Paranoid activity

La porte claqua derrière lui. Le contact du bois pourri contre son dos accentua le sentiment d'oppression qui pesait sur lui depuis le début. Une sueur froide imprégnait son t-shirt déchiré et seule sa respiration haletante rompait le silence. Un silence mort. Mort, comme Lexi. Comme lui. Il était mort. Une heure de plus, une heure de moins, ça ne changeait rien. Ils étaient tous en sursis, mais ils allaient mourir.

Son regard horrifié n'arrivait pas à se poser. Il papillonnait d'un coin à l'autre du médiocre vestibule sans pouvoir s'arrêter sur un objet précis. Les yeux écarquillés par la peur, il ne pouvait plus réfléchir. Il croyait voir cette Ombre démoniaque à chaque parcelle de noir, sursautait, de temps en temps, pour aucune raison valable. Le manque de sommeil n'aidant pas, Novembre était à bout.

Puis il sembla se reprendre. En réalité, il n'agissait plus que par un automatisme désespéré derrière lequel se réfugient habituellement les fous. Se barricader. Et attendre la Fin. L'attendre de pied ferme, pour la regarder droit dans les yeux, et lui cracher à la figure qu'il ne voulait pas de son sort.

Brusquement, il s'élança dans le salon et agrippa une commode de taille plus que raisonnable. La traîna tant bien que mal jusque devant la porte d'entrée. Ouvrit un tiroir au hasard, dégota une lampe de poche. Partit à la recherche de piles, actionna sa nouvelle arme. Les ténèbres n'avaient plus de prise sur lui.

Il répéta l'opération avec un vieux fauteuil miteux et ferma les volets, bloquant les fenêtres avec des étagères vides ou des portes de placard arrachées. Plus de peur. Plus rien. Faut qu'ça s'arrête.

Novembre craquait.

Pour la cinquième fois en vingt minutes, le brun examina l'ensemble de la maison pour s'assurer qu'elle était sûre, brandissant cette fois-ci sa lampe pour chasser l'ombre du moindre recoin. Il ne parvenait pas à se rassurer. Se dit que faire quelque chose d'habituel pourrait peut-être le calmer. Deux mots lui virent à l'esprit, subitement.

Clope. Munitions. Il alluma une cigarette et sortit le chargeur de son arme pour compter ses balles. Cinq. Cinq dans ce chargeur. Un deuxième l'attendait dans son sac, plein. Il posa l'objet sur le plan de travail de la cuisine pour souffler une longue volute de fumée grise.

C'est la fin. On est tous morts. C'est trop tard. C'était déjà trop tard. Tout le monde va y passer.

J'ai pas le temps, mon esprit glisse ailleurs ♪

Il court, wesh. Parce que c'est son destin. Quoi? Vous croyez pas au destin? Lui non plus en fait. Mais faut bien se trouver une raison à sa direction. Et le destin ça donne un côté classe, non? Bref, il remonte les rues, reconnaît la fontaine et ne s'y attarde pas. Finalement il s'arrête dans une des rues bordé de maisons glauques, soufflant et reprenant sa démarche de racaille et son air renfrogné. Qu'est-qu'il fout là au fait? Ah la mémoire tout ça, ce petit engrenage qui a l'air de le lâcher depuis quelques temps ou peut-être juste quand il en a envie. Occulter c'est bien, on se pose pas toutes ces questions embrouillant nos esprits que les gens prennent plaisir à ressasser. Pas de questions pas de problèmes. Comme ça que ça fonctionne faut juste piger le truc.
Bon, entrer dans une maison pour chercher de la bouffe éventuellement. Sauf que évidemment quand il tente d'abaisser la poignée celle-ci reste bloquée. Naaan une porte qui lui résiste encore? Nan mais, rien ne me résiste. Et c'est dans cette pensée narcissique qu'il défonce la porte en prenant de l'élan. Non il n'était pas simplement allé à une autre maison ouverte, cette porte insignifiante lui fait affront en se bloquant, c'est tout. Et puis, et puis... hein? Mais pourquoi y a des trucs qui bloque là? Il pousse alors le meuble, et après avoir réussi à ouvrir la porte, lance un sourire victorieux à... la commode tout à fait. Soupirant il s'avance vers la cuisine et s'arrête sur le seuil en apercevant une silhouette. Nan, ce type s'est vraiment barricadé? En même temps une commode bloquant l'entrée ça peut pas être autre chose, mais... sérieux quoi? Il est pas net ce mec. Il ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire méprisant:

- Bah quoi? T'as peur de la nuit?

Quoi l'autre a un flingue et pas lui? Et alors hein? Il plonge ses yeux aciers dans ceux myosotis du brun. Bouh je suis un monstre qui viens te manger, fais gaffe.

Bruit mat. Choc contre la porte. Grincement de la commode qu'on déplaçait sans aucune méthode. Novembre s'était d'abord figé. Puis par réflexe, il avait saisi la lampe torche dans sa main gauche, la plaçant sous son arme et visant la source de ce bruit.

Une Ombre sauvage venait de défoncer sa barricade, putain. Il n'avait pas les idées claires, en fait. Mais il n'en avait pas conscience.

Lui, peur ? Jamais. La peur c'est pour les faibles. C'était pour ça qu'il se cramponnait à la cross de son flingue comme si sa vie en dépendait, d'ailleurs. Parce qu'il n'avait. Absolument. Pas. Peur.

Clic. La lampe éclaira le visage de l'intrus. C'était pas une Ombre. Mais bordel pourquoi ça marche pas ?! Pourquoi il ne se dissipait pas comme un mauvais rêve, comme l'Ombre de l'hôpital, devant le faisceau lumineux braqué sur lui ?

Novembre fronça vainement les sourcils. Secoua subrepticement la lampe pour générer un quelconque effet. Pourquoi ça marchait pas, hein ? Bon, plan B.

Clic. Clic clic clic clic. Il s'acharnait sur la gâchette de son flingue sans comprendre ce qui n'allait pas dans son geste. Il savait encore appuyer sur une détente, quand même ! Il regarda successivement son arme et l'inconnu, avec l'air complètement stupide de celui qui réalise avec peine que quelque chose cloche. Il tourna légèrement la tête pour aviser le chargeur resté sur le plan de travail. Et merde.

Facepalm. S'il avait eu les mains libres, il l'aurait sans doute fait. Ou comment perdre toute crédibilité dès le début... Ou la fin. Sans quitter l'évident agresseur des yeux - parce que oui, un type qui se fait passer pour une Ombre et qui débarque en défonçant votre porte blindée, c'est effectivement ce qu'on appelle un agresseur -, le brun récupéra lentement son chargeur et l'enclencha dans son pistolet.

Clic clac. Ready. Aim. Fire ?

L'autre flippe. Grave même. Mais est-ce une raison pour lui braquer la lampe dans ses yeux bordel? Matt plisse un instant les yeux, éblouit par le faisceau lumineux. C'est bon t'as fini? J'sais que j'suis beau mais j'ai pas besoin d'être éclairé pour que ça se voit. Quand l'autre préfère utiliser son arme il ne peut s'empêcher de ricaner en entendant, ou plutôt en n'entendant pas la détonation. Il est arriéré en plus d'être parano ou bien? En fait même quand le brun lui braque l'arme sous le nez, chargée cette fois, le sourire moqueur ne se décolle pas de ses lèvres. C'est fou l'effet que j'fais aux gens parfois. Parce que franchement les actions du brun étaient assez surprenantes et... risibles. Mais le truc, c'est que c'est le fou à lié qui le regarde comme si c'était un fantôme qui possède le flingue. Bien, bien, bien...

- Nan mais je voulais juste bouffer en fait, pas de quoi péter un plomb.

Gagner du temps hein, comme dans les films, pour trouver une solution. C'est pas qu'il a pas envie de crever maintenant, mais un peu. Et puis dans les films y a toujours les partenaires du héro qui se jette en travers de la bataille. Mais oui, voilà, sa balle. Il jette un bref regard par terre, la remarque non loin de ses pieds, elle l'a suivit, comme d'habitude. Toi, tu vas crever à la place de ton maître. Son pied effleure la balle, il jongle une fois avec, assez haut pour l'attraper à deux mains et l'envoyer avec force dans la face du brun. L'autre s'écroule, assommé? En tout cas il enjambe son corps et va chercher un paquet de biscuit dans le placard. Oui. Il a vraiment faim. Et il commence à en engloutir quelques uns en regardant le brun immobile. Jusqu'à ce que l'autre commence à revenir à lui, bon il est temps de courir, parce qu'une balle dans le dos ça lui dit rien. Et il s'élance, sort de la maison et court telle une gazelle.

Le brun toisa l'autre avec la plus extrême des suspicions. Manger ? Et lui, depuis quand n'avait-il rien avalé ? Et depuis quand ça l'intéressait de savoir s'il avait faim alors qu'il était face à un putain d'agresseur ? Il n'eut pas le loisir de tergiverser plus longtemps sur la marche à suivre pour se débarrasser de ce type prétentieux et hostile.

Parce qu'il se prit un objet lourd en pleine face. Sa vision se brouilla un instant et il se sentit partir.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était étalé sur le sol et la tête lui tournait. Le plafond dansait devant lui et des bruits de mâchonnements confus lui arrivaient de la droite.

Mal de crâne.

Il grogna légèrement en essayant de se redresser, portant sa main à sa tête pour faire passer la migraine. Sans grand succès. La sensation de l'impact avec la balle refusait de quitter son front.

« Aïe, putain... Hé, mais tu fous quoi, toi ? »

Élan d'humeur. Novembre se releva en s'aidant du plan de travail - contre lequel il manqua de se cogner - et eut tout juste le temps d'apercevoir l'autre abruti qui s'enfuyait comme un lâche hors de la maison.

Il se casse, voilà ce qu'il fout. Et toi, tu vas l'chopper et lui faire regretter d'pas s'être fait bouffer par un loup. Il ramassa la lampe torche et la fourra dans son sac, avant de se lancer à la poursuite du truand, arme en main et prêt à tirer au besoin.

Courir, encore. Mais cette fois-ci, il ne fuyait pas. Cette fois-ci, il poursuivait. Il traquait une proie, comme la Ville l'avait traqué avant lui.

Les choses changent. C'est fou comme ça pouvait être fourbe, une Ville. Tu l'vois, le changement ? Et devine quoi ? T'es la prochaine, Nulle Part.

La prochaine à courir. La seule à contrôler. Et où cours-tu, Novembre ? Tu crois vraiment que tu n'es plus un jouet ?