We never quite thought we could lose it all.

L’animal semble suivre une piste. Ou plutôt un chemin. Car il sait qui chercher et il sait où la trouver. Il force l’allure, passe par les égouts, fait parcourir un long chemin à Eris, mais elle ne ressentira pourtant aucune fatigue. Enfin il ralentit, et leur apparaît alors un Parc d’Attraction, les illuminant tout en les plongeant dans une atmosphère morbide. Le loup ne s’arrête pas, il s’engouffre dans le château sombre et lugubre. Il lui faut peu de temps pour s’apercevoir de la présence d’autres humains à l’étage. Il ébranle l’escalier et en quelques foulées il les rejoint. Un grondement sourd s’élève, ses mâchoires claquent. Les humains paraissent si dérisoires face à lui, véritable montagne de muscle et engrenage d’intelligence. Il est l’Alpha. Ses yeux aveugles brillent d’une lueur dangereuse dans le noir. Il force le passage, les bouscule juste pour les dépasser, ne fait pas couler de sang, cette fois. Puis son museau se lève, et un long hurlement sort de sa gueule. Il appelle quelqu’un. Quelque chose. Et les grattements se rapprochent...

Spoiler:

Je n’ai pas vraiment le temps de mon exploit, pas plus que de m’attarder plus longuement à l’observation de la pièce derrière la porte défoncée. Un loup énorme surgit dans le couloir, avec une… femme sur ses talons. En plus de penser à Août et à la blessure qu’il avait récolté au bras à cause d’un loup semblable, si ce n’est pas le même, je m’éloigne de la porte. Le danger peut venir de là comme de ce loup démesuré, qui dégage une telle impression de puissance que, quitte à choisir, je préfère ne pas lui chercher des crosses. Ali’ se plaque contre le mur, comme pour le laisser passer ; Skull choisit l’option « restons groupés ça évitera de se faire bouffer ». Je sens ses doigts tirer doucement sur la manche de mon blouson pour m’inciter à déserter définitivement mon poste devant l’ouverture béante et inquiétante de la porte. N’étant pas assez folle pour protester, je me place à côté du tatoué, avec toujours ce ridicule canif en main. Mon regard dévie de la porte au loup sans discontinuer. C’était vraiment très con de ta part de péter votre seule moyen de vous protéger de cette bestiole. Il y a d’autres portes.

"De quel côté es-tu ? Avec nous ? Ou avec eux ?"

A qui adresse-t-il cette question ? A cette étrange femme derrière la bête ? Ou, plus bizarre, au loup ?

- Eux ? On est pas dans un complot terroriste, mec.

La remarque m’échappe, simple murmure à peine audible qui n’a rien de particulièrement négative à l’égard de Skull. Cette ville a une mauvaise influence sur ta prudence. D’accord, la prochaine fois je tournerai sept fois la langue dans ma bouche avant de parler. Mes pensées dérivent déjà ailleurs, vers une question existentielle : ce fichu château a-t-il une autre sortie que ce couloir actuellement bouché par un loup de trois mètres ? A vrai dire, j’ai peur que nous n’ayons que deux solutions. Trois si l’on compte le passage en force, à exclure. La fuite vers l’arrière, où un retranchement dans la pièce d’à-côté. J’envoie un très léger coup de coude au tatoué et un regard hésitant à Ali’. Inutile de ses leurrer, j’hésite à agir, alors je ne bouge plus. Ma seule initiative consiste en l’analyse de ce que je suis capable de voir dans la pièce depuis le couloir. Elle est plus lumineuse que ce dernier, le parquet est recouvert de morceaux de verre brisé et il y a une forme sombre dans un coin. On va pt’être aussi oublier la solution retranchement. Bah, au pire, on saute par la fenêtre. Bien ce que je disais, cet endroit altère ton jugement.  

HJ:

Le loup attend, hésite peut-être. Ses oreilles se couchent en arrière. Un mauvais pressentiment. Les animaux n'ont-ils pas un sixième sens après tout? Campé sur ses pattes il ne bouge cependant que pour lancer des grondements menaçant vers les trois inconnus. Les trois intrus. Finalement s'en débarrasser ne serait pas si long...

Il y a des intrus dans sa maison. Dans son terrier, et il y a une autre bête. Elle s'éveille et frissonne, son poil ondulant au rythme de sa respiration, il est temps pour elle d'intervenir.
Les grattements se font plus forts, plus proches. Ses griffes raclent le bois du parquet au sol tandis que ses longues oreilles se dressent.
L'énorme boule de poils blanc sale apparaît dans le couloir. Une gigantesque lapine aux yeux rouges et aux dents tranchantes jauge la situation du regard. Un loup, trois humains et... Une quatrième vie qu'elle considère presque comme de sa famille, sa nombreuse famille.

Pile en face de vous se trouve la maman Lapin-Garou.

HJ:

La « femme » derrière le loup nous parle mais je n’écoute qu’à moitié. Les mots n’ont que peu d’intérêt dans ce genre de situation désespérée où la mort semble la seule issue. Depuis quelques heures, nous tous dans cette ville ne faisons que fuir l’inévitable. Maintenant, j’ai comme l’impression que fuir n’est plus possible. Il n’y a plus d’autre choix que d’encaisser, et de faire de ton mieux pour que tout ceci ne se termine pas de la plus pitoyable des façons… Je conserve néanmoins le très léger espoir que nous puissions nous en sortir. Tous les trois. Mais l’espoir est à peu près aussi éphémère que les liens tissés entre les gens et il s’envole d’un coup, lorsqu’un… lapin mutant aux yeux rouges surgit ans le couloir. Ali’ lâche ma main, qu’elle a précédemment agrippée. Avant que j’ai pu réagir, elle a levé son arme. J’articule un « non ! » mais elle a déjà tiré, la main tremblante, mais l’air d’être soudain très lasse de toutes ces merdes qui nous tombent dessus. Marre de la situation ? T’es pas la seule…  A peine a-t-elle tiré que le tatoué s’y met aussi. J’ignore s’ils ont touché le lapin-garou. Ou plutôt, je ne sais pas si les balles ont eu le moindre effet sur lui et je m’en fiche, parce que de toute façon c’est foutu, on va sûrement mourir ici. Utile, l’espoir… Pourtant… je préfère espérer et échouer plutôt que baisser les bras et échouer de toute façon. Question d’ego, j’imagine.

"Reprends-le."

Skull me remet le colt entre les mains. Par automatisme, mes doigts se referment autour de la crosse. Il reste trois balles. Trois foutues balles face à une espèce de monstre qui doit être passablement énervé après s’être fait tirer dessus deux fois. Gé-nial. Je recule en même temps que mes deux « amis ». Pourquoi faut-il que je tremble ainsi à un moment aussi décisif ? Cette fille en pleine mutation derrière le loup n’a pas peur elle. T’avais pas peur non plus pour tuer cette femme qui ne t’avait sûrement rien fait, alors pourquoi maintenant, à un moment aussi décisif. Parce que cette fois, on va tous crever.

- Ali’, Skull, je crois bien qu’au final, cette ville va s’improviser bourreau.

Et j’use mes trois balles.  Une pour notre cher ami le lapin garou, un autre pour le loup et la troisième pour cette femme qui elle aussi, possédant une arme, est un danger potentiel. Sauf que ce dernier projectile va se perdre au fond du couloir. La faute à la luminosité réduite. Tant pis, au moins ça évitera à ce que je tue quelqu’un d’autre. Est-ce vraiment utile d’avoir ce genre de pensée maintenant ? Après tout, y-a-t-il vraiment quelque chose après la mort ? No way.

La balle se fraie un chemin dans l'air et va se loger sous la fourrure du loup, au niveau de l'épaule. Il tressaille un instant sous l'effet de la douleur, et le sang tâche lentement sa fourrure immaculée. Dans un geste de rancœur il écrase Xéna contre le mur, avec une telle force que ce dernier fini par céder, entraînant une bonne partie du sol avec. Faisant abstraction de l'effondrement progressif du manège, le loup Alpha se jette alors sur le lapin, fou de rage. Le sol s'affaisse un peu plus quand il se réceptionne, plongeant bien vite ses crocs dans le cou de la bête blanche.

Les balles frôlent, pénètrent la chair, font vibrer les os et déclenchent douleur et rage. La maman Lapin Garou se retrouve contrôlée par la rancœur et la vengeance. Le loup lui saute à la gorge, l'humaine blonde qu'elle a adopté comme sa famille est menacée, alors son corps monumental bouge, plus vite que ce que l'on aurait pu imaginer en fonction de son gabarit.
Les murs tremblent, le parquet pourri se tord et craque, ouvrant des trous béants, des gorges noires sur la longueur des couloirs. La bête blanche plante ses griffes acérées dans le corps mou et chaud du loup. Elle lacère et elle mord aussi, le sang coule à flot des impacts de balles reçues.

Les deux humains restant clopinent vers une probable sortie, elle n'en a plus rien à faire. Ils mourront de toute façon. Mais elle aimerait que la blondinette s'enfuie aussi. Elle ne veut pas qu'elle finisse écrasée sous le bâtiment alors elle la pousse, un peu rudement, pour qu'elle s'en aille. Les dents toujours crochetées profondément dans le flanc du loup.
Ils faut qu'ils fassent vite. Il ne reste plus beaucoup de temps, dans quelques minutes ce manoir aux allures de maisons hantées ne sera plus, s'ils veulent sortir, c'est maintenant.

Le loup n’apprécie pas le traitement. Du tout. Il bondit droit sur moi. Avant que j’ai pu faire quoi que ce soit pour l’éviter, il m’écrase contre le mur. Je ne peux plus respirer, l’air ne veut plus entrer, il ne fait que sortir. Le mur s’effondre sous nos poids combinés. Je reste couchée sur le dos, à tenter de reprendre mon souffle, à ignorer mes côtes cassées et les points noirs qui dansent devant mes yeux. J’essaie de me redresser pour prendre connaissance de a situation. N’y arrive pas. Ca y est, j’imagine que tu peux te laisser crever, laisser ce château artificiel s’effondrer sur toi et juste abandonner ; c’est tellement plus simple. La blonde que j’ai ratée me parle, je crois mais le sens de ses paroles m’échappe. Tout ce que j’arrive encore à voir et surtout à analyser sans décrocher face à la douleur, c’est ce flingue qu’elle a dans la main. J’ai l’impression que quelqu’un s’en va en courant. C’est Alissa, sans surprise. Je ne lui en veux pas vraiment, l’approche de la mort fait souvent péter les plombs. Bonne chance pour la suite…  

"…la touche pas…"

C’est la voix à Skull ça, non ? Je tressaille aux deux coups de feu qui suivent. Pour rien, ce n’est pas la blonde qui a tiré, plutôt celle qui a dégusté. Laisse-tomber, tu vois flou en plus… Deux mains m’attrapent par les épaules et me remettent sur pied. Il veut que je vienne ? Est-ce que j’ai l’air en état de marcher, vraiment ? Pourtant, appuyée contre lui, je parviens tant bien que mal à avancer, bien que cela tienne plus du miracle, vu mon corps en miettes.   Merci. Le mot repasse en boucle dans ma tête et j’aimerai pouvoir le lui hurler, mais ce n’est qu’un filet de voix qui sort de ma bouche. Et puis, qu’importe vers où nous fuyons, c’est de toute manière la fin. C’était la fin depuis l’instant où j’ai ouvert les yeux dans ce train. La suite n’était qu’un prologue à cette fin. Une simple suite destinée à nous faire souffrir et espérer que tout cela s’arrête. Les deux bestioles s’entretuent, au moins, on aura une mort un peu plus digne que de finir dans leur estomac. Tu trouves ça digne, de te faire enterrer vivante sous des tonnes de gravats ? A moitié vivante.

"T'as une dernière volonté ?"

J’en rirai presque si cela n’avait pas risqué d’amplifier encore cette douleur qui compresse ma poitrine depuis tout à l’heure. Je continue de clopiner, chaque pas est un effort mais je décide tout de même de lui répondre. Question de politesse. Et puis aussi histoire de ne pas finir avec le regret des non-dits.

- Plusieurs. Comprendre pourquoi je te fais confiance. Et puis…

Le premier est plutôt un souhait délirant qu’une volonté.

-…ne me laisse pas seule.

J’en ai assez d’être abandonnée à tout va par les rares personnes dont je ne me méfie pas. Je trouve encore la force de tourner la tête vers le tatoué, comme quêtant une réponse dans le seul œil bleu que la vue de profil me permet de voir.

Par pitié, que quelqu’un m’achève, j’en peux plus. Cela n’a plus aucun sens, d’avancer alors que la fin est si proche. Le monde autour de nous, si tant est que ce château – sûrement en carton vu la merveilleuse solidité de ses murs – puisse résumer un monde, s’effondre pièce par pièce. En ce qui me concerne, c’est moi qui risque de m’effondrer ; mes jambes refusent de me porter plus loin en cette vaine tentative de fuite comme si elles sentaient qu’il est inutile de lutter contre la mort qui, en l’occurrence, est cette ville timbrée et pensante. Mais je continue, par respect pour celui de nous deux qui tient encore debout et qui aide le poids mort que je suis devenue au lieu de se sauver tout seul. Il s’arrête au beau milieu du chaos, parvenu sûrement à une conclusion semblable à la mienne. Je soutiens son regard lorsqu’il se tourne vers moi. Moment aux allures d’éternité. Vraiment… Je voudrais vraiment comprendre pourquoi est ce que ce visage marqué par un tel tatouage ne me fait pas peur et ne me répugne pas.  Comprendre pourquoi est ce le fait de le regarder dans les yeux me rassure. Comprendre entièrement cette impression de déjà-vu et ce sentiment de confiance à l’égard d’un type aussi étrange que lui. Comprendre la raison de nos présences à tous ici. Comprendre aussi l’acharnement de cette ville à nous pourrir l’existence. Il y a tellement d’éléments à éclaircir, et tellement peu de temps pour y parvenir.
Skull referme ses bras autour de moi alors que je me sens sur le point de défaillir et m’entraîne dans sa chute jusqu’au sol. Me doigts se crispent au tissu de son pull et je garde la tête sur son épaule en fermant les yeux, tellement à ma place ici que la destruction du château et mes blessures me sembleraient presque risibles si elles avaient daigné me ficher la paix un moment.

"Ne t'inquiète pas, je ne pars pas."

Merci. Je n’ai ni la force ni l’envie de le prononcer à voix haute. Il y a des choses que je ne suis pas capable d’exprimer avec des mots, même si « merci » semble relativement simple. Je l’ai déjà dit mais me sens incapable de le répéter, pour la simple raison que cela gâcherait ce moment. Et déjà comme dans un rêve éveillé, j’entends sa voix qui me murmure des paroles qui me font monter les larmes aux yeux tant elles sont bien tournées et qui, en même temps, font naître un léger sourire sur mes lèvres. « Peut-être que je gardais ton corps parce que t’avais volé mon cœur ? » Dégoulinant de guimauve mais tellement mignon que c’en serait presque émouvant. Enlève le presque ; ça l’est. Il continue sa tirade. Je ne capte qu’un mot sur deux, bercée par le son de la voix de ce presque inconnu qui pourtant a appartenu à mon passé et enveloppée par la chaleur qu’il dégage. Oui, évidemment, tu seras mon dernier souvenir avant ma mort. Ou tes mots le seront. Qu’importe, c’est la même chose puisque ça viendra toujours de toi. Même si, tu sais, je ne suis pas encore morte. On survit à des côtes cassées. Moins à un plafond qui s’écrase sur notre tête, en revanche… Je marmonne en guise de résumé :

- Merci d’avoir au moins essayé de me protéger, je t’en suis reconnaissante.

Ce mot a tout de même réussi à sortir de ma bouche. Avec le bruit autour de nous et ma voix qui sonne aussi fort qu’une guitare privée de ses cordes, pas sûr qu’il l’ait entendu. Mais cela n’a aucune importance maintenant, c’est fini. Nul besoin d’épiloguer d’avantage. 'Cuz we, we can see how it's gonna end.