Nutella

Il est sortit de la Tour, reprenant le même chemin. Énervé, il parcourt alors les rues désertes. Il prête à peine attention à la nuit qui tombe, préférant ruminer ses pensées en silence, ses poings serrés enfoncés dans ses poches. Peut-être qu'il n'aurait pas du partir comme ça. Il regrette. Enfin pas trop quand même. C'est d'sa faute, il m'a cherché. Voilà, pour lui tout est de la faute des autres, jamais de la sienne. Alors il écrase vite ses remords et dirige ses pensées vers autre chose. Il a faim. Encore oui. Donc il s'incruste dans la première maison qui vient. Et celle-là n'est pas barricadée par un fou. Avec sa nonchalance habituelle il ouvre les placards. Alors son regard tombe sur un pot. Un pot de Nutella. Il le prend sans hésiter, l'ouvre et... Horreur, découvre qu'il est périmé.
Son corps s'affaisse à moitié sur le plan de travail. Ses yeux ne peuvent quitter cette vision d'horreur. Le. Nutella. Est. Périmé. Putain. Vous comprenez pas, le Nutella, c'est la vie. Le Nutella, c'est l'Italie wesh. Alors, désemparé, et comme si toutes ses émotions contradictoires affluaient au même moment, une larme coule le long de sa joue. Oui, Matt pleure pour du Nutella, exactement.

Spoiler:

« Ironie était lasse. Lasse de quoi, me diriez-vous ? De tout. Depuis quelques temps déjà, elle avait remis parure et quitté chambre. En solitaire. Pavée d’un rien. Elle avait délaissé la majorité de ses armes, les déposant négligemment dans sa Bugatti. Seuls persistaient ses deux guns et son sac à dos. Mais qu’importe, qu’importait les détails. Les faits étaient là, concrets : Emiko était partie. Ses pas avaient résonné durant de longues minutes contre pierres et béton. Elle ne s’était pas fatiguée, ne s’était pas essoufflée, avait pris son temps. Découvert quelques cadavres, aussi. Mais passons, passons les détails, rien n’était plus fatiguant que de s’éterniser sur banalités. Elle avait donc enjambé ses trouvailles, plus blasée que touchée. Puis avait dormi, un peu, quoique. Il s’agissait plus de somnolences que d’un quelconque sommeil, qu’il soit fait de plomb ou de néant.

Elle s’était mise à penser, aussi.

A tout, à rien. A elle, aux autres. Oui. N’était-ce pas un bon sujet ? Peut-être, peut-être pas. Elle ne savait pas, n’avait jamais vraiment cherché. Ou du moins : ne cherchait plus. Indifférence et impartialité. Deux termes qui à présent la saillaient au mieux. Qu’on lui dise qu’auparavant elle n’était ainsi, mais plus comme ceci. Qu’on ose l’affronter, la jauger. Elle était armée, et pire encore : désintéressée.

L’on ne défiait pas Ironie.
Ou peut-être un.
Mais ça, c’était autre chose.

Et d’ailleurs. Quand on parlait du loup. Enfin, du blanc. Quel hasard. L’on entrait dans une maison, la première, ainsi, sans réfléchir. Et. Et lui. Matt. Le mâle. Avec du Nutella. Et la joue humide. Non mais. Ce n’était tout de même pas possible, c’était trop… Trop risible. On se foutait de dépouilles, et pleurions au sujet de… Nourriture ? Ironie ne pu réprimer le sourire sardonique qui lui fleurissait au visage. « Je ne ferai pas de commentaire. » Ah ouais, et c’est quoi, ça ? Sans parler, au delà de cette nonchalance provocante, cette pointe incrédule et d’un micro poil moqueuse. « Tu veux une bière ? » Ca rime, en plus. Ouais, je veux bien partager. Enfin. Il pouvait très bien dire non. L’agresser. –Mot ambigu qui arracherait bien plus qu’un sourire, si il était prononcé de vive voix, j’admets–. Mais au final, qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Une bière en plus ? Oui.

Sinon j’ai des biscuits.
Et d’autres atouts.
Mais. Bref.

[Si, je vais te cracher au visage et te piétiner et... Je sais pas encore. 8D /PAN/]

Trop occupé à se lamenter sur son pot de Nutella, Matt n'entend pas la porte s'ouvrir, les pas dans le couloir. Mais il ne peut ignorer la voix qui résonne  alors. Il braque brusquement son regard sur elle. Tu m'suis ou bien? Se rendant compte de sa situation dérisoire, il essuie rageusement sa joue d'un revers de bras et pose le pot de Nutella sur le plan de travail. Pourquoi faut qu'elle se ramène maintenant elle, hein? Il soutient son regard moqueur. D'un côté il aimerait lui faire ravaler son sourire, de l'autre il se dit qu'elle a bien raison. Parce que c'est ridicule, et il ne sait pas comment il en est arrivé là. A sa question, il répond d'un ton presque agressif:

- Non.

Oui, j'en veux. Mais l'esprit de contradiction domine ses pensées. Une lueur de défi s'anime alors dans ses iris grises. Fou ce qu'elle peut déclencher en lui, celle-là. Et il ne peut s'empêcher de rajouter:

- T'as pas autre chose à me proposer?

Oublié, le Nutella périmé. Son attention est focalisé sur Emiko, attendant sa réaction avec un sourire.

« Oh, il n’en veut pas ? Eh bien elle, si. Alors Ironie sort vicieusement une cannette de son sac, prenant plus de temps que nécessaire, évidemment. Histoire de clamer haut et fort de par quelques gestes félins : Regrette ton refus, Matt, mords-t-en bien les dents. Et elle aime ça, oui. Sans savoir trop pourquoi, d’ailleurs. Mais avec le blanc, c’est ainsi, c’est selon. Une sorte de tout et de rien qui prend à la gorge, possède les actes. Enfin. Où en étions-nous ? Ah. Oui. « Je t’aurais bien proposé ma présence et tout le reste, tu vois… » Et puis des biscuits, aussi. C’est bon les biscuits, non ? Surtout avec ta tête de renfrogné. « Mais je crois que pour cette fois, tu n’as pas le choix. » Hein hein. L’amusement est maitre dans son ton, bien qu’il soit pavé de langueur et de diverses fourberies. Affichant soudainement un air blasé, Emiko s’approche du mâle, allant même jusqu’à poser coudes sur le plan de travail, en face à face avec l’individu. C’est donc dans cette position nonchalante et courbée qu’elle ingère quelques gorgées de son doux breuvage, et ajoute : « Après, à toi de voir ce que tu veux en faire, n’est-ce pas ? » C’est vil. Sournois.

Ironie, quoi.

Il lui lance un regard indifférent lorsqu'elle sort la canette, l'air de dire bah non ça me fait rien laisse tomber. Sauf que tout dans son attitude lui donne l'envie irrépressible de lui voler la canette. J'ai pas le choix? Genre. Quand elle s'approche, il ne peut s'empêcher de sourire. C'est ça, viens plus près encore. Il pose à son tour les coudes sur le plan de travail, réduit un peu plus la distance qui les sépare. Ce que je veux en faire, hein? Un instant il paraît sérieux, en apparence du moins. Il contemple les yeux océans de la brune.

- Tu me laisses cette liberté?

T'as peut-être tort. Son regard glisse alors sur son corps, s'arrête un instant sur les armes. Il repense au type brun un peu cinglé et demande d'un ton innocent:

- Tu veux pas me passer un de tes flingues?

Sourire d'ange. Ce n'est pas crédible, et alors? Qui ne tente rien à rien...

« Tu préfères être muselé ? » Simple souffle qui ricoche contre le blanc. Réplique naturelle et pervertie. Après je dis ça… Un énième sourire vient paver son visage. Les secondes passent, elle le toise la regarder, désabusée. Un flingue ? Un sourcil se hausse, et dubitative, elle lâche : « Car tu sais t’en servir ? » J’aurais plus tendance à croire le contraire. Mais l’espérance fait vivre, comme l’on dit. Alors elle le laissera croire. Un peu. Mais pas trop. Elle monte la canette à ses lèvres, réalisant ainsi la grande proximité entre eux deux. « C’est triste, de boire seule, tu sais. » Air faussement peiné, qu’il ne s’y trompe pas, ce n’est qu’un leurre. Besoin de divertissements. Mais pas n'importe lesquels.

N'est-ce pas ?

Il reste silencieux à la première question, esquisse un sourire, lui lance un regard, tu rêves ma belle. Il réplique à la seconde:

- J'sais pas. Mais c'est toujours mieux qu'un ballon de basket face à un type armé.

Même si, il faut l'avouer, la balle l'avait bien aidé. C'est triste d'être alcoolique qu'est-ce tu veux. Il retient sa remarque et avance sa main, effleure le poignet de la brune qui tient la canette. Un instant il hésite à faire un geste mesquin, mais finalement il lâche, ses yeux replongeant dans ceux d'Emiko:

- T'as qu'à lâcher l'alcool?

Et faire autre chose?

« Emiko n’avait pas bougé. N’avait pas même oscillé. Elle était restée figée, presque de marbre face à l’arrivée peu commune de l’inconnu. Se pensait-il original ? Dans cette ville, ils l’étaient tous plus ou moins. Alors pouvait-on encore parler d’unicité ? Au pire, il ne restait pas moins un terrible excentrique. Et sinon, on s’en fout. Cette dernière idée sembla lui plaire, vu qu’elle esquissa un semblant de sourire, se synchronisant avec les premières paroles de l’homme. Damoiseau qui vint lui subtiliser son bien, pour se le vider pressement dans le gosier. Arrêt. Que ce soit celui d’Ironie réalisant l’acte, ou celui du « oh mais mon dieu c’est dégueulasse ce truc ». Puis mouvement. Enfin. D’un côté seulement. Gilbert des années soixante-dix dégobille vitesse grand V la beuverie, liquide s’éparpillant de toutes parts, allant même violer la peau de notre brune blasée. Quel charme, quelle délicatesse. Quelle mesure. Puis le bonjour, évidemment. Si irritant. Mais elle passe au dessus ; ne daignant toujours à esquisser le moindre geste. Ah. Si. Elle dévisage de nouveau le blanc. Soupir. Encore. Ses paumes frappent sans trop de force le plan de travail alors qu’elle se redresse. T’as pas l’impression d’arriver au milieu de quelque chose ? Pas que cela la dérange vraiment, néanmoins. Puis ca donne une excuse pour l’arme, vous comprenez.

« Bonsoir, plutôt.

« Un poil acide. Mais qu’est-ce qu’un brin parmi kilos d’indifférence non malveillante ? Puis oui, on n’est plus de jour. Comment confondre les rayons lumineux, chassant l’obscène, aux méandres malfaisants, poussant aux désirs, aux inassouvis ? Ce n’est pas pareil. Enfin. La demoiselle n’aurait pas chipoté en temps normal. Mais ce n’était pas un moment banal, voilà. Elle s’accouda négligemment au buffet, croisant les bras, son minois déchiré entre un sourire voulant être poli et une humeur désirant le marbre.

Welcome in my pretty world, fabulous asshole.

Il veut quoi l'ancêtre? Matt lui lance un regard dégoûté tout en essuyant sa main touchée par la fontaine de liquide que l'autre venait de déverser. Quel con. Il constate alors que le type venait de se contredire en vidant la canette après sa réplique. Encore un autre dégénéré qu'a perdu la tête, super. Il ne prend pas la peine de répondre à son salut, trop occupé à lui lancer un regard noir.

- Bon, qu'est-ce tu veux l'ancien?

Direct et sans détournements. Nan mais,parce qu'il veut forcément quelque chose pour s'imposer avec tant d'insistance. Hein? Bah vas-y réponds, t'as besoin de compagnie c'est ça? Lâchant un soupir de frustration, il détaille le type de haut en bas de son regard méprisant. Putain, il sort direct du moyen-âge en plus.

« Que faites-vous ? » Elle était redressée. « Non, que dis-je, que fais-tu ? » Moue méprisante. « L’invisible futile ne méritera jamais les belles paroles, les douces et croustillantes formalités. » Son menton était haut, son inclinaison parfaite. Le ton, quand à lui était hautain, détestable et suffisant. A l’identique d’Emiko, me diriez-vous. Ses doigts, volatiles, parcoururent un instant le plan de travail. Elle réunissait son empire, sa matière, son panache. « Quoique. Dois-je me rabaisser ? Chuter si bas, tomber dans la décadence des tutoiements ? » Sourire aux lèvres, grande comédienne, elle se faisait pensive ; ayant alors entamé une marche hasardeuse de chemin, sûre d’allure. « Je ne sais pas si tu le mérites. » Pause. Les mouvements avaient cessés. Seuls persistaient ces yeux, ces yeux bleus dévisageant l’être de manière totalement polaire. « Mais je vais néanmoins t’accorder un fil d’attention. » Etait-ce la menace, qui poussait dans sa voix ? Se le serait-elle seulement permis ? Oh, non, évidemment. Elle n’était pas assez sérieuse, assez prise au jeu. Que trop peu concernée. Emiko se contentait de valser. Sur les termes, sur les situations. C’était en elle, m’assurerez-vous, elle avait vécu ainsi pendant d’assez longues années. Alors même si à présent elle n’était que débauche hautement ironique, elle daignait pour l’instant à remonter en haut. Dans la sphère, où siègent les plus beaux trônes. « L’on ne touche pas, l’on ne parle pas. L’on ne regarde pas ce qui est déjà possédé. » Elle s’était avancée, avait joué des hanches, avait pris les pas qu’il fallait prendre. Et à présent, elle le toisait. C’était comme une leçon, comme un sermon. Une esquisse d’amusement failli poindre sur son visage. Feindre l’attachement, la totale acquisition. N’était-ce pas à en rire ? Elle s’y plaisait bien, au final. Que le blanc la prenne pour folle, qu’il se révolte de ses dires, Ironie, elle, n’en avait que faire. Tout n’était mené que par de sombres envies, d’idées malsaines. Le sadisme et la perversion la possédaient. Elle aimait. Aimait la moquerie crevée et étalée en elle, que le mâle aux poils de bouc avait quelque peu réveillée. Après tout, en rirait-il, comprendrait-il. La n’était pas la question. « Vous vous êtes permis de poser vos menottes crades sur une personne m’appartenant. Et qui plus est, vous osez lui porter un hideux intérêt. Je pourrais vous coller dès à présent un baiser. Non pas le mien, bien trop délectable, mais celui que l’on nomme ‘mortel’, qui se trouve, là, juste à porté de ma main. » Quoique. Son embrassade pouvait peut-être elle aussi faire don de mort ? Ironie afficha un sourire. Esquisse néanmoins hautement cynique. Non pas car son discours lui plaisait, non pas car la pauvre chose infâme lui semblait soudainement digne d’intérêt, non. Bien sûr que non. C’était tout autre. Un autre qui d’ailleurs, était matériellement existant. A leurs côtés. Matt. Mais passons. Elle avait l’index posé sur le manche de son arme, et c’en était presque obscène, tant provoquant dans son esprit. Mais, encore une fois, passons.

Chaque chose en son temps.
Elle recula, mimant la nausée.
Mon dieu, qu’est-ce que vous puez.

Hein? Nan, nan, c'est ma couleur naturelle, bouffon. Et d'où il me touche le croulant là? Il esquisse le geste de le repousser avant de le suspendre en voyant l'autre s'écarter. C'est ça, loin de moi surtout, continues même à t'éloigner, sors et fais-toi écraser par un lampadaire. Mais l'autre n'a pas l'air décidé à bouger. Matt serre les poings et s'apprête à répliquer lorsque la brune le coupe soudain. Avec un sourire amusé il la regarde descendre l'autre type. C'est qu'elle griffe la tigresse. Mais son sourire disparaît quand elle parle de possession. Pardon? Très étrangement, cette idée le dérange. Pfeuh on reverra les sens du terme possession tout à l'heure. Et cette pensée lui redonne un instant son sourire narquois. Tandis que ses pensées dérivent alors, il remarque à peine que la voix d'Emiko a cessée de résonner dans la pièce. Détachant son regard de la brune il le plonge dans les yeux verts de l'inconnu.

- T'as de la chance, j'frappe pas les vieux débris.

Mais t'avises pas d'approcher, parce que j'change vite d'avis.