Au contact de la sphère, une douce chaleur se répand dans tout le corps de Loki, comme si la substance dorée se déversait directement dans ses veines. Des images, puis des sons, affluent à son cerveau. Trop vite. Et familières. Trop familières. Un souvenir. Et une rupture, apparemment. Loki s'observe et s'entend comme dans un rêve. Il se voit claquer la porte d'une voiture, entrer dans une maison qui ne lui rappelle que vaguement quelque chose. Il s'écoute demander - ordonner - à la jeune femme de partir. Et ouvre les yeux pour voir sa silhouette effondrée s'effacer doucement du carrelage de la cafétéria. Il reste un instant figé, silencieux. Le nom de cette fille rousse est au bord de sa conscience, sur le point d'y basculer, comme le sien l'était lorsqu'il s'était éveillé dans le train. Mais il ne parvient pas à le saisir et, bien vite - trop vite - il disparaît.

« Ombre... N'ai pas peur... C'est qu'un cauchemar... » murmure Landscape tout près. Loki sort de son espèce de transe et lève les yeux, pour constater à son tour qu'Ombre s'agite dans son sommeil, quelques larmes brillant déjà sur ses joues. Il lâche un soupir agacé, fait un pas en direction de Landscape. « Tu ferais mieux de la réveiller un bon coup. Ça lui rendrait plus service que de lui susurrer à l'oreille » lâche-t-il, glacial. Sa sympathie semble s'être évanouie avec la sphère dorée. Oui, parce que, bon, gérer à la fois son rapport aux autres et son souvenir pour le moins désagréable, ça fait beaucoup d'un coup. Alors tant pis si Landscape est incapable de supporter la moindre critique - il n'a qu'à être moins niais, aussi.

Malgré ses insinuations, Ombre se calme rapidement et semble s'endormir pour de bon. Et ce, sans véritable intervention de leur part ... ce que Landscape ne se prive pas de lui faire remarquer. Loki serre les mâchoires et détourne le regard. Est-ce le court extrait de son passé , qui lui a été assené qui lui rend cette scène désagréable, ou simplement le fait qu'il se soit trompé ? Lui-même ne saurait le dire. Quoi qu'il en soit, jamais il n'a eu autant envie que quitter cette pièce qu'à cet instant précis. La voix de Landscape le retient, cependant. Des détails sur son souvenir ? C'est ça qu'il veut ? Et puis quoi encore ? Loki s'apprête à l'envoyer balader, mais change brutalement d'avis. Le jeune homme n'était pas plus animé de mauvaises intentions que lui, aux dernières nouvelles. Il voyait juste le mal partout - la peur d'être manipulé autant qu'il envisageait de manipuler les autres le rendait quasi-paranoïaque.

« Pas vraiment joyeux, comme tu dis » acquiesce-t-il, avant de rajouter, à mi-voix : « Et je ne suis pas fichu de me rappeler son prénom ... » Il s'interrompt en réalisant que Landscape a employé le mot "souvenir". Il était au courant, donc. Bizarre ... Loki remonte un peu le cours de sa mémoire - pas difficile vu le peu qu'il y en a - et, pas de doute, c'est bien dans son esprit que son souvenir a défilé. Pas aux yeux des autres. « Mais comment est-ce que tu savais que ... Oh non attend. Toi aussi tu as déjà reçu un souvenir, c'est ça ? »

Landscape acquiesce, et un petit sourire étire les lèvres de Loki. So obvious. Il parle d'un autre garçon, avec qui il est arrivé. Ce qui soulève une douloureuse question : combien sont-ils au juste dans cette ville ? Des personnes y vivent-elles, en temps "normal", ou bien n'est-elle peuplée que de personnes amnésiques, arrivées par ce train étrange ? Et est-elle aussi morte qu'elle en a l'air ou bien se réveille-t-elle au lever du soleil, comme dans le contes de fées ? Loki secoue la tête. Les contes de fées n'existent pas - il doit vraiment être troublé pour en arriver à de telles extrémités de pensée. Il faut qu'il agisse. Qu'il bouge, fasse quelque chose. Que ce soit utile ... ou pas.

D'un bond, il se hisse au-dessus du comptoir et se laisse retomber de l'autre côté, tout en souplesse. Landscape, lui, continue à parler. Loki ne l'écoute pas vraiment, mais à son ton il se doute qu'il a besoin de partager ses inquiétudes avec quelqu'un - chose qu'il n'a sans doute pas pu faire avec Ombre, trop occupé qu'il était à la protéger. Mais il n'est guère attentif à ses mots, et préfère plutôt se concentrer sur ce qu'il voit. Le comptoir n'est pas aussi lisse de ce côté de la cafétéria. L'obscurité l'empêche de bien discerner les détails, mais plusieurs placards semblent s'y trouver. Le premier qu'il tente d'ouvrir est fermé. Dommage. Le second est vide. Quand le silence se fait, il se redresse, se tourne vers Landscape : « C'est gentil à toi de t'inquiéter pour les autres comme tu le fais. Mais rien ne te rend responsable d'eux, tu sais. Tu leur rendrais sans doute plus service en t'occupant un peu de toi, aussi. » Sa voix est loin d'être glaciale, comme auparavant. Non, elle se rapproche plutôt du ton de celui qui énonce l'évidence. Il lui adresse un court sourire, puis se baisse à nouveau, pour s'attaquer au troisième placard.

Le troisième placard cède à la légère pression de Loki et dévoile une forme sombre. En tendant la main, le jeune homme pourra en sortir une besace. Cette dernière en toile fine contient un paquet de chips au vinaigre et un étrange talky-walky dont sort une sorte de grésillement lugubre. L'objet crachote qu'importe les boutons qu'on tourne comme s'il était réglé sur une mauvaise fréquence.

Spoiler:

Le placard s'ouvre, arrachant à Loki un petit sourire satisfait. Sourire qui s'agrandit quand il en tire un sac en toile, dont le poids laisse supposer qu'il n'est pas vide. Première réussite depuis qu'il est arrivé, n'est-ce pas magnifique ? Il plonge la main dans le sac et en sort un paquet de chips - au vinaigre, d'après ce qu'il peut en distinguer - et un talkie walky, qu'il aurait eu du mal à ignorer au vu des crachotements incessants qu'il émet. Pendant qu'il fouillait, Landscape a répondu à sa remarque, et ne s'est attiré qu'un haussement d'épaules en réponse - un réflexe ? manquerait plus que ça ... D'ailleurs, quand on parle du loup, le jeune homme vient d'abandonner (enfin) Ombre, pour venir s'accroupir à ses côtés.

« Pas la moindre idée de ce qu'on peut faire de ça. Cela dit, ces trucs là viennent au moins par deux, donc doit bien y en avoir un autre ailleurs. Suffirait de le régler correctement » répond-il à la question de Landscape. Et joignant le geste à la parole, il commence à essayer de tourner divers boutons, un peu au pif. Complètement au pif, même, puisqu'il n'a pas la moindre idée de comment cet objet est censé marcher. Il n'a jamais dû avoir affaire à des talky-walkies dans sa vie antérieure ... Pendant ce temps, son compagnon s'est mis lui aussi à fouiller la pièce. Bonne initiative - enfin, "initiative", c'est façon de parler. Retour à l'appareil, qui refuse de toute façon de se faire oublier, en lâchant par intermittence des grésillements plus aigus. Agacé, Loki le tapote contre sa paume, puis, pris d'une inspiration subite, ouvre le boitier et retire les piles. Il savoure quelques secondes le silence, puis les remet en place, attendant de voir si la manœuvre aura été d'une quelconque utilité.

Dans les placards que fouilla Landscape il y avait : des couverts en plastique, des assiettes et des gobelets assortis d'une couleur verte criarde. Un pot de poudre blanche oublié. Sous le tapis, il trouva une barrette et de la poussière. Dans un coin de la pièce, il y avait également une sorte de moisissure visqueuse et inodore. Pas de deuxième talkie à l'horizon.

Quand à celui que tenait Loki, il ne cessa pas de grésiller une fois les piles remises. Le crachotement était égal à lui même, toujours aussi agaçant.

Par delà la vitre que regardait Ombre, la pluie semblait se calmer doucement. L'orage ne grondait plus et il bruinait calmement.

C'était une poudre blanche compacte et inodore. Il y avait trempé son doigt qui avait alors rencontré sa texture granuleuse et friable. Ce même doigt fut porté à sa bouche qui, une fois passé la barrière des dents, se posa sur une langue humide. Les papilles gustatives s'activèrent alors qu'il déglutit une gorgée de salive.

La poudre allait-elle lui faire pousser des branchies ? Lui enlever du temps ? Lui permettre de parler aux loups ? Lui décolorer les cheveux ? Lui faire pousser un nouveau doigt ? Ou des oreilles de chat ?

Vous attendez la réaction de Landscape alors que son organisme analyse cette nouvelle substance, n'est-ce pas ? Et bien. Le système nerveux envoi un message, les connections synaptiques transmettent le mot ultime. C'est sucré. Et ça un goût de vanille. Landscape vient d'avaler du sucre vanillé.

Manœuvre inutile. Le grésillement du talkie-walkie reprend, imperturbable. Lâchant un soupir excédé, Loki le laisse par terre et se redresse, regarde autour de lui. L'absence d'Ombre sur le comptoir ne peut que lui sauter aux yeux, et il parcourt la pièce du regard, pour finalement l'apercevoir à la fenêtre, probablement occupée à regarder tomber la pluie - quelle activité constructive. Tentant d'ignorer le constant grésillement de son échec, il se tourne pour voir si Landscape avait trouvé quelque chose d'intéressant. Sauf qu'à part quelques couverts d'un vert de mauvais goût et un bocal plein de poudre claire, il ne semblait pas avoir trouvé quoi que ce soit de très heureux. Un peu intrigué, Loki l'observe plonger un doigt dans le bocal pour en goûter le contenu. Bah. Ça ne peut pas être grand chose de méchant, de toute façon.

Haussant les épaules, il décide que plus loin il sera du talkie-walkie, mieux il se portera, et se dirige donc vers Ombre et sa fidèle fenêtre. Il reste quelques secondes silencieux à côté d'elle, à regarder la pluie couler sur la vitre. Le pauvre paquet de chips qu'il a trouvé l'a ramené à des considérations désagréablement matérialistes : si cette ville est aussi désertée qu'elle en avait l'air, comment sont-ils supposés boire et manger ? Se rappelant alors qu'Ombre avait l'air d'être là depuis plus longtemps qu'eux, il prend la parole : « Ombre, depuis que tu es là ... est-ce que tu as vu des cafés, des bars ? Des endroits où on trouverait à manger ? » Parce que sinon, la situation va passer de pas facile à franchement compliquée, manque-t-il rajouter. Mais la fragilité qu'a pu montrer la jeune fille le retient - il n'obtiendra pas de réponse si elle recommence à pleurer. Entendant du mouvement à l'arrière, il demande un ton plus fort, sans prendre la peine de se retourner : « Alors, dans le bocal ? C'était quoi ? »