[ 22h-00h.



Clap clap clap.
Les gouttes d’eau s’abattent contre la vitre rendue presque opaque par la saleté, doucereuses dans leur légère hésitation, et LSD se surprend à les observer glisser le long de la paroi de verre, emportant avec elles des particules de poussière, s’unissant parfois à mi-chemin pour continuer ensembles, en tant qu’une seule et même entité.

Lentement, ses pupilles quittent le spectacle offert par la pluie pour revenir analyser le reste du compartiment, sans conviction. Les banquettes en cuir noir et les murs métalliques du train ne lui disent toujours rien, et il se résigne à l’idée qu’il est perdu.

Perdu. Il l’est dans tous les sens du terme, perdu. Perdu dans le néant qu’est sa mémoire, déjà. Tout dans cette pièce lui est étranger, à commencer par lui-même. Il ne sait pas –ne sait plus comment il s’appelle, comment il a atterrit dans un train miteux et sentant le refermé, qui il est, il ne sait plus rien.

Est-ce ça, naître ? La réponse est évidente, mais il n’arrive pas à se défaire de cette impression quand il se redresse, essayant laborieusement de se mettre debout sur ses jambes engourdies, fouillant les larges poches de son sweat en même temps, les doigts gauches, eux aussi.

Le monde est bien dur envers les nouveaux nés…

Il ressort lentement sa main de sa poche pour examiner l’une de ses trouvailles, déjà blasé. L’objet lui dit quelque chose, rond et plat, rouge et blanc… Un Pokéwalker ! Etrangement, le fait de reconnaître la petite chose au creux de sa paume a quelque chose de jouissif, de rassurant. Tout n’est pas perdu, finalement.

Seulement, quelque chose ne va pas. Sur le petit écran, comme un compte à rebours. Les 72h initialement affichées commencent déjà à s’égrainer, seconde par seconde, et LSD trouve au décompte quelque chose de macabre et se dit qu’il est temps de sortir d’ici parce qu’il commence sérieusement à manquer d’air, là-dedans.

Il tâtonne pour ne pas tomber, avance prudemment sur le plancher métallique du compartiment, manque de tomber à plusieurs reprises avant d’enfant arrivé à ce qui ressemble à une porte. Porte qu’une simple traction de bras suffit à ouvrir, donnant directement sur un quai quasi inondé par les torrents qu’a fini par déverser le ciel.

Le jeune homme soupire et descend sans se presser sur le quai, la pluie commençant déjà à s’infiltrer dans ses vêtements, insidieuse et glacée.

Au premier éternuement, la pensée qu’il aurait peut-être dû rester à l’intérieur, finalement, lui traverse l’esprit.

Plic, plac, plic, plac ...

Ploc.

Doucement, elle ouvre des yeux encore embrumés de fatigue. Elle aurait bien dormi encore un peu mais la pluie qui tape contre la vitre en a décidé autrement. Elle s'étire lentement, ses membres sont endoloris et transis par le froid qui règne dans le wagon.

Comment ça le wagon ? Mais c'est vrai ça, où est-elle ? Que fait-elle dans ce train ? Stop. Une par une les questions sinon elle ne va pas s'en sortir. L'obscurité de la nuit l'empêche de discerner les petits détails qui pourraient peut-être lui donner des réponses. Elle ne distingue que des sièges au cuir vieilli par l'usage, dont les coutures commencent à se défaire par endroit. La buée sur la vitre lui cache le paysage extérieur, quel qu'il soit : cimetière morbide ou prairie enchantée. Tout cela ne lui dit pas comment elle est arrivée ici ... Ni pourquoi. Serait-ce un rêve ? Une aventure qui s'offre à elle ? Tout cela devient excitant ...

Une seconde ... Soudain, quelque chose la frappe avec la violence d'une flèche qui transpercerait sa cible : elle ne se souvient plus de son prénom. Ni de rien d'ailleurs. Sa vie, son histoire, son passé ... Rien ne lui revient. Là, ça devient effrayant. Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Encore des questions. Toujours aucune réponse. Elle se force à respirer calmement. Inspire. Expire. Bien. Voyons voir. Elle ne porte qu'une petite robe sans manche pas bien épaisse. Elle passe la main dessus, comme si cela pouvait lui révéler quelque chose. Des poches ! C'est original sur une robe. Elle les fouille et en sors la première chose qui lui tombe dans la main. Du chocolat ? Elle croque dedans. Au lait. Une sensation de douceur coule dans sa gorge, elle connaît ce goût qui lui semble si familier ...

Un éclat lumineux vient d'attirer son attention. Une montre en argent. Sur le cadran, le chiffre 72. Ah non, 71,59,59. Comme du temps qui s'écoule. 72 heures ? Et après ? Toutes ces questions, toutes ces énigmes à résoudre ... Bien. Elle a perdu ses souvenirs mais pas la tête. Elle ne sait pas où elle se trouve mais l'extérieur l'appelle, comme un nouveau territoire à explorer, une nouvelle aventure à vivre. Le temps lui semble compté alors autant en profiter. Qui sait si elle ne se réveillera pas dans son lit ?

Impatiente, elle se lève et sort du wagon. Rapidement, elle trouve une porte qui veut bien s'ouvrir et descend sur le quai. Elle tourne la tête à droite. Rien. Un éternuement retentit à sa gauche. Une silhouette se détache sur l'obscurité. Poussée par la curiosité, elle s'approche silencieusement pour pouvoir la détailler. Qu'il est grand ! Et fin. Comme une brindille. Même son sweat et son jean ne peuvent donner l'illusion d'une quelconque épaisseur. Mais elle n'arrive pas à voir son visage qui est caché par une capuche surmontée d'une casquette. Avancer ? Se montrer ? Ou partir dans l'autre sens discrètement ?

Le choix lui semble évident. Elle avance. Et parle. Sans se soucier de sa robe déjà trempée qui lui colle à la peau.

"Bonsoir. Toi aussi tu es perdu ? Ça te tente de venir découvrir les environs avec moi ?"

[...] Qu'est-ce que?... J'ouvre un oeil. Puis l'autre. Je vois la lumière, celle de la lampe. Je suis éblouie et l'instant d'après, je distingue mieux la situation. Enfin, une partie. Celle qui m'indique que je suis dans le compartiment vide d'un train plutôt sinistre, et que je me suis endormie sur un bouquin de Suètone. Dehors il fait nuit. Et il pleut. Mais où va ce train, ça je l'ignore. C'est sûrement son arrêt qui m'a réveillé. Aussitôt, je me secoue la tête dans tous les sens. Faut-il que je sorte ici? Ou... ailleurs? Aucune annonce d'un quelconque contrôleur. Je suis un peu paumée. Je n'ai pas de bagage, seulement mon sac à main en cuir. Mon préféré. Je l'ouvre et glisse ma main à l'intérieur pour trouver mon billet. Je dois faire vite, le train va repartir d'une minute à l'autre. Je fouille. Je refouille. Je vide mon sac. Non, il n'y a pas de billet. Qu'est-ce que ça veut dire? Je n'ai jamais pris le train sans payer. Je suis perplexe. J'attrape mon porte-monnaie, tire la petite fermeture éclair et constate qu'il est vide. Bel et bien vide. Anormalement vide. Je suis encore plus perplexe. Finalement, je me dis que je n'ai plus trop le choix, et que de toute façon, le train ne semble pas vouloir redémarrer. Je quitte mon compartiment et descend rapidement sur le quai, avec l'espoir de ne croiser personne. Ma situation me met un peu mal à l'aise, car habituellement, je suis toujours en règle. Fort heureusement, la chance est avec moi, je suis toute seule. Enfin, être seule, ça à aussi quelque chose d'inquiétant. Le nez à peine dehors, une pluie lourde d'angoisse me glisse dessus, me réveille, me chamboule. Je cours me mettre à l'abri prêt du bâtiment de la gare. Et encore une fois, je ne comprends rien. Pourquoi avoir mis une si jolie robe pour sortir par un temps comme ça? Pourquoi je voyage seule? Pourquoi personne n'est-il venu me chercher ici? Peut-être aurais-je été droguée à mon insu... Mais, ça n'explique pas tout. Soudain, j'entends une voix. Je me retourne et je distingue difficilement une silhouette dans l'ombre. Je me dépêche vers elle. Maintenant, je distingue une seconde silhouette. Tout en essayant de camoufler ma gêne, je me permet de demander :

- Bonsoir. Excusez-moi, mais je me retrouve un peu embêtée. Est-ce que vous pourriez me dire où nous sommes? Eh... Je sais que c'est une question bien bête mais...

Silence.

Ses vêtements imbibés d’eau se font trop lourds pour lui, et son dos se voute imperceptiblement sous leur poids, lui donnant encore plus l’air d’une épave.

LSD a beau scruter le quai, il ne lui rappelle toujours rien. Mais bordel, comment est-il arrivé ici… ? Non, non, là n’est pas la question. Où est-il… ? L’obscurité parfaite combinée aux trombes de pluie l’empêche de voir plus loin que le bout de son nez, aussi n’aperçoit il la fille qui s’approche que quand elle se campe face à lui.

"Bonsoir. Toi aussi tu es perdu ? Ça te tente de venir découvrir les environs avec moi ?"

Face à lui… Face est un bien grand mot. Le jeune homme fronce les sourcils devant l’étrange personnage. Elle est si petite qu’il est obligée de baisser la tête pour bien la voir, et encore. Petite, et … bleue. Ses mèches à la couleur si particulière sont plaquées contre ses joues et son front, de même que sa petite robe orange qui lui colle à la peau, devenant presque translucide, mais LSD n’y fais pas attention.

Cependant, avant qu’il n’ait le temps de répondre à la proposition par un soupir ou un grognement, des bruits de pas viennent s’ajouter au clapotis furieux des gouttes d’eau contre l’asphalte, le forçant à légèrement lever les yeux pour apercevoir une silhouette courant presque vers eux, plus grande, cette fois.

C’est une jeune femme plus âgée, moins juvénile. Ses longs cheveux pales ondulent jusqu’au bas de son dos, et son maintien quasi aristocratique ainsi que ses talons lui font froncer les sourcils.

- Bonsoir. Excusez-moi, mais je me retrouve un peu embêtée. Est-ce que vous pourriez me dire où nous sommes? Eh... Je sais que c'est une question bien bête mais...

Elle a l’air gênée, et elle ne sait pas où ils sont, elle aussi. Et vu sa tenue, il ne pense pas trop qu’ils se connaissent, mais là n’est pas la question, toujours.

LSD soupire, ennuyé, avant de se retourner lentement, mettant ses longues jambes en marche, toujours vouté. Sa main se soulève mollement en un vague geste destinée aux deux autres, voulant surement dire qu’elles doivent le suivre.

Il éternue une deuxième fois et enfonce un peu plus sa casquette sur sa tête.

Pâques sourit. Elle ne se souvient de rien mais il semble que sourire lui soit terriblement naturel. Alors qu'elle est en face de l'inconnu, elle ne parvient toujours pas à distinguer son visage. Elle voudrait voir ses yeux mais sa capuche et sa casquette l'en empêche. Elle a bien essayé quand il s'est baissé pour la regarder mais sans succès.

Soudain, une voix retentit non loin d'elle, la tirant de ses pensées.

- Bonsoir. Excusez-moi, mais je me retrouve un peu embêtée. Est-ce que vous pourriez me dire où nous sommes? Eh... Je sais que c'est une question bien bête mais...

Pâques n'a pas entendu arriver la jeune femme qui vient de prononcer ces mots. Pourtant le claquement de ses talons sur le sol doit résonner clairement dans le silence ambiant. Qu'elle est belle avec sa jolie robe blanche et noire et son chapeau qui lui donne un air si élégant ... Mais c'est son visage qui captive le plus Pâques : des traits fins, une peau pâle mise en valeur par un maquillage discret et harmonieux, encadré par une longue chevelure très claire.

Ce n'est qu'à cet instant qu'elle prend conscience de sa dégaine. Un petit bout de chose avec des cheveux bleus et une courte robe orange qui lui colle à la peau. Elle sourit. Encore. Elle se retrouve dans un lieu étrange, étrange et étranger à vrai dire. Complètement perdue, amnésique, entourée de deux parfaits inconnus à l'allure quelque peu rocambolesque. La nuit l'entoure, le froid la fait frisonner, ses dents claquent un peu. Cela semble bien être le début d'une nouvelle aventure qui s'annonce palpitante. "La vie est une aventure audacieuse ou elle n'est rien". Cette phrase lui évoque vaguement quelque chose ...

Sans dire un mot, le géant se retourne et commence à marcher. Il leur fait un geste de la main qui semble vouloir dire "suivez-moi". "La vie est une aventure audacieuse ...". Troisième sourire. Pourquoi pas ? Elle se tourne vers la belle jeune femme et lance d'une voix enjouée :

" Bonsoir ! Je ne sais pas non plus où nous sommes ! Je ne me souviens de rien en fait ... Mais c'est pas grave, on va se balader dans la ville, je suis sûre qu'on fera des découvertes stupéfiantes ! On dirait qu'il veut qu'on le suive, tu viens ?"

Elle emboîte le pas de son "guide" et lui lance en riant :

" Tu n'es pas très bavard, c'est la présence de deux filles qui te rend timide ? On ne va pas te mordre tu sais ! Tu veux du chocolat ?"

Si Elle avait été de meilleure humeur, si Elle avait été moins fatiguée, Elle se serait probablement un peu plus intéressé à lui. Si Elle avait eu un visage, ses lourdes paupières se seraient sûrement soulevé légèrement pour lui jeter un vague regard. Les deux autres ne sont pas amusants, une particulièrement gesticule et parle et Elle est vraiment fatiguée.
Celui-là est un peu cassé, son esprit ne fonctionne pas comme il faut. Mais il est drôle, alors c'est sans trop de regrets qu'Elle laisse échapper un souvenir qui vient se placer devant LSD. Une petite boule de lumière qui volète sous son nez.

Spoiler:

LSD continue à avancer, ne se retournant même pas pour vérifier si elles lui suivent ou pas. Après tout, avec son allure d’escargot, ce n’est pas comme si il peut les semer ou quelque chose dans le genre, ça non.

Ses doigts gauches essayent en vain d’essorer son sweat, et il éternue encore, avant de bailler, las. Il est loin d’être du genre aventurier –à ce qu’il sache, en tout cas- et il donnerait tout pour pouvoir retourner dans le train et se rendormir, mais il ne peut pas, ne peux plus. Pas avec deux jeunes femmes aussi perdues que lui en sa compagnie, pas alors qu’il s’était déjà engagé dans le sens inverse. De toute façon, il n’aurait pas le courage de refaire le chemin jusqu’au wagon, ses vêtements pesaient trop lourds sur son dos et, même s’il ne s’en soucie pas autant qu’il aurait dû, ce serait quand même bien de savoir où ils se trouvent en ce moment.

La jeune fille aux cheveux bleu –il décide de l’appeler Manaphy pour l’instant- court jusqu’à lui, pour se mettre à marcher à son niveau, un immense sourire resplendissant sur ses lèvres bleuies par le froid et la pluie.

- Tu n'es pas très bavard, c'est la présence de deux filles qui te rend timide ? On ne va pas te mordre tu sais ! Tu veux du chocolat ?

Elle est mignonne, la petite Manaphy. Elle tient des propos étranges, mais elle est mignonne, comme un Pokémon. D’ailleurs elle lui propose du chocolat, et il réfléchit un peu. Est-ce qu’il aime le chocolat… ? Il n’est pas sûr, plus sûr, mais hausse les épaules. Pourquoi pas ? Il n’a rien à perdre, après tout. Et puis si ça lui fait plaisir, il aurait bien besoin de manger un bout, parce-qu’il sait bien que si la faim vient s’additionner à la fatigue, ça pourrait mal tourner –que lui arriverait il si il s’évanouissait ici… ?

Seulement, avant qu’elle n’ait le temps de réagir, quelque chose, une luciole géante, étrange boule lumineuse de taille respectable sort de nulle part et vient voleter sous son nez, comme exigeant d’être touchée.

Seulement, LSD n’est pas de nature curieuse. La « luciole » ne l’intrigue pas plus que ça, et il peut très bien la laisser là, mais quelque chose dans le regard fasciné de Manaphy lui force un peu la main. Peut-être que ça le renseignera sur le lieu dans lequel ils se trouvent ? Peut-être, peut-être pas.

Lentement, sans trop de conviction, LSD lève le bras, effleure la chose du bout des doigts, et autour de lui le décore change…

Et lentement, péniblement, un peu de souvenirs viennent couler dans la mémoire de LSD. Tout, tout doucement.

Spoiler:

Pâques le regarde. Le géant. Elle l'appellera comme ça tant qu'elle ne connaîtra pas son prénom. Il avance lentement, les épaules voûtées, comme écrasé par ses vêtements imbibés d'eau. Il aurait presque l'air faible s'il n'était pas si grand, essayant vainement d'essorer son sweat trempé. Il éternue encore une fois, baille, semble fatigué. Il ne s'est même pas retourné tout à l'heure pour vérifier qu'il était suivi. Pâques ne sait pas où ils vont mais pour tout dire, elle s'en fiche royalement.

Il ne lui a pas répondu pour le chocolat. Encore une fois il a haussé les épaules sans prononcer un mot. Elle va finir par croire qu'il est muet. Pourtant, elle est persuadée que ce n'est pas le cas. Au fond, elle se demande pourquoi il l'intrigue tant. C'est vrai quoi, elle le connaît à peine, pour ne pas dire pas du tout. Mais elle a déjà presque oublié la belle jeune femme qui les a rejoint. Est-ce sa taille ? Son silence ? Le besoin de se sentir protégée par un garçon ? Elle soupire à cette dernière idée. Il ne manquerait plus que ça ! Alors qu'elle s'apprête à lancer une nouvelle phrase pour briser le silence qui lui pèse, une lueur attire son attention...

Une étrange luciole volette autour d'eux. Elle s'approche de plus en plus du géant, comme si elle voulait attirer son attention. Pâques suit la lueur des yeux, incapable de détacher son regard de la source lumineuse. C'est à peine si elle voit le bras du géant se lever pour la toucher. La sphère brille plus vivement à présent semble t-il. Pâques tourne la tête et regarde le géant. Il a les yeux dans le vague, comme s'il était en transe. Que doit-elle faire ? Elle n'ose pas parler ni même l'effleurer, craignant sa réaction. Qu'est-ce qui se passe ?

Respire. Calmement. Inspire. Expire. Souffle.

Pâques a retrouvé sa sérénité mais ses jambes tremblent toujours, le froid et la pluie l'étreignant. Mais elle ne veut pas s'éloigner pour se mettre à l'abri, elle ne l'abandonnera pas. Elle s'assoit en tailleur, sous la pluie et attend. Les yeux levés vers le ciel. Vers le géant.

L’averse s’est calmée. Les torrents d’eaux qui se déversaient sur eux quelques instants plus tôt ne sont plus que souvenirs, ayant laissé place à une bruine légère mais pas moins désagréable, les glaçant jusqu’aux os.

Seulement, LSD a l’impression de ne même plus sentir les larmes ténues d’un Ciel couleur désespoir, de ne même plus sentir le poids de son sweat trempé, rien. Il est toujours figé, mais ses pupilles vides se voilent petit à petit d’incompréhension, sans se presser. Il ne comprend pas ce qu’il se passe, ce qu’il s’est passé. La vision avait été brumeuse mais d’une réalité écrasante, et il avait eu l’impression de sentir les petites mains des deux autres se resserrer autour des siennes, d’avoir senti leurs regard tristement interrogateurs, d’avoir senti le malaise qui l’habitait à ce moment-là, d’avoir senti le vieux pull rapper contre sa peau écorchée.

C’était étrange, c’était nouveau. Un souvenir. Il vient de se souvenir de quelque chose, quelque chose qu’il ne comprend pas encore, mais quand même. Il ne sait pas s’il doit s’en réjouir, il devrait certainement, mais il n’y arrive pas. Elles auraient dû être trois. Et soudain il a l’impression qu’il va s’effondrer sous le poids de la fatigue et des vêtements et de la bruine, de la putain de bruine qui griffe son visage blême, et ses mains plongent dans ses poches à la recherche du Pokéwalker de tout à l’heure, alors que le besoin lui vient de vérifier où en est le compte à rebours, s’il baisse toujours.

Ses doigts tremblants fouillent ses poches à la recherche du petit objet, trop engourdis par le froid pour être vraiment performants, et il croit presque avoir trouvé son bonheur en heurtant quelque chose, le sortant prestement –ou presque de son antre, avant déchanter en constatant que ce n’est qu’un paquet de cigarettes vide et froissé. Et merde.

Il a envie de pester, puis il sent quelque chose peser sur son torse, une impression, légère, insistante. Il baisse lentement la tête et croise d’immenses yeux chocolats braqués sur lui, patient, et l’éclat bleu de la mèche qui retombe sur le front de leur propriétaire lui rappelle soudain qui elle est.

Manaphy. Elle est assise en tailleur à même le sol, tête levée vers le ciel noir–vers lui et elle semble attendre, les membres légèrement tremblants. Elle semble l’attendre. Il la regarde, la détaille un peu plus, hésite à enlever son sweat et à le poser sur ses épaules frêles, renonce. Il est trop imbibé d’eau pour pouvoir la réchauffer, et vu sa stature, il craint même qu’il pèse tellement lourd qu’elle ne puisse pas se relever.

Il veut lui tendre la main. Il veut l’aider à se relever, vraiment. Mais il ne peut pas, n’y arrive pas, le vague geste de la main qu’il fait dans sa direction se transformant inexorablement frisson courant sa peau, accompagnant le pas qu’il fait en arrière, tout son corps protestant contre le contact qu’il a pensé pouvoir établir.

Il soupire, grommelle et remet le paquet vide et froissé dans sa poche avant de rejeter sa capuche en arrière d’un geste lent de la tête, retirant tout aussi lentement sa casquette, la faisant jouer sous ses doigts, avant de se pencher et de la déposer doucement sur la petite tête de Manaphy, presque blasé.

C’est bête, c’est tout bête et ça ne la protégera en rien de la pluie et du froid, mais c’est sa manière à lui de lui dire merci.

« Tu me la rendra après. »

Ce qu’il a voulu affirmation n’est que murmure éraillé et rauque qui lui arrache une quinte de toux dû à son manque d’activité vocale, mais il ne s’en soucie pas. Ce n’est pas grave, elle l’a entendu, il en est sûr, et même dans le cas contraire, ce n’est pas un problème.

Il contourne son petit corps toujours assis et recroquevillé sur lui-même, enfonce profondément ses mains dans ses poches –est-ce du papier qu’il sent sous la pulpe de ses doigts… ?- et continue son chemin vers la porte de la gare qui se dessine de plus en plus dans l’obscurité.

Pâques attend patiemment. La pluie a cessé de tambouriner sur le sol, cédant la place à une bruine vicieuse qui s'infiltre sous sa robe trempée, glace sa peau, la fait frissonner. Et elle attend, la tête vide de toutes pensées, le regard fixé sur le géant.

Il ouvre les yeux, des yeux sans expression, des yeux qui semblent chercher un repère. Il fouille les poches de son sweat gorgé d'eau , en sort un paquet de cigarettes vide qu'il regarde d'un air contrarié. Il ne l'a toujours pas regardée.

Ah si. Il la fixe mais elle ne voit toujours pas ses yeux. Expriment-ils de la sympathie, de la compassion ? Sa main, parcourue d'une frisson, va t-elle se tendre vers elle pour l'aider à se relever ? Non. Il recule même d'un pas en soupirant et range la boîte de carton dans sa poche.

Pâques ne le comprend pas. Mais elle n'a pas le temps d'y penser car il retire sa capuche, puis sa casquette, qu'il fait tourner entre ses doigts, avant de la poser sur sa tête à elle.

" Tu me la rendras après "

Elle l'a à peine entendu. Sa voix n'est qu'un faible murmure enroué qui s’éteint lorsqu'il se met à tousser violemment mais les mots sont parvenus au creux de son oreille. Elle est touchée. N'a pas le temps de le lui dire car déjà il a enfoncé ses mains dans ses poches et repart vers la sortie de la gare.

Elle a le choix. Elle peut se taire et le suivre - il faut bien si elle veut lui rendre sa casquette -. Elle peut balancer une phrase anodine et entendre le silence lui répondre. Ou elle peut être elle-même, enfin ce qui lui semble être elle même. Partir ? Pour quoi faire ?

Pâques défait son bandeau, laissant retomber les mèches folles de sa chevelure autour de son visage. Elle attrape un carré de chocolat et le glisse dans son autre main. Rapidement, elle se lève et le rejoint en courant, se plante devant lui, un grand sourire sur le visage et les mains tendues devant elle.

" C'est pour toi ! Appelle-moi Pâques si tu veux, comme le jour du chocolat. Et toi tu veux que je t'appelle comment ? Prends n'ai pas peur ! Je t'aime bien tu sais ? On sort d'ici ? J'ai envie de me balader. T'inquiètes pas, si on tombe sur quelqu'un je serai avec toi, je suis petite et maigrichonne mais je te laisserai pas tomber. Promis "

Elle a parlé vite, emportée par son enthousiasme. Elle aurait bien couru jusqu'à la porte de la gare qu'elle distingue vaguement mais elle a peur qu'il ne la suive pas alors elle ira à son rythme.

Il a les yeux couleur ambre, elle les a vu au milieu de ses mèches ...

LSD s’y attendait. Il savait bien que la demoiselle n’allait pas se contenter de le suivre calmement, en silence, et il s’est déjà presque arrêté quand elle se place devant lui, à un ou deux mètres à peine, les bras tendus vers lui, le visage fendu d’un sourire rayonnant qui plisse ses paupières et fait pétiller ses yeux couleur chocolat.

Elle parle vite, pépie comme une enfant, et il a presque du mal à saisir tout ce qu’elle dit tant elle est enthousiaste, énergique. Tout son contraire.

« C'est pour toi ! Appelle-moi Pâques si tu veux, comme le jour du chocolat. Et toi tu veux que je t'appelle comment ? Prends n'ai pas peur ! Je t'aime bien tu sais ? On sort d'ici ? J'ai envie de me balader. T'inquiètes pas, si on tombe sur quelqu'un je serai avec toi, je suis petite et maigrichonne mais je te laisserai pas tomber. Promis. »

Pâques. C’est mignon, Pâques, ça lui va bien. Mais il préfère Manaphy, parce-que c’est étrange, mais l’adolescente aux cheveux bleus est la première personne qu’il a rencontré ici, un peu comme un pokémon starter. Il jette un regard en arrière, se souvenant soudain de la présence de la bourgeoise, mais il ne voit rien, elle doit être trop loin derrière. Il hausse les épaules, reporte son attention sur Manaphy, se dit que de toute façon si elle veut les rejoindre, elle n’a qu’à le presser le pas, vu le rythme auquel ils avancent…

Ses yeux ambre retombent sur les paumes de l’autre, et quelque chose lui serre doucement le cœur quand elle lui dit qu’elle ne le laissera pas tomber, quand elle le promet, tout à fait sincère. Ca le touche, c’est bête mais il n’a pas non plus envie de la quitter, de quitter son starter, cette gamine si fragile qui donne un peu l’impression d’avoir besoin d’être protégée.

Elle lui tend le ruban qui retenait ses mèches bleu roi et un carré de chocolat, et elle attend, patiente, qu’il se décide à les prendre. Il voudrait, il voudrait vraiment pouvoir le faire. Mais quelque chose l’en empêche, quelque chose qui le prend aux tripes à chaque fois qu’il fait mine de la toucher, quelque chose dont il ignore tout mais qui est plus forte que lui.

Il ouvre la bouche sans savoir ce qu’il va bien pouvoir lui dire, la referme aussitôt. Il a la gorge sèche et parchemineuse, alors il s’humecte lentement les lèvres, gouttant les gouttes d’eau encore présentes, comme accrochées à ses gerçures, et soudain il se dit que s’il ne peut pas la toucher, il y a d’autres moyens de s’assurer qu’elle ne lui échappera pas.

Il se penche, se tasse encore un peu pour prendre en main les deux extrémités du bandeau orangé, prenant bien garde à ne pas effleurer la main qui le tient, le fait glisser vers le poignet, y attache précautionneusement un bout. Il sent le regard de Manaphy sur lui, ne réagit pas, continue son œuvre et attache l’autre bout du ruban à sa propre main, faisant le plus petit nœud possible pour éviter tout contact avec elle.

Une fois satisfait du résultat, il regarde leurs poignets liés et soupire, enfonce de nouveau son poing dans sa poche, entraînant le bras de Pâques un peu plus brusquement qu’il l’aurait voulu, et sa main frôle son sweat et il frémit, il frémit mais il laisse passer. Tant qu’ils n’entrent pas directement en contact, ça va, il peut laisser passer ça, pour elle du moins.

Il se remet en marche, machinal, sort de la gare, accompagné de Manaphy, et bientôt l’imposante silhouette de la Mairie se dresse à portée de leur regard, comme pour les inviter à entrer.