours serein, le port noble et loquace, l'air éloquent, K. est une sorte de promesse de bon goût et de maîtrise éclatante de lui-même. Une promesse qui, les yeux dans les yeux, n'a que bien peu déçu. Il louvoie dans l'aisance sur nombre de terrains, le vert heureux de ses prunelles toujours fixé au devant les choses. Tout est soigneusement ordonné, quantifié, classé : sur le bord de la commode, un Ionesco, posé sur l'édredon, le Gai Savoir, en équilibre sous une chemise Armani, près de la table de nuit, les Liaisons Dangereuses et les Illuminations. Nul doute qu'au bureau, près de la lampe éteinte, un cahier de physique s'est fraîchement refermé sur un captivant chapitre. Oui, sur le bout des doigts, et là-haut dans ses synapses, un entrelacs de noms, de marques, de dates, d'informations gravées en douceur contre ses souvenirs.

Chez lui comme aux vernissages de grands salons, au fond de sa chambre comme aux galas de divers jalons, dans son vieux pull tricoté comme son costard bleu muscari, K. s'accommode de tout. Sans aucun pli disgracieux, aucun ourlet défait, aucun lacet traînant ni aucune goutte de vin millésimé renversé pour entacher sa grâce. L'uniforme apparaît sur lui comme une évidence : le faste, l'opulent, le royal l'habillent et il endosse ses panoplies avec le plus grand confort. Partout où sa silhouette mobile s'érige et s'aventure, il est parfois le petit lionceau adroit, souvent le jeune fauve attentif, toujours le prédateur papillonnant. Oui, K. est charmeur et charmant. Il est grisé par les chevelures caramélisées et les rubans dans les cheveux des filles. Il a le verbe enjôleur, déploie un foisonnement de sourires, une profusion de gestes, un flux paisible de lui-même - et ce flux est plaisant. Quand on creuse, il est quand même tout simple, tout chétif, cet enfant, au crochet des créatures volubiles et des tendances de l'instant.

Il déambule, il est charnel, modulable, comme en plein rêve, irisé, mesuré, électrisé ; il se sent bien, il se sent maître, frais et dispos, il est Kenzo.

Mais Kenzo a oublié.

— Il a des connaissances particulières en marques de luxe diverses principalement, beaucoup de culture générale à côté de ça.

Kenzo a cette irréprochabilité particulière, cette propreté dandy qui font les couvertures des magasines et les gloussements entendus des filles. Il a cet halo de satin qui englobe sa présence onctueuse, molletonnée comme aux cocktails de la haute, cette aura qui couronne ses cheveux couleur colorado claro. Même leur désordre paraît agencé, même les épis qui tombent comme un voile sur son visage illuminé n'ont rien de rebelle mais relèvent plutôt du mutin scrupuleusement ordonné.

Il y a une limpide esthétique dans la personne de Kenzo, de la pointe de ses chaussures brossées au nœud papillon brodé, celui qui joue avec sa pomme d'Adam ni trop visible ni trop incurvée. Ce grain de peau diaphane, ces épaules rassurantes, la droiture de ces jambes, tout est net, tracé, à propos. En fait, ce qui est frappant chez Kenzo, c'est sa parfaite justesse. Il est cadré, carré, bien défini, jamais hors-champ, jamais hors trait. Rien ne déborde, ni la galbe douce de ses lèvres, ni la courbe granuleuse de ses sourcils. Mais en vérité c'est là que tout s'arrête. Cette subtilité est une apparence fignolée. Kenzo, en vrai, il est moyen. Il n'est pas si beau, pas si radieux, pas si sculptural : c'est tout ces artifices griffés Dior, Chanel, Givenchy qui le portent aux nues, le rendent présent, brut, mâle, charmant.

Kenzo connaît tous les déclics et les ressorts du genre. Il sait que tout est jetable, interchangeable, repositionnable. Il sait qu'on ne s'attardera pas longtemps sur la finesse de ses yeux vert de gris taillés en hypothétiques joyaux. Il sait qu'il ne peut compter vraiment que sur ses maigres points forts, points à cerner puis amplifier, délimiter, surligner à grands coups de projecteurs de luxe à chaque parcelle qu'il faut. Kenzo est une sorte de produit de consommation qui se modère, mais se croque quand même.

— Il portait un smoking trois pièces Lanvin, boutons à pression, revers cranté mat, chemise vert absinthe, haussée d'un nœud noir dénoué. Aux pieds, des Richelieu vernies de près.

— Dans ses poches, il y avait entre autre : un échantillon de parfum pour femme Flower de Kenzo, une liasse de billets, un peigne, un téléphone portable, une carte de visite d'une maison de haute-couture.